J'avais
mal à la tête. Le bruit que faisaient tous ces gens, toutes ces
odeurs, tout me paraissait horriblement désagréable. Pire que ça,
toutes les bières que j'avais bu un peu plus tôt, commençaient à
me retourner le ventre.
J'esquivais
chargée comme une mule, les derniers passants qui m'empêchaient
d'atteindre une ruelle un peu plus calme, quittant les rues
commerciales de ce village puant. Quelques personnes dans un sale
état, jonchaient le sol. Certaines étaient des ivrognes qui avaient
trouvé confortable le pavé crasseux de la ruelle, d'autres, les
mains tendues attendaient que je leur donne de l'argent. Mais moi,
j'avais mal à la tête et mon ventre gargouillait, au point de me
donner la nausée. Sans donner une quelconque attention à ce qui
m'entourait, je rendais le surplus de bière qui me barbouillait. Cet
endroit sentait de toute manière déjà la crasse et le pourri, je
ne pouvais pas plus salir, en quelque sorte.
Quelques
pas supplémentaires m'amenaient à une nouvelle rue fortement
peuplée. Les cris de tous les vendeurs m'agressaient, je puais,
j'avais faim, sommeil; il fallait absolument que je trouve un endroit
où me reposer. C'est après quelques mètres, et quelques coups
d’œil, que je remarquais un attroupement autour d'une hôtesse peu
vêtue; elle clamait que son établissement proposait repos et
réconfort aux valeureux, en échange de pièces d'or.
J'appréhendais
l'accueil que l'on me réserverait, mais il fallait que je tente ma
chance.
Sans
adresser un mot à la femme presque nue s'exhibant à l'entrée de la
bâtisse, je poussais l'énorme porte en bois massif de cette
auberge. Fermant silencieusement derrière moi, j'eus un peu de mal à
distinguer ce qui m'entourait au premier instant. L'intérieur était
faiblement illuminé d'une lumière rouge, provenant de bougies
elles-mêmes recouvertes d'un tissu écarlate, entre mon état actuel
et l'éclat du soleil matinal, l'adaptation au local était un peu
compliquée.
Quelques
secondes après, je distinguais à droite plusieurs bancs et canapés,
pour la plupart vides et pour les autres, occupés par des hommes et
des femmes, qui tout en buvant avaient l'air de se rincer les yeux
sur les corps nus qui sillonnaient la pièce, parfois dansant,
minaudant, séduisant.. A ma gauche, un long comptoir sombre,
derrière lequel, se tenaient un homme et une femme, encore une fois,
dévêtus.
Je
m'avançais vers ces derniers, tout en regardant, curieuse, les
formes et courbes que proposaient ce lieu. Me rapprochant du bar, les
regards se tournaient vers moi. Je me raclais la gorge, consciente de
mon ivresse, inspirais.
"Bonjour,
je voudrais prendre un bain, manger, boire et dormir. C'est possible
ici ? Leur
demandais-je d'une voix timide, soulagée de ne pas avoir eu de
retour de bière en plein milieu de ma phrase.
- Si
vous avez de l'or, tout est possible. Vous êtes seule ?
- Oui
je suis toute seule.. Quelle question, je le cacherais où
l'autre, sous ma cape ?
- Et
vous souhaitez rester combien de temps ? Me retourna-t-on.
-
Aujourd'hui et cette nuit, je repartirais au petit matin.
- Oui
cela va sans dire. Êtes-vous familière à ce genre d'établissement
?
- Euh,
vous voulez dire les auberges ?"
Les
deux se regardèrent et pouffèrent, puis la jeune femme reprit :
"
Ici, vous pouvez consommer nourriture, boisson et chair.
- Ah
non, je suis pas cannibale moi.. "
A
nouveau ils rirent, puis cette fois-ci, c'est l'homme qui répondit :
"
Ici, vous pouvez avoir de la compagnie, afin de laisser libre court à
vos envies sexuelles, une personne, deux ou même plus. Tel que votre
désir le souhaitera.
-
C'est-à-dire que... Je n'avais absolument pas compris ça
comme ça. Je pensais que ces gens aimaient juste se balader nus. Je
pense qu'une seule personne m'irait.. Enfin je crois.
- Vous
comprendrez que ces services sont payants et qu'il y a des règles.
Vous payez maintenant pour votre chambre, le bain et vos repas, et
avant de partir, vous paierez l'extra consommation. Entendu ? Me
dit la femme.
- Je
suppose, oui. Et c'est combien, alors ?
- Une
journée, une nuit, deux repas ?
-
Comptez trois repas, et de quoi boire aussi..
- Cela
fera 60 pièces d'or. L'hôte que vous choisirez vous donnera son
prix."
Je
sortais l'argent difficilement, empilant laborieusement les pièces
en six piles.
"
Voilà.
-
Merci."
L'homme
récupéra la somme, et fit signe à sa voisine de me guider.
Faisant
le tour du comptoir, la femme me rejoignit et me fit à son tour
signe de la suivre. Lorsqu'elle se retourna, je pus constater qu'elle
portait un étrange sous-vêtement, laissant visible toutes ses
fesses, le tout maintenu par deux bouts de ficelle.
"Cela
ne doit pas tenir bien chaud, quand même.."
Elle
se tourna vers moi, sourit, puis avança sans rien dire en direction
d'un escalier peu éclairé, qui s'enfonçait dans cet étrange
endroit. Au bout de quelques marches, elle soupira puis d'un ton très
sérieux se mit à énumérer plusieurs choses.
"
Il est interdit de frapper votre compagnie, de l'insulter, ou de lui
manquer de respect. Si vous voulez faire quelque chose en
particulier, assurez-vous bien que votre hôte soit d'accord et
partant. Interdiction de se battre avec les autres clients,
interdiction de pratiquer de la magie dans l'établissement, de
ramener des personnes extérieures si elles ne nous sont pas
présentées et qu'elles n'ont pas payé leur entrée, interdiction
d'invoquer des créatures animales ou humanoïdes pour participer à
ce que vous ferez, nous sommes un établissement respectable.
Interdic...
-
Comment je sais qui est hôte ou pas ?
-
Interdiction de vous enfuir avec votre compagnie, ces personnes
appartiennent à l'établissement, et pour finir interdiction de
consommer venant de l'extérieur. Elle reprit son souffle,
toujours entrain de gravir les marches. En ce qui concerne
les hôtes et hôtesses, nous portons tous ce bracelet de cuir elle
me montra le sien, il vous suffit juste de nous demander.
-
D'accord. A vrai dire, je ne comprenais pas vraiment ce que je
faisais ici, ni ce qui se faisait ici, mais je rêvais juste du bain
que j'allais savourer dans quelques instants. Dîtes, je n'ai que ça
comme tenue...
- Vous
trouverez une robe de chambre dans votre penderie, je vous préviens,
elle est large, alors vous flotterez sûrement dedans. Puis, si vous
restez longtemps habillée ici, peut-être que cela risque compliqué
de profiter.
- Ah
oui d'accord, je vois."
En
fait, je ne comprenais rien du tout, mais bon, si elle devait tout me
réexpliquer, jamais je ne prendrais mon bain, alors je faisais
semblant, et tout en faisant semblant, je manquais la dernière
marche, et me rattrapais au postérieur de ma guide, que j'empoignais
comme j'aurais saisi une rampe d'escalier.
"Vous
avez l'air timide, mais en fait vous êtes plus farouche que vous n'y
paraissez, je me trompe ?" Dit-elle d'un ton complètement
différent que tout son discours précédent, sans même se vexer et
d'une voix à la limite de la perversion. Comme Tne' quand il me
parlait de mes blessures, remarquais-je.
"Ahem..
J'ai glissé.. Lui répondis-je, un peu idiote.
- Oui,
c'est aussi quelque chose que l'on entend souvent ici."
Je
me sentais bête, surtout qu'il s'agissait d'un stupide malentendu.
-
Voilà, je vous donne la clé de votre chambre, cela sera la
quatrième porte à votre droite, la salle avec les bains est en bas,
venez dès que vous serez prête. D'ailleurs, dans votre état, je
vous somme de vous laver avant de demander une quelconque compagnie."
Je
sais que j'empeste grosse maline... Mais plutôt que de lui dire, je
souriais bêtement, récupérais ma clé et m'empressais de trouver
ce qui allait être mon premier lieu de repos avec un lit depuis de
nombreuses semaines. Sans perdre un instant, je fonçais vers la
porte en question, faisait grincer la serrure, et m'empressais de
jeter au sol toutes mes affaires, avant de me dévêtir à mon tour
et de me jeter sur mon lit. Ils ont raison, me disais-je, d'être nus
tout le temps, ça doit être le pied.
A
peine avais-je commencé de profiter de mon immense lit moelleux, et
que le calme s'était installé, que j'entendis les murs voisins
trembler, et les voix d'une femme et d'un homme se mélangeaient. Je
rougissais, je venais de comprendre.
Sans
prendre la peine de m'habiller -j'avais bien compris la coutume du
lieu- je récupérais à la main la large tenue de nuit et me
dirigeais vers l'escalier afin de descendre et pouvoir enfin aller
prendre un bain. L'ambiance du rez-de-chaussée était assez torride
il fallait le reconnaître, certains regards croisèrent le mien, on
m'observait, de bas en haut, on me scrutait sous toutes mes coutures,
c'était étrange. J’accélérais le pas en suivant l'odeur de
savon qui émanait d'un couloir, donnant sur une porte, qui elle
s'ouvrait sur le paradis.
La
pièce aux bains, s'offrait à moi. Une brume chaude et
délicieusement parfumée masquait le plafond, tandis que le sol
était creusé de larges trous, lesquels étaient remplis d'une eau
fumante abritant quelques couples profitant de l'intimité du lieu
pour se relaxer. J'en choisissais un libre, dans lequel je m'affalais
avec grand plaisir. Des marmites fendues étaient posées près de
chaque espace creusé, qu'une hôtesse remplissait régulièrement
pour entretenir le niveau des bains, des rigoles évacuaient le
surplus débordant, j'aimais beaucoup ce système, et pour ne pas
mentir, c'était la première fois que je me lavais ailleurs que dans
une rivière ou sous la pluie. J'étais sous le charme du lieu. Je
fermais les yeux, pensais à tout ce que j'avais vécu jusque là, et
finissais par m'endormir en pensant à Evialg.
Je
me réveillais de longues heures plus tard, toute molle et surtout
moins patraque qu'en arrivant ici. Après m'être fait craquer les
os, je décidais de sortir de mon trou d'eau bien chaude. Je me
glissais dans l'immense tenue que j'avais laissé près de moi et je
fonçais me rassasier.
Ce
n'est qu'après avoir eu bien mangé, que la curiosité m'amena à la
rencontre des employés du local. On me présenta plusieurs hommes,
mais cela ne me parlait pas beaucoup, et ils ne m'attiraient pas du
tout. Je finissais par regarder les hôtesses, leurs formes, leurs
courbes, leurs mains. Sans bien comprendre ce que je faisais, je
m'avançais maladroitement vers l'une d'entre elles, et sans trop
savoir quoi lui dire, je l'abordais.
"Bonjour...
Je regardais son poignet pour m'assurer qu'elle portait bien un
bracelet. Je, euh...
- Tu
veux passer du temps avec moi ? Me lança-t-elle d'un ton
taquin et joueur.
- Oui,
je suppose, enfin... Je ne savais pas du tout dans quoi je me
lançais.
- Hé
bien, je ne te plais pas ? Elle fit gracieusement un
mouvement de hanche et soupesa un de ses seins. Je peux être
douce ou sauvage, comme tu le voudras ma belle.
-
C'est que... Je n'ai jamais... Enfin, tu sais.
-
Qu'est ce que tu n'as jamais ? Touché une femme ?
Si
seulement elle savait, que je n'avais aucune expérience avec les
gens et encore moins avec mon corps... Je commençais à me dire que
j'avais fait une erreur, et je me sentais gênée, à paraître si
brouillonne. Pourtant, en la regardant, je sentais mon sang se
réchauffer, comme si quelque chose en moi, m'amenait à la vouloir.
Sa main saisit la mienne et la plaça sur sa poitrine, si douce et si
chaude. J'étais troublée, je ne savais pas si je devais la regarder
dans les yeux ou continuer à scruter son corps.
- Je
ne sais pas trop ce que je dois et peux faire en fait.
- Si
tu ne sais pas trop, tu peux me laisser faire ?
-
Faire quoi ? Je me rendais compte de l'idiotie de ma question
en ce lieu.
-
Hahaha, tu es mignonne toi, avec ton air innocent. Si cela ne te
plaît pas, tu pourras toujours me le dire et j'arrêterais.
- Je
suppose que vu comme ça... C'est moins pire qu'un combat à mort !
La
femme se rapprocha de moi, plaquant son buste lisse contre le mien.
Enroula ses bras autour de mon cou. Elle était plus petite que moi,
alors je la sentis se mettre sur la pointe des pieds, elle posa ses
lèvres sur les miennes, les suçotant tendrement, puis elle se
recula.
- Cela
te rassure ? Ricana-t-elle.
- Un
peu, oui. Murmurais-je, troublée. Je ne le pensais
pas du tout.
-
Alors allons-y ! S'empressa-t-elle de dire avant de me saisir
par la main et de m'amener dans les escaliers. Je te laisse
m'ouvrir ta chambre, cela sera la dernière chose que tu auras à
faire.. Pour le moment."
Je
m’exécutais sans broncher, ratais la serrure sous le coup d'un
tremblement, je réussissais. J'entrais, insérant la clé de l'autre
côté de la porte, et me retournais face au lit, un peu dubitative.
J'entendais le loquet grincer derrière moi, puis sentais ses mains
m'entourer la taille, glissant sous le nœud qui retenait la tenue de
la chute, ses doigts jouèrent avec le cordon de tissu, puis la robe
glissa de ma peau. J'étais tétanisée, étrangement excitée, mais
gênée, puis une de ses mains se dirigea vers mon bassin, frôlant
mes cicatrices, s'interrompant dans sa descente, je frissonnais, puis
ses doigts continuèrent leur chemin avant d'atteindre une petite
boule, cachée là, entre les plis de mon anatomie. Une énorme
bouffée de chaleur m'envahissait, c'était bon. Je frémissais sous
ses premières caresses, me courbais par à-coup.
Elle
retirait ses doigts, puis me retournait face à elle. Son regard
s'arrêtait sur mon corps, et sur toutes les marques qui le
sillonnaient. Je contemplais ses yeux, qui parcouraient chacun de mes
membres, qui suivaient les balafres, j'étais gênée et détournais
le regard.
"Ne
me regarde pas comme ça... On dirait que je suis un monstre..
-
Allons... Je ne pensais pas ça du tout ! Tu te poses trop de
question tu sais.
-
C'est que.."
Elle
interrompit ma phrase et me fit basculer en arrière, m'allongeant
sur le lit. Pour moins que ça je me serais débattue et lui aurais
mis mon front contre le sien... Mais, là c'était différent, elle
m'attisait, et je me sentais de plus en plus chaude. Elle me poussa
pour que je puisse m'étendre complètement, puis elle me rejoint à
son tour après avoir retiré sa culotte. M'enfourchant à
califourchon, plaçant une de ses mains sur mon cou, et l'autre sur
la petite boule juste découverte. Je me sentais couler du sexe..
"Qu'est
ce qu'il se passe ? Qu'est ce que tu touches exactement ? Mes mots
soulevaient sa curiosité et faisaient apparaître un sourire sur son
visage.
- Ca ?
Demanda-t-elle en continuant sa caresse, me faisant gentiment gémir.
-
Aaaaaah... Oui ça..
-
C'est ton clitoris ma belle, et sûrement un des endroits les plus
sensibles de ton corps, à en voir les coups que tu as reçus.
-
Cloti-quoi ? Lui répondais-je, ignare.
-
Hahaha"
Elle
ne dit rien de plus, et je la vis descendre toute entière, de sorte
à mettre son visage face à mon clito-truc.
"Qu'est
ce que tu... Aaaaaahh"
Au
moment où elle posa sa langue sur mon clitoris, mon vagin fut pris
d'une immense explosion de plaisir, comme si ce qu'elle était
entrain de me faire, mon corps l'attendait depuis toujours. Mon sang
brûlait en moi, je convulsais lentement. Cette langue chaude et
humide qui me glissait dessus, c'était l'achèvement d'une longue
quête de jouissance et de plaisir, qu'un millier de lames me
perforant n'avait pas réussi à me faire atteindre. Machinalement,
mes mains s'agrippaient au contour de son visage, le suçotement de
ses lèvres autour de mon clitoris faisait trembler mon corps de plus
en plus, et j'en redemendais encore et encore. Mes hanches furent
prises par le plaisir, et j'exécutais de lents va-et-viens avec mon
bassin, je lui plaquais la bouche sur moi, jusqu'à sentir sa langue
me pénétrer tendrement, puis retourner sucer cette petite boule
magique. J'étais trempée, et je savais que je mouillais désormais
abondamment, jusqu'où cela pouvait-il aller ? Jusqu'où cette pompe
à plaisir pouvait-elle m'amener ? Ses doigts glissaient sur mes
tétons, me les pressaient, je chouinais de plaisir. Comme dans un
combat perdu d'avance, l'excitation était à son comble, et j'en
voulais plus encore; comme pour reprendre le dessus, je m'extirpais
sans aucune difficulté de la chaude pression que la femme exerçait,
et l'allongeais à ma place.
Je
bouillonnais d'excitation, la curiosité me rongeait, je voulais lui
faire ressentir l'explosion ardente qui avait traversé ma chair
quelques instants plus tôt. Sans m'en rendre compte, j'étais à
quatre pattes, la bouche si près de son sexe quand...
Quand
une odeur putride arriva à mon nez. Putride comme celle d'un marais
dans lequel des animaux sauvages viennent mourir tous les jours,
immonde comme l'odeur d'une plaie purulente et gangrenée.
Je
me levais précipitamment et allais directement vers la porte,
l'ouvrais.
"Bonsoir
celui qui pue. Lançais-je, trouvant bien celui que je
pensais trouver devant ma porte.
-Je
ne sais pas si je peux le dire mais... Il s'arrêta, quelques
instants m'inspectant de bas en haut. Tu as du nez Gnas. On peut
le dire.
-Pourquoi
c'était interdit ? Je ne comprenais pas.
-Qu'est-ce
qui est interdit ? Me répondit-il.
-De le
dire ?
-Non...
Mais ce n'est pas grave, tu sais. Qu'importe, tu peux t'habiller s'il
te plaît ?
-Franchement... Je
prenais conscience de ma nudité. Tu débarques comme ça,
tu me déranges, et en plus, je dois m'habiller alors qu'ici tout le
monde est nu... Je me retournais vers la femme,et je pensais
aux coutumes de cette auberge. Je ne comprends rien de rien,
ou j'ai mal compris. Bon il se passe quoi, d'un coup ?
-Cela
ne t’ennuierait pas que l'on parte d'ici ? ET QUE TU T'HABILLES. Il
insistait fortement.
-Ça
va ça va... J'allais vers le lit, et vers ma "compagnie".
Euh, je ne comprends pas tout... Finalement je dois m'habiller et
partir. Je... euh. Je vous dois..
-Rien,
gamine. Tu me paieras la prochaine fois que tu resteras et que l'on
finira ça. Dit-elle d'un ton farouche.
-C'est
du joli... Souffla le nabot pourrissant.
-Bon
toi... Je te permets de te taire, hein."
Je
lui fermais la porte au nez, je me sentais un peu chamboulée. Cela
m'embêtait de partir maintenant, je voulais vraiment continuer moi.
Sans rien dire, j'enfilais ma tenue et me revêtais de mon nouveau
plastron. Je me sentais bête, je n'arrivais pas à refermer
l'attache. Une paire de mains vint à ma rescousse, glissant
délicatement la languette de cuir dans la boucle.
"Tu
dois combattre de sacrées créatures pour être équipée ainsi..
-Je ne
sais même pas contre quoi je vais me battre. En fait, je ne sais pas
grand chose. Je m'ouvrais à elle, sans y prêter attention.
-Tu
peux savoir que je t'attendrais ici, d'accord ? Elle
m'embrassait.
-J'essaierai
de m'en rappeler."
Je
récupérais mes dernières affaires et quittais la pièce en
grognant. L'autre m'attendait adossé au mur face à la porte. Son
regard s'écarquilla à la vue de mon immense arme.
"Ce
sabre c'est... Le Masamune ? Prononça-t-il hésitant.
-Masa-quoi
? Dis-je en empruntant la direction de la sortie.
-Le
Masamune, Gnas ! C'est une arme légendaire, mais tellement lourde
que personne ne peut la brandir, pour ainsi dire, elle n'a sûrement
jamais servi cette arme !
-Décidément,
ça fait deux fois que nous nous voyons, deux fois que je ne
comprends rien à ce que tu racontes. Par contre, comment tu connais
mon nom ? Et qu'est ce que tu viens faire là ? Et qu'est ce qu'on va
faire ?
-Toutes
tes questions sont reliées. Répondit-il simplement, comme
si cela suffisait pour que je comprenne.
- Euh...
Oui ?
-
Evialg. C'est Evialg qui m'a parlé de toi, et c'est elle qui court
un grave danger actuellement.
-
Evialg ? Danger ? C'est marrant, ça sonne bien. Gloussais-je,
toute fière.
- Ça
te va bien de faire de l'esprit Gnas... Pour ma part, tu peux
m'appeler..
-Nabot-puant
! Ça me va très bien ! Comme ça quand nous aurons retrouvé Tne,
ça sera facile de vous distinguer. Puant-ailé, nabot-puant.
Parfait."
CHAPITRE
XXIV : Au cœur du danger, Partie 2
Une
étincelle ? Une étincelle ?! Cette vieille débloquait
complètement. Je rageais et faisais voler quelques détritus d'un
coup de pied. Mais qu'elle vienne cette Irasandre. Je n'en aurais
fait qu'une bouchée, dommage que les cadavres ne se battent pas.
Cela dit, je ne lui veux rien de plus que quelques informations..
Sauf que si la vieille disait vrai, les cadavres ne parlent pas non
plus... J'étais dans une impasse. Si seulement je pouvais me
renseigner.
Je
scrutais autour de moi, j'étais dans un quartier bien différent de
celui des ateliers, toujours aussi sombre et glauque, mais ici, des
gardes patrouillaient, armés de lances immenses, ornées d'un
étendard noir et rouge, sûrement celui de la cité. Non loin des
soldats, une immense bâtisse, d'apparence plus récente que les
édifices que j'avais vu. Il s'agissait d'une prison, à en juger par
les personnes menottées ou enchaînées que l'on amenait en file
indienne. Je n'aimais pas cet endroit, même mon ventre s'était
noué, j'avais comme une impression de déjà-vu. Sans plus
m'attarder face au bâtiment, je reprenais ma marche. Je songeais à
ma quête, à Irasandre. Que m'avait dit l'ancêtre déjà... Une
reine ? Une impératrice ?
Il
devait bien y avoir un bâtiment un peu officiel dans lequel
les dirigeants siègent ici. Il fallait que je demande, je ne
comptais pas m'éterniser ici. Prise dans mes songes, j'oubliais ce
qui m'entourait et percutais un garde de dos, faisant cliqueter son
armure.
"Waouh.
Euh, excusez-moi. Lâchais-je.
-Bah
alors, elle est perdue la petite dame ? Me répondit le
soldat en se retournant, tout en m'examinant avec son air idiot.
- Moi
je suis perdue et toi tu me gènes, et alors ? Disais-je à
voix basse.
-Pardon
? Grinça-t-il.
-Oui,
je suis perdue, enfin, je cherche surtout un endroit.
-Je
suis pas une carte touristique.
-C'est
marrant, mais je m'en serais sûrement doutée. J'ironisais
sèchement. Après je ne vois pas qui viendrait visiter une
cité si... Mais passons. Votre centre de commandement, ou le lieu où
votre gouverneur siége. Il y a ça en ville ?
- Oui
il y a ça. C'est plus loin, deux rues à droite, la bâtisse aux
quatre tours. Mais c'est interdit aux..."
Sans
que sa phrase ne soit terminée, j'étais déjà répartie. Cette
ville, ses rustres, ses cadavres ambulants, son ambiance funèbre,
finalement pouvait être un bon lieu touristique, mais pour un
aveugle et sourd-muet.
Je
comptais désormais les patrouilles, de plus en plus nombreuses, les
civils de moins en moins présents. Je croisais un, puis deux
carrefours, à ma droite je pouvais enfin apercevoir le fameux
édifice qui, malgré son immensité m'était resté hors de vue
jusqu'à lors. Ce dernier était accessible par une allée, bardée
de luminaires sinistres, sculptés dans la pierre et ornés d'os. Des
miliciens en binôme plus solidement équipés faisaient des
aller-retours devant ce fameux chemin, tandis que d'autres
stationnaient en peloton entre les lumières. Allait-on me
laisser passer tranquillement ? Je glissais la main à ma ceinture,
étreignant le pommeau de mon arme, juste au cas où; personne ne
pouvait distinguer mon équipement après tout, cela me donnait un
moyen de négociation supplémentaire. Je m'avançais en direction du
chemin.
"Halte
là. On ne passe pas." Me criait-on. Je m'en doutais un peu, et
contractais un peu plus fort la poigne sur mon arme, tout en
m'avançant vers les gardes. Je les comptais une fois de plus. Deux
douzaines de gardes à vue. J'étais cependant bien consciente que si
je me mettais à me battre ici, d'autres rejoindraient le mouvement.
Je devrais alors faire vite. Très vite. Quelques pas me séparaient
des gardiens.
"Découvre
ton visage, étranger." Hurla l'une des armoires, apostrophant
l'attention de tous les autres balourds en armure. Cela s'annonçait
mal.
J’exécutais
tout de même son ordre, la surprise me laisserait quelques instants.
D'autant qu'à première vue, il semblait plus âgé que son
comparse, voire même plus que la majorité des autres soldats que
j'avais croisé jusqu'à présent en ville. Peut-être était ce le
capitaine, son éventuel décès aurait donc un impact sur le reste
de la garnison. Enfin, qui sait.
J'abaissais
lentement mon chaperon noir, découvrant selon sa requête mon
visage, tout en me préparant à le décapiter s'il le fallait.
À
l'instar de la cheftaine dans les cavernes, son visage changea
d'expression du tout au tout. Il me scruta, se retourna en direction
du bâtiment, levant la tête pour fixer le haut d'une des tours, me
re-regarda à nouveau. Ses yeux parlaient pour lui, j'y lisais de la
peur et de la méfiance. Mais ce n'était pas tout, l'incompréhension
et la surprise semblaient désormais aussi animer l'homme mûr. Son
air agressif s'était évanoui.
"Qu'est
ce que vous venez faire ici ? Me demandait-t-il. Nul
n'est autorisé à venir ici sans y être invité.
-Justement.
J'ai été convoquée. Mentais-je sans me poser de question,
j'étais prête à tout.
-Convoquée
? Mais... Il me scrutait à nouveau, se grattait le
front, semblait perdu.
-Je
doute par ailleurs que mon retard, s'il est dû à un garde sénile
soit très bien perçu. Mais c'est vous qui voyez. Tant qu'à
mentir, autant sur-enchérir me dis-je. Il s'agit de votre
tête, pas de la mienne. Pouffais-je."
Il
était désormais tout déconfit, et sans broncher ni insister, se
retira de mon passage. Beuglant de libérer la voie aux autres
soldats.
"Vous
êtes bien aimable", lâchais-je d'un ton hautain et sarcastique
en revêtant à nouveau mon habit sombre. Autant dire que nous
l'avions échappé belle, lui et moi. Je reprenais sereinement ma
marche sur le pavage conduisant à une immense double-porte, que l'on
m'ouvrait avant que je n'arrive à son seuil. Quelle classe, me
dis-je. Un immense hall s'offrait à moi, son sol était couvert de
tapis qui devaient autrefois être rouges mais qui désormais étaient
crasseux, fripés, déchirés. La pièce elle même desservait quatre
escaliers bien distincts. Le tout allait désormais être de savoir
lequel m'amènerait à la bonne tour, et à la bonne pièce si
possible. Je profitais de la grandeur du vestibule pour l'examiner :
des torches et appliques murales éclairaient fortement le lieu, des
statues d'une femme posant de différentes façons -Irasandre
pensais-je- trônaient ça et là, une tapisserie-carte géante
masquait l'immense mur à ma droite et à l'opposé une sorte de
comptoir derrière lequel étaient occupés quelques hommes et femmes
à lire ou écrire, et quelques gardes bien entendu, bavassant entre
eux, qui surveillaient l'entrée.
Les
portes claquaient derrière moi, sans que personne ne sourcille. Tout
en restant couverte, je m'avançais vers le comptoir, interpellais
une jeune femme lisant un registre.
"Quel
escalier dois-je prendre pour aller voir votre gouverneur ? Je
suscitais à peine son intérêt.
-La
raison de votre visite ? Me soufflait-elle sans même prendre
la peine de soulever les yeux de son livre.
-Convocation
spéciale. Mentais-je, une fois encore.
-Pour
?
-Comment
ça "pour" ? Rétorquais-je, déjà à bout de
patience.
- Et
bien, si vous êtes convoquée, il y a bien une raison. Me
répondait-elle d'un ton suffisant.
-La
décoration, bien évidemment, ça fait bien longtemps que quelqu'un
n'est pas venu, on dirait. Lui disais-je énervée.
-Haha,
une nouvelle bouffonne pour distraire la galerie, ça fait longtemps
que quelqu'un n'est pas venu, on dir..."
Je
la saisissais méchamment par les épaules, la soulevant au point de
presque l'étaler sur le comptoir. La coupant avant qu'elle ne
termine sa phrase. Je jetais un coup d’œil bref autour de moi,
personne n'avait bronché, ni les autres personnes assises, ni les
gardes dans la pièce. Approchant ma bouche à son oreille, je lui
murmurais :
"Écoute-moi
bien la petite grosse, si tu ne veux pas que je repeigne le mur
derrière toi avec ton sang et des morceaux de toi, tu arrêtes de
jouer à la plus maligne et tu me dis quel escalier je dois prendre
pour rencontrer le gouverneur."
Sans
dire un mot, elle pointa une des cages d'escalier et déglutit,
nerveuse. Je la relâchais de sorte à ce qu'elle retombe bien fort
sur son derrière.
"Comme
quoi l'administration peut aider de temps en temps."
Je
lui tournais le dos et commençais donc à gravir les premières
marches...
Premières
marches d'une très longue suite de marches. Une interminable
ascension, dans un escalier relativement mal éclairé, tout ça,
pour ne même pas être certaine de trouver les réponses que
j'espérais. Les étages se succédaient, les peintures et sculptures
des dirigeants de la cité aussi, assez souvent revenaient celles de
la fameuse Irasandre, j'en étais désormais convaincue, ayant lu son
nom, gravé au pied des bustes à son effigie. Des détails morbides
m'interloquaient concernant les toiles dont elle était le modèle :
elle était souvent accompagnée d'une jeune fille, qui jamais
n'était la même entre deux représentations; et, malgré le fait
que les dates de créations se rapprochaient de notre époque
actuelle, au fur et à mesure que je gravissais les marches, et donc
qu'Irasandre semblait lentement être victime de la décrépitude
comme n'importe qui, fut un moment où Elle ne
semblait plus prendre une ride, voire même redevenir plus jeune que
sur le tableau précédent, au point de redevenir aussi fraîche que
sur les premières toiles que j'avais vu la représentant.
Cela
m'amenait à plusieurs conclusions... soit elle souffrait d'un
narcissisme terrible et ne supportait pas qu'elle puisse vieillir
comme tout le monde et avait donc demandé qu'on la peigne telle
qu'elle était à son jeune âge, soit la vieille folle avait
vraiment raison, et cette Irasandre était quelqu'un de
singulièrement dangereux et pratiquait bel et bien des rites douteux
pour rester jeune.
Un
autre détail me gêna énormément. Mais je faisais sûrement un
mauvais amalgame.
Je
prenais finalement le temps de souffler entre deux étages, et
constatais en m'approchant d'une fenêtre que le bâtiment s'élevait
vraiment bien bien plus haut que n'importe lequel des sinistres
immeubles de la cité. De mon emplacement, je pouvais aussi
distinguer la séparation entre le ciel noir et mauve surplombant la
cité et la nette délimitation, avec la nue bleue claire qui
reprenait le dessus loin des murs sombres.
Maugréant
à l'idée de reprendre ma lente ascension, je me motivais et me
remettais en route. L'escalier devenait de plus en plus étroit, et
sa forme cubique laissait désormais place à un colimaçon infernal
et tortueux, les murs n'étaient plus qu'ornés de torches,
distancées de plus en plus les unes des autres. L'atmosphère
devenait encore plus lugubre que celle de la ville, comme si une
présence malsaine était contenue dans les murs de la tour, et que
cette dernière arrivait même à imprégner l'air d'une pourriture
accablante.
Vivement
que j'arrive au sommet me disais-je, cela commence à devenir
vraiment pénible. Comme si l'architecte avait trouvé ça marrant de
réduire la taille du passage, tout en utilisant donc plus de pierre
pour combler le vide central; c'était à se marcher sur la tête.
Seul un esprit tordu pouvait imaginer une chose pareille.
Cependant,
je pouvais enfin apercevoir au dessus de moi la charpente qui
supportait le toit de cette infâme tour. J'atteignais donc ENFIN le
dernier palier.
Le
colimaçon donnait sur un long couloir illuminé par des braseros
crépitants, totalement dépourvu de garde, dont le sol était décoré
d'un magnifique tapis noir aux bordures et brodures dorées,
l'éclairage permettait de distinguer à son bout, une majestueuse
porte en bois massive. Ce large corridor dans lequel vases, statues,
tableaux et bibliothèques se côtoyaient, avait presque un aspect
vivant et charmant... Si on arrivait bien entendu à outrepasser
l'ambiance qui était désormais d'une lourdeur sans égal, où la
putréfaction et la mort semblaient forniquer l'une avec l'autre,
accompagné d'une odeur pestilentielle.
Charmant
était donc l'adjectif idéal pour qualifier cet endroit.
Sans
savoir ce que j'allais trouver derrière la porte, j'avançais en me
préparant au pire. Agrippant fermement mon pommeau d'une main, je
poussais la très belle mais aussi très lourde porte.
Face
à mon regard, se profilait une immense salle, ronde à première
vue, dont les trois quarts des murs étaient en fait une immense
série de grandes et larges fenêtres, desquelles la lumière
sinistre du ciel emplissait la pièce.
L'éclat
mauve de la nue était soutenu par les torches de la pièce, du même
coloris. J'en étais certaine maintenant, j'avais atteint le point
d'origine de l'horreur qui contaminait cette ville.
Devant
une des vitres, je distinguais une silhouette, elle semblait ne pas
me regarder, cette dernière était surmontée d'une couronne toute
aussi imposante que ridicule. J'étais aussi remontée que j'avais
grimpé de marches. Je claquais violemment la porte.
"Bon,
il va falloir vraiment faire quelque chose pour l'atmosphère d'ici,
d'ailleurs, à quoi bon avoir tant de fenêtres pour ne jamais les
ouvrir, c'est infecte l'odeur ici ! Puis franchement, je comprends
mieux pourquoi on dit que ceux qui gouvernent ne se mélangent pas au
peuple. Avec le nombre de marches qu'il y a du rez-de-chaussée à
ici, ça ne donne pas envie de descendre... ET ENCORE MOINS DE MONTER
! Hurlais-je.
-Il te
plaît donc ? Me rétorquait-on d'une voix féminine, que
j'avais presque l'impression de connaître.
-L'escalier
? Non mais vous êtes sourde en plus de n'avoir aucun goût en
matière de décoration ? Sérieusement, ça ne vous a jamais choqué
qu'on ne soit jamais venu vous voir ? C'est comme si les cadavres des
derniers ayant tenté de grimper jusqu'ici avaient infusé dans la
cage d'escalier.
-Je
parlais du vêtement que tu portes, petite peste insolente.
-Petite
peste insolente ? Carrément. Pour une première rencontre ça
promet. Donc déco, zéro, contact social, zéro aussi, il y a
d'autres détails et qualités que vous entretenez aussi bien, ou
cela vous étonne encore de n'avoir aucun ami ? J'ironisais
méchamment une fois de plus.
-Tu
t'octroies bien des libertés, misér... Lâchait-elle avant
que je ne la coupe.
-C'est
une jolie coïncidence ce vêtement. Si j'avais trouvé une tenue
aussi pratique, discrète et agréable à porter que celle ci, il est
certain que je l'aurais déjà échangée. Mais bon, comme on m'a
prise pour celle qui l'avait fabriquée, et entre autre celle qui la
portait autrefois, j'ai ouvert mon enquête. Lançais-je en
m'approchant de quelques pas, toujours la main prête à dégainer.
-Tu ne
trouves pas que cela fait beaucoup de coïncidences d'un coup ma
petite ? Ou es-tu simplement trop bête pour te poser les bonnes
questions ? Tu souffres d'égocentrisme ? Pouffait-elle, me
faisant bouillir.
-Bon
pour les goûts et les couleurs, je veux bien laisser passer. Les
choses obscènes j'ai aussi eu un bon mentor, alors je me dis que
nous avons tous nos délires... mais les remarques à deux pièces
d'or, j'ai moins tendance à les supporter. Surtout quand elles me
visent.
-Il va
falloir t'y faire, ma fille. Si tu ne comprends pas les choses
basiques, on a dû souvent te dire que tu étais un peu limitée.
-Oh
toi, soit tu me renseignes, soit tu vas y passer, et ce sont les
clochards de ta propre ville qui ramasseront les morceaux restants de
toi, "ma vieille".
-COMMENT
OSES-TU REMETTRE EN QUESTION MON ÉTERNELLE JEUNESSE ?!"
Après
avoir hurlé ces quelques mots, la femme frappa dans ses mains, la
lumière dégagée par les torches s'amplifia, et en un instant, la
silhouette me fondit dessus, lame tendue, faisant front avec la
mienne. Nos deux visages s'affrontèrent aussi. J'eus la confirmation
à l'étrange sensation que j'avais ressenti face au tableau, et
finalement la même face à la prison. Ses yeux étaient vides et
blancs comme les miens, ses cheveux magentas... Comme les miens.
Je
la repoussais d'un violent coup de pied, je tombais à genoux,
moi-même submergée par la même quantité d'informations que
j'avais pu recevoir en rencontrant Eruxul. L'abandon, la prison, la
torture, les vices que l'on m'avait fait endurer, ma mort, ma
résurrection.
"Ça
y est, tu comprends ? Tu comprends ma petite Evialg ? Ricanait-elle.
-Toi...
TOI ! TOI ! Je devenais folle de rage. Tu es le monstre
responsable de tout ça ! Responsable de tous mes malheurs.
-C'est
réciproque, ma fille. Si tu t'étais gentiment laissée absorber,
j'aurais réussi. Réussi ce que nul n'avait réussi. Je serais
devenue immortelle et invincible. Disait-elle
rationnellement, sereinement mais pas sans excitation. A la
place de ça, vois ce que je suis devenue !
-Tu te
méprends Irasandre ! Tu as toujours été un monstre. TOUJOURS
! Un être plus vieux que toi, sait quelles monstruosités tu as
accompli. Il m'a lui-même offert la possibilité de voir ce que tu
m'avais infligé !!
-Tu
parles de cet homme pourrissant, ce pauvre Eruxul, que j'aurais dû
écraser quand j'en avais l'occasion ? C'est bien le seul que je
pourrais craindre quelques instants.
-Lui-même.
Et si tu penses que c'est le seul au courant, tu te trompes, tes
méfaits ne sont pas tombés dans l'oubli. Infâme pourriture à
forme humaine !
-Tu
parles de cette petite vieille ? Devenant mauve puis flasque,
la femme se liquéfia sous mes yeux et modifia son apparence en un
instant, prenant celle de la vieille gâteuse qui m'avait aussi parlé
d'Elle, me laissant plus que surprise une fois de plus. Et
oui ma petite. Tu es bien bête. Riait-elle en reprenant sa
forme originale.
-Je
vais arracher chaque morceau de ta peau, Irasandre, je pourrais voir
comme ça à quoi tu ressembles vraiment. Lâchais-je, me
relevant, pleurant à grosses larmes, bien consciente de m'être
faite manipuler depuis le début.
-Ma
pauvre petite, si tu savais que tu n'avais aucune chance, tu ne
serais pas si hautaine. Soufflait-elle avant de laisser
apparaître l'immense paire d'ailes rouges grésillantes dont elle
m'avait elle-même parlé auparavant. À défaut de ne pas
pouvoir t'absorber, je vais au moins corriger l'erreur de t'avoir
mise au monde, abjecte progéniture. Et après ça, j'envahirai le
monde pour en devenir la seule maîtresse, j'aurais bien le temps
d'expérimenter à nouveau une fois reine du monde. "
Une
nouvelle fois, elle lança un assaut contre moi, mais bien trop
rapidement, et bien trop violemment. Je volais en arrière, arrachant
la porte et ses gonds en tentant de parer son coup, planant sur
plusieurs mètres, m'écrasant au sol, amortie par le tapis. Je me
relevais difficilement mais encore plus furieuse que je ne l'étais.
Il allait falloir que je fasse mieux. Je durcissais ma poigne autour
du pommeau du sabre et me laissais envahir par la même puissance que
lorsque je m'étais battue la première fois contre Gnas.
Gnas.
Pourquoi fallait il que je pense à toi maintenant ? Pour avoir de
l'espoir peut-être. La silhouette de ce qui était ma mère,
traversait lentement le nuage de décombres, accompagné par ce bruit
ignoble.
"Constate
ta faiblesse, et arrête de lutter. Laisse moi finir de te détruire.
-Tu te
méprends encore une fois, Irasandre. Même si j'ai fait d'horribles
choses ces dernières semaines, j'ai des amis que je ne peux pas me
permettre d'abandonner avec la simple excuse de mourir. Tout ce que
j'ai fait, c'est de ta faute, tu me manipulais. Maintenant que je me
souviens, je sais que c'est moi qui ais détruit la ville dans
laquelle nous nous trouvons. Tu as beau être forte, tu n'es faite
que de chair !"
Hurlant,
je laissais à mon tour mes ailes apparaître, toujours aussi pâles
que la neige, tout comme l'épée qui garnissait ma seconde main.
"Alors
ça, c'est inna..."
Elle
n'eut pas le temps de finir sa phrase, c'est moi qui menais la charge
cette fois-ci. Mon front percutait le sien, s'en suivit un tourbillon
de frappes, je ne lui laissais pas une seconde de répit, elle avait
beau bloqué certaines de mes attaques, j'étais trop rapide pour
elle. Je me savais plus forte et me ruais sur elle, alternant
entailles avec coups, je la tenais, j'allais enfin me venger, j'avais
comblé ma mémoire, me rendant bien compte que tout n'était qu'une
vaste illusion pour oublier toutes les horreurs que j'avais vécu.
Elle allait payer.
Irasandre
la terrible était dépassée, malgré ses tentatives de riposte, je
ne prenais plus un seul coup, elle commençait à se vider de son
sang par les multiples plaies que j'avais creusé dans son corps. Je
l'avais repoussée dans la salle circulaire, elle était à ma merci,
chaque assaut la rapprochait inexorablement de sa fin. Je finissais
par la désarmer, et désormais elle était dos au mur, sa paire
d'ailes ne grésillait plus, perdait en intensité et finalement,
s'évanouissait. Je lui enfonçais le sabre d'acier dans le ventre,
traversant ses entrailles et allant jusqu'à planter la lame dans la
roche. Je me reculais d'un pas, la regardais, laissais mon arme de
lumière disparaître, mais martelais son visage de coups de poing.
Jusqu'à la voir incapable même d'ouvrir les yeux, je la frappais,
secouant son corps mou, se vidant de son sang à chaque martèlement.
Je fondais en larmes.
"Voilà,
le visage de celle qui m'a offert la vie. Je la cognais,
essoufflée, enragée de mon impuissance à contrôler ma vie. Voilà,
le visage que l'on donne à son pa-parent. Je hoquetais et
bégayais de tristesse. Je pensais retrouver une mère,
quelqu'un qui m'explique la vie, ma vie. Je me clarifiais la
gorge, déplaçais les cheveux qui me tombaient dans les yeux,
contemplais mes mains ensanglantées. Je ne trouve à cette place
qu'un monstre, qui a défiguré le sens de la vie ! Je la
frappais une dernière fois."
Sa
tête ne tenait même plus droite, elle était inerte, amochée,
contusionnée, boursouflée. Je reculais à nouveau de quelques pas.
J'étais dans l'incapacité de la reconnaître. Son visage ne
ressemblait plus à rien, son corps était tellement mou, que seul le
sabre retenu par le mur l'empêchait de s'effondrer.
Je
me détournais de sa vue, me retournais face à la ville, sûre de ma
victoire. Libérée de cette quête insensée pour essayer de
comprendre qui j'étais et qu'elle était mon histoire. Je n'en avais
juste pas, j'étais un être qui avait été privé de son origine.
Je n'étais et n'avais toujours été qu'un cobaye. J'étais
émancipée de mon manipulateur, à défaut de n'avoir eu aucune
réelle réponse à mes questions. Un bruit visqueux et ignoble
émanait d'Irasandre, je n'y prêtais pas spécialement garde, elle
devait finir de se vider de son sang. Je songeais désormais à mon
voyage retour, à Tne' et Gnas que j'allais enfin pouvoir retrouver,
les seuls vrais maillons de mon Histoire. Je n'étais plus le
réceptacle d'un monstre, j'allais pouvoir être moi.
Le
bruit écœurant persistait derrière moi, et je me retournais pour
constater le décès d'Irasandre.
Sauf
qu'elle se tenait debout, à quelques pas derrière moi, le
bourdonnement sinistre était revenu lui aussi subitement, son bras
était tendu dans ma direction, son corps meurtri de toutes les
entailles que je lui avais infligé, ses yeux cachés par la chair
que j'avais malaxé. Elle soufflait un ultime râle :
"Vole
ma fille, et quand tu retomberas, si jamais tu en vie, la haine que
tu as en toi finira de détruire ce que tu as commencé à briser par
toi-même, c'est un aller sans retour, cette fois-ci."
J'entrevois
cette boule mauve sortir de sa main et foncer dans ma direction, elle
s'immisce en moi et à la fois me traverse, j'entends le bris du
verre à mon passage, je suis éjectée, éjectée si loin, que c'est
comme si j'étais entrain de voler, voler sous ces nuages noirs et
mauves, une dernière fois je vois le ciel bleu au dessus de ma tête,
avant de fermer les yeux et de sentir tous mes os se briser, à
nouveau contre des rochers...
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