Le
reflux de l'océan caressait mon visage. Mon corps était endolori
par le froid maritime, mes tétons étaient givrés, ma peau durcie
par l'eau froide, alors que le soleil me brûlait les yeux que je
maintenais fermés. J'aimais bien ce contraste; une brise marine
s'engouffrait dans mes narines, me chatouillant, sans savoir où
j'étais, je ne m'y sentais pas si mal.
Je
toussais et par la-même réveillais une douleur aiguë dans mon
torse, comme si tous mes os étaient brisés. J'inspirais lentement
par le nez une bouffée d'air salvatrice, arrivée dans mes poumons,
cette dernière refit fonctionner mon cœur, qui lui me paraissait
lourd, plus lourd qu'un arbre centenaire, plus lourd qu'une montagne.
Sans encore savoir pourquoi, je me sentais rongée par une
culpabilité inexplicable, comme si l'univers entier m'accablait en
me désignant du doigt.
Le
ciel dut se ternir de nuages à ce moment-là, car je n'avais plus
chaud à la tête, mon cerveau au même moment s’emplit lui aussi
de ténèbres; et si la pluie ne tombait pas encore, dans mes yeux,
des torrents se déversaient alors que je prenais conscience,
confuse, de ce qu'il m'était arrivé, et de ce que j'avais fait.
Je
me souvenais de Gnas, de notre périple, de Tne' qui m'avait sauvée
et avec qui j'avais voyagé, je me rappelais avoir pris la décision
de me diriger à Teysandrul. Mes oreilles se mettaient à siffler.
Teysandrul et ses quartiers délabrés, ses murailles balafrées.
J'avais lutté avec Irasandre.
Irasandre...
Un
hurlement strident traversa mon esprit.
Je
me remémorais avoir frissonné en passant devant les geôles et
maintenant tout redevenait clair.
Mon
corps subitement me rappelait les agressions que j'avais subie, je me
revoyais endurer ma peine en silence, pour finalement devenir le
bourreau d'une ville entière. Mais qu'avais-je fait ? Tout est si
flou. Avais-je simplement rêvé de mon voyage partagé ?
Étais-je revenue au point de départ ? Est-ce que là
actuellement, j'étais à nouveau toute seule ? Personne
n'allait réellement venir me chercher, j'avais juste eu besoin de
m'inventer une belle histoire pour oublier l'enfer que j'avais vécu.
Pour oublier l'enfer que j'avais créé par ma colère.
Mais
qu'avais-je fait ? J'essayais d'ouvrir les yeux, mais le soleil
reparut à cet instant, et c'est comme si un éclair blanc venait de
m'aveugler.
Je
me retrouvais projetée dans un espace blanc, grand et clos. J'étais
seule et pourtant des voix, très troubles, sillonnaient l'air. Je me
levais et courais en les suivant mais quand je croyais les atteindre,
elles me paraissaient venir de derrière moi. J'ai couru de longues
minutes après ces chuchotements. Puis, plus rien.
Seule
dans cet enfer blanc, j'attendais en m'asseyant sur les genoux. Le
silence perdura quelques instants et enfin, des couleurs
apparaissaient, puis des silhouettes prenaient formes. Je les
reconnaissais avant qu'elles ne soient complètement distinctes, les
silhouettes étaient celles de Tne' et de Gna'. Je me retrouvais face
à mes propres hallucinations.
"Je
ne pense pas qu'elle se rende compte. Disait
Tne', le regard et le ton graves.
-Elle
est comme elle est. Si le sang est sa réponse, rien ne pourra
changer. Lui répondait Gna'.
-À
vouloir rendre la justice par la mort, on se donne le droit de juger
la vie entière; puisqu'il lui est si simple de tuer, elle va finir
par croire que sa justice est valable et ne deviendra rien d'autre
qu'une meurtrière. Qui ne vaut pas mieux que ceux que l'on
traque. Rétorquait Tne', furieux.
-Elle
a ses raisons, tu ne crois pas ? Essayait-elle de le
raisonner.
-Mais
vous, je nous vous ferais jamais de mal ! Hurlais-je sans
même attirer leur attention. Et j'ai mes raisons ! Laissez-moi
vous expliquer !
-Te
rappelles-tu Gnas, dans quel état t'avait laissé Evialg la première
fois que vous vous êtes battue ?
Je
prenais conscience même s'il s'agissait d'un rêve que je n'avais
pas été juste avec Gnas.
Si
tu avais été une humaine quelconque, tu serais morte, empalée et
nous aurions poursuivi notre chemin, comme si nous avions seulement
eu un caillou dans la chaussure. On s'arrête pour le jeter et on
repart.
-Un
combat reste un combat. Si je n'avais pas failli, c'est peut être
elle qui serait morte. Tu n'en sais rien. Reprenait-elle sans
s'être vexée de la comparaison. Toi aussi tu juges, tu la
juges, elle.
-Sauf
que je ne suis pas responsable de tant de morts qu'elle. Tu ne te
souviens pas à l'auberge ? Tu nous avais sauvés, et elle ne t'a
adressée que froideur et a été odieuse.
-C'est
faux ! J'aime Gnas, je l'aime plus que je ne m'aime moi ! Je ne sais
juste pas comment faire ! Regarde moi Gnas et ne l'écoute pas ! Je
m'étais approchée d'elle pour la secouer, pour qu'elle me voit et
m'entende, mais je ne pouvais ni la toucher, ni lui faire comprendre
que je lui parlais.
-C'est
vrai qu'elle n'a pas toujours été très sympa Evialg... Maugréait
Gnas.
-Ne
l'écoute pas je t'en supplie ! Je suis là ! Sauve moi
! M'égosillais-je.
-Evialg
vit avec son fardeau et seulement le sien. Si ce n'est pas un combat
qui a raison d'elle, c'est son égoïsme qui en viendra à
bout. Disait Tne sans une once de compassion dans la voix.
Je
m'étais recroquevillée sur moi-même, et pleurais à chaudes
larmes, dévastée par ces critiques, que d'une part je comprenais et
d'autre part je ne m'expliquais pas, rendant ces mots encore plus
durs qu'ils ne l'étaient déjà.
-Elle
finira seule, alors. Concluait Gnas."
J'étais
rongée par cette conversation. La pièce se grisait, mes deux
compagnons de voyage disparaissaient lentement, tandis que je sautais
vers Gnas pour la retenir, pour essayer de la blottir contre moi, son
regard se planta une dernière fois dans le mien, elle avait l'air
triste et déçue. Elle s'effaça dans un écran de poussière à mon
contact. Je pressais mes bras autour de moi. La pièce disparaissait
à son tour, et j'ouvrais les yeux lentement; mes oreilles,
noyées par la maigre hauteur d'eau, me renvoyaient de drôles de
sonorités, comme si quelqu'un gémissait dans l'eau. Je m'extirpais
le haut du corps, et les pleurs aquatiques se transformèrent en
chant d'oiseau et clapotis de vagues. Si mêmes mes rêves me
renvoyaient ça, je devais vraiment être mauvaise.
Mais
je n'avais pas choisi tout ça ! Pourquoi eux, que je croyais
être mes meilleurs amis, ne comprennent-ils pas que je suis comme ça
a cause de ce que j'ai vécu... Mais. Mais ils ne le savent pas.
Pourtant
je n'ai pas choisi d'être abandonnée puis kidnappée et encore
moins de me faire souiller. Je ne voulais pas devenir une meurtrière,
je ne voulais pas, je ne voulais pas !
"Personne
ne peut-il comprendre ma colère !?" Hurlais-je, quittant mes
pensées. Comment pourrais-je leur expliquer ? Comment vont ils le
prendre ? Ne vont ils pas croire que je me cherche une excuse
maintenant que j'ai pris conscience de ce qu'il s'était vraiment
passé ?
Puis
je me disais que je ne les avais peut être après tout, seulement
rêvés et c'est tout. Que je n'aurais donc pas à m'expliquer. Que
je n'aurais pas à avouer mon Amour à Gnas, que je n'aurais donc pas
à répondre de mes actes. Le seul prix à tout ça, c'est d'être et
de demeurer seule. À jamais. C'est le prix à payer si je ne veux
pas devenir un monstre à leurs yeux.
Je
laissais mon dos retomber dans l'eau, ma tête s’immerger et mes
oreilles me redonner les pleurs de l'océan. Mon enfermement allait
être compensé, cet océan sera mon tombeau.
Je
m'endormais, bercée par les vaguelettes. La nuit ne tarda pas à
arriver, et j'eus très froid, trop froid pour bouger, trop froid
pour me sortir de ce grand bain. Trop froid pour rester éveillée.
Peut-être même trop froid pour survivre.
Au
petit matin, ce sont les cris de dizaine de mouette qui me
réveillaient. Je ne sentais plus la fraîcheur de l'océan sur ma
peau, seul le sable me recouvrait. Même la mer ne me voulait pas en
son sein, et m'avait laissée sur une plage. Néanmoins, la chaleur
dégagée par le soleil sur ma peau nue, me faisait le plus grand
bien. Tout en gardant les yeux clos, je roulais sur l'étendue sablée
jusqu'à atteindre un endroit encore plus chaud, où je m'étendais,
l'esprit vide; me laissant porter par la torpeur, je sombrais à
nouveau; désormais écrasée par le rayonnement de l'astre du jour.
Comme l'écume des vagues, je me laissais bercer par le doux chant de
la houle, je quittais lentement la lumière pour rejoindre
l'obscurité du sommeil.
Mes
idées se mélangeaient les unes aux autres, tandis qu'un souvenir se
profilait pour occuper mon esprit. Une réminiscence qui me ramenait
quelques heures après l'assaut que nous avions essuyé dans la
forêt.
Gnas
m'avait portée du bosquet où elle m'avait protégée, jusqu'à un
village. Des heures durant, je n'avais vu que des branchages et le
ciel étoilé tout en étant ballottée dans tous les sens.
Finalement elle m'allongeait sur un lit dur comme du bois, dans une
maison qui sentait aussi mauvais qu'une étable. Peut-être m'avait
elle déposée dans une étable.
Même
dans ce rêve, je me souviens la voir partir, me laisser là, me
noyant dans la douleur. J'étais déchiquetée, j'avais mal. Et elle
partait. Elle m'abandonnait alors que je souffrais le martyr. Je me
souviens avoir attendu de longues minutes avant de tomber, cette
fois-ci aussi dans les ténèbres.
J'étais
secouée, brassée, ma somnolence s'estompait. Avant d'ouvrir les
yeux, je pensais me réveiller à cause de la marée, qui serait
montée pendant mon absence, mais cela n'expliquait pas la fièvre
qui me tordait de douleur, ni les sueurs froides qui dégoulinaient
de mon front, et je n'étais pas trempée. Le claquement des vagues
s'était pourtant intensifié, je n'entendais plus distinctement ce
qui se passait autour de moi. Je me sentais soulevée, remuée. Je
peinais à réouvrir les yeux, aveuglée par la pâleur du zénith.
J'étais certaine que quelqu'un était là. Mon état
m'empêchait cependant de savoir si je délirais ou si j'étais
lucide et consciente que l'on me déplaçait. Je me sentais perdue,
j'étais nue, sûrement inconsciente sur une plage; en fait pour en
revenir à mon problème habituel, je ne savais rien. Je me
replongeais dans mon souvenir pour fuir ce que je pouvais
potentiellement être entrain de vivre.
Cela
me ramenait dans la pièce malodorante, où j'attendais que quelque
chose se passe, ou que Gnas revienne si revenir elle devait.
Tourmentée par la douleur, j'en oubliais le temps, je ne pensais
plus qu'à mes pires tourments, la paranoïa me gagnait et j'étais
sûre que plus personne ne viendrait. J'allais être abandonnée
à mon sort, je fermais les yeux pour ne pas voir la fin arriver,
s'engouffrant par la porte et me dévorant.
Mais
subitement on m'embrassait, tendrement, chaudement. On me grignotait
la bouche, pas n'importe quelles lèvres étaient entrain de glisser
sur les miennes, je les avais déjà désirées auparavant, déjà
regardées, déjà effleurées. C'était la fin de mon rêve, mon
souvenir ne se terminait pas si mal que ça. J'ouvrais les yeux,
drapée dans une étoffe douce, je me retrouvais nez à nez avec
Gnas, j'étais éblouie par l'éclat du soleil qui faisait
scintiller le sable et l'océan, son regard ne m'avait pas encore
croisé , elle était trop occupée à frotter son front au mien.
Je
me sentais inondée par beaucoup d'énergie, j'entourais mollement
son cou de mes bras, et m'accrochais à sa bouche. Jamais plus je ne
te laisserai partir Gnas, je me le promettais en silence, espérant
que tout cela ne soit pas un rêve. Je décollais mes lèvres des
siennes, je souriais et elle aussi.
"Tu
es bien là Gnas ? C'est bien toi ? Lui glissais-je apeurée
que la réponse ne soit pas positive.
-En
chair et en sang Evi, c'est moi je suis bien là. Me
retournait-elle, la voix pleine de sanglots. Je n'aurais pas
dû partir, tu fais toujours des bêtises quand tu réfléchis seule.
J'ai bien cru que tu avais disparu de la surface de ce monde.
-Je
n'ai pas réussi à terrasser ma mère. J'étais trop sûre de moi,
cela m'a valu d'être éjectée je ne sais pas où. Pour finalement
me réveiller ici.
-Tne
m'a dit que c'était ici qu'il t'avait rencontrée la première fois.
Tu as été envoyée dans une montagne. Enfin ce n'était pas
vraiment toi. Elle défaisait le cocon de bras qui
m'entourait, passait sa main dans mes cheveux. J'ai dû te
terrasser, sous une forme draconique.
-Un
Dragon ? Tu as du te transformer en Dragon pour me vaincre ? Lui
demandais-je.
-Non,
c'était toi le Dragon. Tu étais ultra en colère, comme jamais je
ne t'avais vue auparavant. Puis, j'avoue que j'avais aussi une légère
rancune contre toi, alors tomber sur ton double mafé... mali...
Raaah, maléfique. Zut à la fin. Bref, j'ai pris mon pied à te
faire mordre la poussière.
-Je
n'aurais pas dû partir sans te dire où j'allais. Je n'aurais pas dû
partir sans toi. Je te demande de me pardonner Gnas. Depuis tout ce
temps, je... Je me sentais rougir comme une Croq-tomate. Je
te dois la vie, et pas qu'une fois en plus. J'avais tort de me croire
plus forte que toi. Quand tu n'es pas là, j'ai l'impression d'être
moins forte, et comme tu n'es pas là pour enchaîner les
catastrophes, c'est moi qui fait n'importe quoi. J'étais si près du
but Gnas, si près. J'ai retrouvé Irasandre.
-Et
alors ? Ces mots sortaient d'un buisson, qui recrachait en
plus un petit homme. Je savais bien que c'était cette
plage, mais les souvenirs filent ! Tne apparaissait à son
tour. Je t'avoue sans peine que j'ai bien failli ne pas
venir, moi.
-Tu
dis ça a cause de la Prêtresse, pervers. Surenchérissait
Gnas. Pendant que toi tu prenais une rouste Evi, Tne lui, se
régalait dans un village où les femmes ne portent pas de haut. Bon,
il était condamné à mort, mais ça c'est pas étonnant.
Finalement, la fille du chef lui a fait les yeux doux et...
-Merci
Gnas de résumer les choses comme ça et de déformer la
réalité. Soufflait Tne'.
-Mais
de rien. C'est toujours un plaisir de coltor... Tolcor.. Enfin de
dire les nouvelles, quoi.
-Tu
voulais dire colporter ? Lui demandais-je. C'est bien de
savoir que les choses allaient bien pour vous. Leur dis-je,
heureuse de retrouver ces deux êtres qui m'étaient si chers.
-Oui,
voilà.
-Sauf
que ce n'était pas que pour la Grande Prêtresse, j'avais peur, peur
de me retrouver à nouveau dans une embuscade, ou à devoir encore
éponger du sang qui ne devrait pas être versé si inutilement. Peur
d'être lié à vos agissements déraisonnés qui finiraient bien un
jour par avoir raison de moi. Mais... Il prenait un air
apaisé, inspirait l'air marin et se rapprochait de nous. Mais
même sans prendre de risque, même sans que vous n'en soyez
responsables, j'étais en effet amené à me faire tuer pour avoir
trouvé le village arboricole. Si Gnas n'était pas arrivée à cet
instant-là, je ne serais plus. Alors pendant que je m'entretenais
avec la Prêtresse..
-Ouiiiiii
? Lâchions-nous en chœur avec Gnas, nous doutant de ce
qu'il s'était sûrement passé.
-Ahem.
Il avait compris que nous avions interprété différemment son
entretien. Je me suis dit qu'entre mourir seul entouré
d'inconnus ou avec vous, je préférais encore trépasser à vos
côtés. Puis comme disait Gnas : "Si tu ne veux pas te battre,
quelqu'un sera bien obligé de le faire pour toi", je pense
avoir compris que c'était la réalité-même de Mithreilid. Si nous
ne décidons pas de changer la tournure du monde, quelqu'un sera bien
obligé de le faire et défigurera peut-être notre terre. Alors
c'est à nous d'agir.
Durant
un court laps de temps, Gnas et moi le regardions surprises, comme
choquées d'un tel élan de bravoure, surtout venant de Tne. Lui qui
n'était brave que pour épier les aventurières se lavant dans les
rivières, ou pour mettre des insectes en bocaux. Il reprenait.
Nous
devrions nous dire que nous ne nous devons rien. Nous passons notre
temps à nous sauver mutuellement, même s'il est vrai que Gnas passe
son temps à faire ça, nous sommes tous autant impliqués dans notre
situation et localisation actuelles. Plus qu'un groupe, nous formons
une équipe, je regrette d'avoir pensé à vous abandonner dans la
forêt. Mais j'en avais marre, un peu, de vous deux. Je pensais, un
peu simple, que tous les malheurs du monde vous étaient dûs. Je
n'aurais pas dû. Il
terminait sa phrase et nous rejoignait Gnas et moi, s'incorporant au
mic-mac charnel que nous formions. Nous
sommes invincibles si nous restons à trois, je ne douterai plus de
vous deux. Proclamait-il
en essayant de nous englober avec ses petits bras.
-Ça y
est tu as fini ? Gloussait Gnas.
-Mais
!
-Je
plaisantais, rolala. Ca fait toujours du bien d'entendre que l'on
n'est pas un monstre. Pas vrai Evi ?
Moi
j'étais effondrée, pas en mal, mais tant d'aveux et de mots
réconfortants me faisaient un bien fou. Je voyais la Gnas et le Tne
de mes rêves disparaître, je me sentais rassurée de ne pas avoir
été oubliée ici, réconfortée que toutes ces dernières heures de
mauvais délires se soldent par ces retrouvailles. Pour la première
fois dans ma vie, on m'avait extirpée de ma paranoïa et de mon
angoisse. Je n'allais pas perdre les pédales et faire n'importe
quoi. Pour une fois, c'était la joie qui noyait mon âme
plutôt que ses consoeurs colère et perdition. Quel soulagement.
Quel soulagement de connaître ces deux personnes qui me sont si
importantes.
"Et
Ira-truc alors, qu'est ce que tu as trouvé ? Pourquoi tu as parlé
de ta mère ? Me demandait Gnas.
-Quand
je suis partie après m'être rétablie, j'ai pris directement la
route de Teysandrul.
-Teysandrul
!?
-Teysandrul
?
Les
deux réagissaient à ce nom, mais pas de la même façon; Tne
semblait être inquiet à cette annonce, alors que Gnas ne savait
juste pas de quoi il s'agissait.
Teysandrul,
Gnas, c'est la ville sombre, le siège d'Irasandre, la cité qu'elle
gouverne. En tant que reine sombre.
-Aaaah,
mais vous en parliez l'autre soir, non ? Interrogeait Gnas en
regardant Tne'.
-En
effet, l'ancienne Grande Prêtresse semblait avoir été
contemporaine de cette dernière. Elle ne nous en a dit que du mal,
qu'elle pratiquait des rites sombres. Il se coupait net,
comme s'il voulait échapper à une vérité qu'il venait de
saisir. Attends, Evialg, pourquoi disais-tu que tu n'avais
pas réussi à terrasser ta mère ? Sur un ton anxieux.
-Et
bien... Je ne savais pas si je devais leur dire pour
Irasandre, pour Teysandrul, pour moi; pour une fois je savais, depuis
que je foulais Mithreilid en leur compagnie, je pouvais en fin
affirmer savoir ce que j'avais fait et qui j'étais en
partie. Je... J'étais médusée, un peu intimidée
par leurs regards impatients, et surtout je craignais que ces
révélations les effraient. Je suis partie vers Teysandrul
parce que quelque chose ou quelqu'un m'y appelait, j'avais l'intime
conviction que j'en apprendrais plus là-bas. Je me demandais
encore si je faisais bien de leur raconter. Une fois sur
place, j'ai ressenti un profond mal-être en voyant certaines
bâtisses, en passant à certains endroits, j'avais l'impression de
connaître mais d'en avoir gardé un souvenir amer. J'avais appris
plus tôt qu'Irasandre avait été ou était encore souveraine de
Teysandrul. J'ai donc été jusqu'à la tour de commandement en plein
centre ville, un bâtiment immense rempli d'idiots. En gagnant le
plus haut étage, j'ai fait face à Irasandre, toujours reine,
toujours puissante et... C'était le moment de me taire ou
d'assumer. Et...
-Allez,
dis ! Venait de s'exclamer Gnas.
-Et
j'ai surtout fait face à la vérité, Irasandre m'a avouée avoir
seulement usé de moi, sa fille, pour essayer de gagner quelques
années de vie. Lâchais-je à bout de souffle.
-Oh. Se
contentait de dire Tne, sidéré.
-Mais
ça veut dire que la reine sombre, c'est ta mère ?! Lançait
Gnas, faisant remarquer qu'elle avait compris.
Waouh. S'interrompait-elle.
-Je
pensais avoir réussi à la vaincre. Je l'ai mise en pièces, lui ai
tournée le dos quelques instants mais elle s'était remise, et m'a
éjectée de la tour, sauf qu'à ce moment-là c'est comme si j'avais
été intérieurement coupée en deux. Je devais leur
dire. Une partie de moi, tu l'as combattue Gnas, l'autre, a
échoué ici, là où j'avais mis fin à mes jours, avant que
Tne' ne me trouve.
-Tu
t'étais suicidée ?! Scandait Tne', choqué. Mais
pourquoi ? Et pourquoi ne pas me l'avoir dit alors ? Pourquoi ne pas
me l'avoir énoncé quand je t'ai repêché ?!
-Parce
que je ne le savais pas. Lui répondais-je calmement. Mes
souvenirs se sont décantés, où ont été amenés à se clarifier,
seulement grâce à une suite d'événements tenant du hasard et de
la manipulation. Irasandre a trouvé un moyen de faire suivre notre
voyage, elle a fait remettre son chaperon à une auberge sur notre
chemin et a envoyé des milices dans notre sillon, tout ça pour
me faire retourner à Teysandrul où j'avais déjà été, d'où ces
horribles sensations passagères. Je sentais les larmes
monter à mes yeux et mon souffle se tarissait. J'y ai été
enfermée sous les ordres d'Irasandre, torturée et violée. Je ne
sais pas ce qu'il s'est passé exactement dans ces cachots, mais j'ai
acquis la force de m'en libérer et... J'allais endosser la
responsabilité d'une terrible réalité. Et je m'en suis servie
pour massacrer les habitants de Teysandrul et ravager la
cité. J'éclatais en sanglot. Comprenez bien que je
ne voulais pas, je ne voulais pas faire ça. Je ne voulais pas avoir
pu être responsable de ça. Et c'est pour ça que je me suis donnée
la mort, ici même sur cette île. Il y a plus d'une centaine de
cycles. Voici la deuxième fois que je meurs, deuxième fois que
j'accède à une autre chance. Quand je regarde devant moi, je vous
vois dans mon avenir, mais quand je me tourne en arrière, je ne vois
que la mort, celle qui m'habite et que je propage. Je veux avoir foi
en ce qui vient, foi en vous.
"Néanmoins
mettre à mal la Reine Sombre et enrayer ses sombres desseins ça ne
va pas être simple. Ronchonnait Tne', qui semblait avoir
fait son choix.
-Elle
est forte mais loin d'être invincible, j'y étais vraiment
presque. Je soufflais. Mais c'est vrai que la vue était
assez spectaculaire, voir cette immense cité depuis une telle
hauteur, ça et le fait que je croyais avoir réussi à occire
Irasandre, j'étais aux anges. J'ai été trop bête.
-Elle
était morte et est revenue à la vie ? M'interrogeait Gnas.
-Non
elle a du feindre d'être à bout après s'être retrouvée clouée
au mur et que je l'ai arrosée de coups.
-Sympa
les réunions de famille. Ironisait Tne'. Qu'est ce que
ça doit être quand vous avez vraiment quelque chose à vous
reprocher...
-Mais
elle s'est liquéfiée pour se sortir de son attache, et là...
-Là
quoi ? Continuait Tne.
-À ce
moment-là elle m'a dévastée. Je me suis retrouvée face à un
flash mauve et grésillant. J'ai déjà vu quelques prouesses
magiques mais là ça les dépassait de loin. Puis la force de sa
magie.. Je me suis envolée comme une feuille sous une bourrasque.
-Peut-être
que tous les trois nous y arriverons ! Lançait Gnas
optimiste.
-C'est
vrai que nous multiplions nos chances de la battre. Tne' me
regardait. Il semblerait que Gnas soit devenue très forte,
soulignaient Eruxul et l'ancienne Grande Prêtresse. Aetherys avait
même l'air de dire que son arme choisissait son guerrier, notre Gnas
doit avoir un sacré potentiel.
-Elle
est assez massive c'est vrai. Constatais-je en l'observant,
Gnas ayant fait un demi-tour sur elle-même. Elle est belle
aussi, c'est... Ma vue s'était arrêtée sur le postérieur de Gnas.
Bien bombé, on a envie de le pétrir. M'égarais-je.
-Hein
? Demandaient les deux autres surpris.
-Non
ce que je voulais dire, c'est que c'est de la bombe et qu'on a envie
d'en pâtir pour ceux qui la croiserons. Essayais-je de me
reprendre, gênée.
-Avoue
qu'elles t'ont manquées. Me taquinait Gnas, qui semblait
avoir compris, s'était retournée et venait de se plaquer contre
moi, saisissant une de mes mains et la plaçant sur ses fesses. Nous
avons plein de choses à rattraper toi et moi. Elle regardait
Tne'. Et toi tu seras pas là à ce moment-là ! De toute
façon tu as déjà ta prêtresse. Gloussait-elle.
-Ces
idées toutes faites que tu as, toi. Rétorquait-il. De
toute façon vos cochonneries...
-C'est
bon, hein, fais pas comme si tu ne nous regardais pas quand nous nous
lavons dans les rivières. Je sais qu'en plus tu profites de me
soigner pour me tripoter.
-Pas
du tout. Le palpage est professionnel. Jamais personnel.
-C'est
ça, oui. Prends moi pour une truffe. C'est le moment Evi', nous
devons soutenir notre cause, protéger notre pudeur !
Moi
je ne disais rien, et me contentais de lui sourire. Cet enchaînement
de satisfaction et ce "palpage" comme l'aurait dit Tne',
m'avait rendue toute chose, et je sentais une coulée chaude le long
de mes cuisses. Gnas venait de m'attiser comme une folle. Pourtant la
dernière fois, dans le cellier de l'auberge, j'avais plus eu
l'impression de la brusquer qu'autre chose. Mais là son message
semblait clair. Je songeais à son arme aussi et me rendais compte
que mon sabre avait dû rester dans la tour de Teysandrul.
-J'ai
perdu mon sabre aussi. C'est bien bête. Laissais-je échapper en
quittant mes pensées.
-Tu ne
peux plus faire apparaître l'autre ? Demandait curieuse
Gnas.
-Je
n'en sais rien. Et si je n'y arrivais plus me disais-je. Je
tendais mon bras et serrais ma main, me concentrais pour voir si je
pouvais encore invoquer mon arme. Une quantité d'énergie incroyable
traversa mon corps et sous le regard de Gnas et Tne, lentement, mon
arme prenait forme.
-Mais
elle...
-Elle
n'est plus blanche du tout !" S'exclamait Tne'.
Dans
mes doigts, un pommeau double trônait, il était sombre comme
l'ébène, tandis que la lame, elle, a la manière d'un millier
d'insectes, vibrait et produisait un bourdonnement infernal, tout en
brillant d'un éclat pourpre vif. Plusieurs images se succédèrent
dans ma tête. Une lame, une marque runique, du sang, Irasandre, une
cité en feu et pour finir, moi, avec une couronne sur la tête.
J'étais extraite de mes songes, perdais la canalisation de mon arme
et retombais à genoux.
"Ce
n'est pas bon du tout, ça." Me
contentais-je de dire.
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