vendredi 3 octobre 2014

Chapitre XXVIII : Ondes et souvenirs


Le reflux de l'océan caressait mon visage. Mon corps était endolori par le froid maritime, mes tétons étaient givrés, ma peau durcie par l'eau froide, alors que le soleil me brûlait les yeux que je maintenais fermés. J'aimais bien ce contraste; une brise marine s'engouffrait dans mes narines, me chatouillant, sans savoir où j'étais, je ne m'y sentais pas si mal.

 Je toussais et par la-même réveillais une douleur aiguë dans mon torse, comme si tous mes os étaient brisés. J'inspirais lentement par le nez une bouffée d'air salvatrice, arrivée dans mes poumons, cette dernière refit fonctionner mon cœur, qui lui me paraissait lourd, plus lourd qu'un arbre centenaire, plus lourd qu'une montagne. Sans encore savoir pourquoi, je me sentais rongée par une culpabilité inexplicable, comme si l'univers entier m'accablait en me désignant du doigt.

 Le ciel dut se ternir de nuages à ce moment-là, car je n'avais plus chaud à la tête, mon cerveau au même moment s’emplit lui aussi de ténèbres; et si la pluie ne tombait pas encore, dans mes yeux, des torrents se déversaient alors que je prenais conscience, confuse, de ce qu'il m'était arrivé, et de ce que j'avais fait.

 Je me souvenais de Gnas, de notre périple, de Tne' qui m'avait sauvée et avec qui j'avais voyagé, je me rappelais avoir pris la décision de me diriger à Teysandrul. Mes oreilles se mettaient à siffler. Teysandrul et ses quartiers délabrés, ses murailles balafrées. J'avais lutté avec Irasandre.
Irasandre...
Un hurlement strident traversa mon esprit.
 Je me remémorais avoir frissonné en passant devant les geôles et maintenant tout redevenait clair.
 Mon corps subitement me rappelait les agressions que j'avais subie, je me revoyais endurer ma peine en silence, pour finalement devenir le bourreau d'une ville entière. Mais qu'avais-je fait ? Tout est si flou. Avais-je simplement rêvé de mon voyage partagé ?  Étais-je revenue au point de départ ?  Est-ce que là actuellement, j'étais à nouveau toute seule ?  Personne n'allait réellement venir me chercher, j'avais juste eu besoin de m'inventer une belle histoire pour oublier l'enfer que j'avais vécu. Pour oublier l'enfer que j'avais créé par ma colère.

 Mais qu'avais-je fait ? J'essayais d'ouvrir les yeux, mais le soleil reparut à cet instant, et c'est comme si un éclair blanc venait de m'aveugler.
 Je me retrouvais projetée dans un espace blanc, grand et clos. J'étais seule et pourtant des voix, très troubles, sillonnaient l'air. Je me levais et courais en les suivant mais quand je croyais les atteindre, elles me paraissaient venir de derrière moi. J'ai couru de longues minutes après ces chuchotements. Puis, plus rien.
 Seule dans cet enfer blanc, j'attendais en m'asseyant sur les genoux. Le silence perdura quelques instants et enfin, des couleurs apparaissaient, puis des silhouettes prenaient formes. Je les reconnaissais avant qu'elles ne soient complètement distinctes, les silhouettes étaient celles de Tne' et de Gna'. Je me retrouvais face à mes propres hallucinations.

 "Je ne pense pas qu'elle se rende compte. Disait Tne', le regard et le ton graves.
-Elle est comme elle est. Si le sang est sa réponse, rien ne pourra changer. Lui répondait Gna'.
-À vouloir rendre la justice par la mort, on se donne le droit de juger la vie entière; puisqu'il lui est si simple de tuer, elle va finir par croire que sa justice est valable et ne deviendra rien d'autre qu'une meurtrière. Qui ne vaut pas mieux que ceux que l'on traque. Rétorquait Tne', furieux.
-Elle a ses raisons, tu ne crois pas ? Essayait-elle de le raisonner.
-Mais vous, je nous vous ferais jamais de mal ! Hurlais-je sans même attirer leur attention. Et j'ai mes raisons ! Laissez-moi vous expliquer !
-Te rappelles-tu Gnas, dans quel état t'avait laissé Evialg la première fois que vous vous êtes battue ?
 Je prenais conscience même s'il s'agissait d'un rêve que je n'avais pas été juste avec Gnas.
 Si tu avais été une humaine quelconque, tu serais morte, empalée et nous aurions poursuivi notre chemin, comme si nous avions seulement eu un caillou dans la chaussure. On s'arrête pour le jeter et on repart.
-Un combat reste un combat. Si je n'avais pas failli, c'est peut être elle qui serait morte. Tu n'en sais rien. Reprenait-elle sans s'être vexée de la comparaison. Toi aussi tu juges, tu la juges, elle.
-Sauf que je ne suis pas responsable de tant de morts qu'elle. Tu ne te souviens pas à l'auberge ? Tu nous avais sauvés, et elle ne t'a adressée que froideur et a été odieuse.
-C'est faux ! J'aime Gnas, je l'aime plus que je ne m'aime moi ! Je ne sais juste pas comment faire ! Regarde moi Gnas et ne l'écoute pas ! Je m'étais approchée d'elle pour la secouer, pour qu'elle me voit et m'entende, mais je ne pouvais ni la toucher, ni lui faire comprendre que je lui parlais.
-C'est vrai qu'elle n'a pas toujours été très sympa Evialg... Maugréait Gnas.
-Ne l'écoute pas je t'en supplie ! Je suis là !  Sauve moi ! M'égosillais-je.
-Evialg vit avec son fardeau et seulement le sien. Si ce n'est pas un combat qui a raison d'elle, c'est son égoïsme qui en viendra à bout. Disait Tne sans une once de compassion dans la voix.
 Je m'étais recroquevillée sur moi-même, et pleurais à chaudes larmes, dévastée par ces critiques, que d'une part je comprenais et d'autre part je ne m'expliquais pas, rendant ces mots encore plus durs qu'ils ne l'étaient déjà.
-Elle finira seule, alors. Concluait Gnas."

 J'étais rongée par cette conversation. La pièce se grisait, mes deux compagnons de voyage disparaissaient lentement, tandis que je sautais vers Gnas pour la retenir, pour essayer de la blottir contre moi, son regard se planta une dernière fois dans le mien, elle avait l'air triste et déçue. Elle s'effaça dans un écran de poussière à mon contact. Je pressais mes bras autour de moi. La pièce disparaissait à son tour, et j'ouvrais les  yeux lentement; mes oreilles, noyées par la maigre hauteur d'eau, me renvoyaient de drôles de sonorités, comme si quelqu'un gémissait dans l'eau. Je m'extirpais le haut du corps, et les pleurs aquatiques se transformèrent en chant d'oiseau et clapotis de vagues. Si mêmes mes rêves me renvoyaient ça, je devais vraiment être mauvaise.
 Mais je n'avais pas choisi tout ça !  Pourquoi eux, que je croyais être mes meilleurs amis, ne comprennent-ils pas que je suis comme ça a cause de ce que j'ai vécu... Mais. Mais ils ne le savent pas.
 Pourtant je n'ai pas choisi d'être abandonnée puis kidnappée et encore moins de me faire souiller. Je ne voulais pas devenir une meurtrière, je ne voulais pas, je ne voulais pas !

 "Personne ne peut-il comprendre ma colère !?" Hurlais-je, quittant mes pensées. Comment pourrais-je leur expliquer ? Comment vont ils le prendre ? Ne vont ils pas croire que je me cherche une excuse maintenant que j'ai pris conscience de ce qu'il s'était vraiment passé ?

 Puis je me disais que je ne les avais peut être après tout, seulement rêvés et c'est tout. Que je n'aurais donc pas à m'expliquer. Que je n'aurais pas à avouer mon Amour à Gnas, que je n'aurais donc pas à répondre de mes actes. Le seul prix à tout ça, c'est d'être et de demeurer seule. À jamais. C'est le prix à payer si je ne veux pas devenir un monstre à leurs yeux.
 Je laissais mon dos retomber dans l'eau, ma tête s’immerger et mes oreilles me redonner les pleurs de l'océan. Mon enfermement allait être compensé, cet océan sera mon tombeau.

 Je m'endormais, bercée par les vaguelettes. La nuit ne tarda pas à arriver, et j'eus très froid, trop froid pour bouger, trop froid pour me sortir de ce grand bain. Trop froid pour rester éveillée. Peut-être même trop froid pour survivre.

 Au petit matin, ce sont les cris de dizaine de mouette qui me réveillaient. Je ne sentais plus la fraîcheur de l'océan sur ma peau, seul le sable me recouvrait. Même la mer ne me voulait pas en son sein, et m'avait laissée sur une plage. Néanmoins, la chaleur dégagée par le soleil sur ma peau nue, me faisait le plus grand bien. Tout en gardant les yeux clos, je roulais sur l'étendue sablée jusqu'à atteindre un endroit encore plus chaud, où je m'étendais, l'esprit vide; me laissant porter par la torpeur, je sombrais à nouveau; désormais écrasée par le rayonnement de l'astre du jour. Comme l'écume des vagues, je me laissais bercer par le doux chant de la houle, je quittais lentement la lumière pour rejoindre l'obscurité du sommeil.

 Mes idées se mélangeaient les unes aux autres, tandis qu'un souvenir se profilait pour occuper mon esprit. Une réminiscence qui me ramenait quelques heures après l'assaut que nous avions essuyé dans la forêt.

 Gnas m'avait portée du bosquet où elle m'avait protégée, jusqu'à un village. Des heures durant, je n'avais vu que des branchages et le ciel étoilé tout en étant ballottée dans tous les sens. Finalement elle m'allongeait sur un lit dur comme du bois, dans une maison qui sentait aussi mauvais qu'une étable. Peut-être m'avait elle déposée dans une étable.
 Même dans ce rêve, je me souviens la voir partir, me laisser là, me noyant dans la douleur. J'étais déchiquetée, j'avais mal. Et elle partait. Elle m'abandonnait alors que je souffrais le martyr. Je me souviens avoir attendu de longues minutes avant de tomber, cette fois-ci aussi dans les ténèbres.

 J'étais secouée, brassée, ma somnolence s'estompait. Avant d'ouvrir les yeux, je pensais me réveiller à cause de la marée, qui serait montée pendant mon absence, mais cela n'expliquait pas la fièvre qui me tordait de douleur, ni les sueurs froides qui dégoulinaient de mon front, et je n'étais pas trempée. Le claquement des vagues s'était pourtant intensifié, je n'entendais plus distinctement ce qui se passait autour de moi. Je me sentais soulevée, remuée. Je peinais à réouvrir les yeux, aveuglée par la pâleur du zénith. J'étais certaine que quelqu'un était là.  Mon état m'empêchait cependant de savoir si je délirais ou si j'étais lucide et consciente que l'on me déplaçait. Je me sentais perdue, j'étais nue, sûrement inconsciente sur une plage; en fait pour en revenir à mon problème habituel, je ne savais rien. Je me replongeais dans mon souvenir pour fuir ce que je pouvais potentiellement être entrain de vivre.

 Cela me ramenait dans la pièce malodorante, où j'attendais que quelque chose se passe, ou que Gnas revienne si revenir elle devait. Tourmentée par la douleur, j'en oubliais le temps, je ne pensais plus qu'à mes pires tourments, la paranoïa me gagnait et j'étais sûre que plus personne ne viendrait.  J'allais être abandonnée à mon sort, je fermais les yeux pour ne pas voir la fin arriver, s'engouffrant par la porte et me dévorant.

 Mais subitement on m'embrassait, tendrement, chaudement. On me grignotait la bouche, pas n'importe quelles lèvres étaient entrain de glisser sur les miennes, je les avais déjà désirées auparavant, déjà regardées, déjà effleurées. C'était la fin de mon rêve, mon souvenir ne se terminait pas si mal que ça. J'ouvrais les yeux, drapée dans une étoffe douce, je me retrouvais nez à nez avec Gnas, j'étais éblouie par l'éclat du soleil  qui faisait scintiller le sable et l'océan, son regard ne m'avait pas encore croisé , elle était trop occupée à frotter son front au mien.
 Je me sentais inondée par beaucoup d'énergie, j'entourais mollement son cou de mes bras, et m'accrochais à sa bouche. Jamais plus je ne te laisserai partir Gnas, je me le promettais en silence, espérant que tout cela ne soit pas un rêve. Je décollais mes lèvres des siennes, je souriais et elle aussi.
"Tu es bien là Gnas ? C'est bien toi ? Lui glissais-je apeurée que la réponse ne soit pas positive.
-En chair et en sang Evi, c'est moi je suis bien là.  Me retournait-elle, la voix pleine de sanglots. Je n'aurais pas dû partir, tu fais toujours des bêtises quand tu réfléchis seule. J'ai bien cru que tu avais disparu de la surface de ce monde.
-Je n'ai pas réussi à terrasser ma mère. J'étais trop sûre de moi, cela m'a valu d'être éjectée je ne sais pas où. Pour finalement me réveiller ici.
-Tne m'a dit que c'était ici qu'il t'avait rencontrée la première fois. Tu as été envoyée dans une montagne. Enfin ce n'était pas vraiment toi. Elle défaisait le cocon de bras qui m'entourait, passait sa main dans mes cheveux. J'ai dû te terrasser, sous une forme draconique.
-Un Dragon ? Tu as du te transformer en Dragon pour me vaincre ? Lui demandais-je.
-Non, c'était toi le Dragon. Tu étais ultra en colère, comme jamais je ne t'avais vue auparavant. Puis, j'avoue que j'avais aussi une légère rancune contre toi, alors tomber sur ton double mafé... mali... Raaah, maléfique. Zut à la fin. Bref, j'ai pris mon pied à te faire mordre la poussière.
-Je n'aurais pas dû partir sans te dire où j'allais. Je n'aurais pas dû partir sans toi. Je te demande de me pardonner Gnas. Depuis tout ce temps, je... Je me sentais rougir comme une Croq-tomate. Je te dois la vie, et pas qu'une fois en plus. J'avais tort de me croire plus forte que toi. Quand tu n'es pas là, j'ai l'impression d'être moins forte, et comme tu n'es pas là pour enchaîner les catastrophes, c'est moi qui fait n'importe quoi. J'étais si près du but Gnas, si près. J'ai retrouvé Irasandre.
-Et alors ? Ces mots sortaient d'un buisson, qui recrachait en plus un petit homme. Je savais bien que c'était cette plage, mais les souvenirs filent ! Tne apparaissait à son tour. Je t'avoue sans peine que j'ai bien failli ne pas venir, moi.
-Tu dis ça a cause de la Prêtresse, pervers. Surenchérissait Gnas. Pendant que toi tu prenais une rouste Evi, Tne lui, se régalait dans un village où les femmes ne portent pas de haut. Bon, il était condamné à mort, mais ça c'est pas étonnant. Finalement, la fille du chef lui a fait les yeux doux et...
-Merci Gnas de résumer les choses comme ça et de déformer la réalité. Soufflait Tne'.
-Mais de rien. C'est toujours un plaisir de coltor... Tolcor.. Enfin de dire les nouvelles, quoi.
-Tu voulais dire colporter ? Lui demandais-je. C'est bien de savoir que les choses allaient bien pour vous. Leur dis-je, heureuse de retrouver ces deux êtres qui m'étaient si chers.
-Oui, voilà.
-Sauf que ce n'était pas que pour la Grande Prêtresse, j'avais peur, peur de me retrouver à nouveau dans une embuscade, ou à devoir encore éponger du sang qui ne devrait pas être versé si inutilement. Peur d'être lié à vos agissements déraisonnés qui finiraient bien un jour par avoir raison de moi. Mais... Il prenait un air apaisé, inspirait l'air marin et se rapprochait de nous. Mais même sans prendre de risque, même sans que vous n'en soyez responsables, j'étais en effet amené à me faire tuer pour avoir trouvé le village arboricole. Si Gnas n'était pas arrivée à cet instant-là, je ne serais plus. Alors pendant que je m'entretenais avec la Prêtresse.. 
-Ouiiiiii ? Lâchions-nous en chœur avec Gnas, nous doutant de ce qu'il s'était sûrement passé.
-Ahem. Il avait compris que nous avions interprété différemment son entretien. Je me suis dit qu'entre mourir seul entouré d'inconnus ou avec vous, je préférais encore trépasser à vos côtés. Puis comme disait Gnas : "Si tu ne veux pas te battre, quelqu'un sera bien obligé de le faire pour toi", je pense avoir compris que c'était la réalité-même de Mithreilid. Si nous ne décidons pas de changer la tournure du monde, quelqu'un sera bien obligé de le faire et défigurera peut-être notre terre. Alors c'est à nous d'agir.
 Durant un court laps de temps, Gnas et moi le regardions surprises, comme choquées d'un tel élan de bravoure, surtout venant de Tne. Lui qui n'était brave que pour épier les aventurières se lavant dans les rivières, ou pour mettre des insectes en bocaux. Il reprenait.
 Nous devrions nous dire que nous ne nous devons rien. Nous passons notre temps à nous sauver mutuellement, même s'il est vrai que Gnas passe son temps à faire ça, nous sommes tous autant impliqués dans notre situation et localisation actuelles. Plus qu'un groupe, nous formons une équipe, je regrette d'avoir pensé à vous abandonner dans la forêt. Mais j'en avais marre, un peu, de vous deux. Je pensais, un peu simple, que tous les malheurs du monde vous étaient dûs. Je n'aurais pas dû. Il terminait sa phrase et nous rejoignait Gnas et moi, s'incorporant au mic-mac charnel que nous formions. Nous sommes invincibles si nous restons à trois, je ne douterai plus de vous deux. Proclamait-il en essayant de nous englober avec ses petits bras.
-Ça y est tu as fini ? Gloussait Gnas. 
-Mais !
-Je plaisantais, rolala. Ca fait toujours du bien d'entendre que l'on n'est pas un monstre. Pas vrai Evi ?  

 Moi j'étais effondrée, pas en mal, mais tant d'aveux et de mots réconfortants me faisaient un bien fou. Je voyais la Gnas et le Tne de mes rêves disparaître, je me sentais rassurée de ne pas avoir été oubliée ici, réconfortée que toutes ces dernières heures de mauvais délires se soldent par ces retrouvailles. Pour la première fois dans ma vie, on m'avait extirpée de ma paranoïa et de mon angoisse. Je n'allais pas perdre les pédales et faire n'importe quoi.  Pour une fois, c'était la joie qui noyait mon âme plutôt que ses consoeurs colère et perdition. Quel soulagement. Quel soulagement de connaître ces deux personnes qui me sont si importantes.

"Et Ira-truc alors, qu'est ce que tu as trouvé ? Pourquoi tu as parlé de ta mère ?  Me demandait Gnas.
-Quand je suis partie après m'être rétablie, j'ai pris directement la route de Teysandrul.
-Teysandrul !?
-Teysandrul ?
 Les deux réagissaient à ce nom, mais pas de la même façon; Tne semblait être inquiet à cette annonce, alors que Gnas ne savait juste pas de quoi il s'agissait.
 Teysandrul, Gnas, c'est la ville sombre, le siège d'Irasandre, la cité qu'elle gouverne. En tant que reine sombre. 
-Aaaah, mais vous en parliez l'autre soir, non ? Interrogeait Gnas en regardant Tne'.
-En effet, l'ancienne Grande Prêtresse semblait avoir été contemporaine de cette dernière. Elle ne nous en a dit que du mal, qu'elle pratiquait des rites sombres. Il se coupait net, comme s'il voulait échapper à une vérité qu'il venait de saisir. Attends, Evialg, pourquoi disais-tu que tu n'avais pas réussi à terrasser ta mère ? Sur un ton anxieux.
-Et bien... Je ne savais pas si je devais leur dire pour Irasandre, pour Teysandrul, pour moi; pour une fois je savais, depuis que je foulais Mithreilid en leur compagnie, je pouvais en fin affirmer savoir ce que j'avais fait et qui j'étais en partie. Je... J'étais médusée, un peu intimidée par leurs regards impatients, et surtout je craignais que ces révélations les effraient. Je suis partie vers Teysandrul parce que quelque chose ou quelqu'un m'y appelait, j'avais l'intime conviction que j'en apprendrais plus là-bas. Je me demandais encore si je faisais bien de leur raconter. Une fois sur place, j'ai ressenti un profond mal-être en voyant certaines bâtisses, en passant à certains endroits, j'avais l'impression de connaître mais d'en avoir gardé un souvenir amer. J'avais appris plus tôt qu'Irasandre avait été ou était encore souveraine de Teysandrul. J'ai donc été jusqu'à la tour de commandement en plein centre ville, un bâtiment immense rempli d'idiots. En gagnant le plus haut étage, j'ai fait face à Irasandre, toujours reine, toujours puissante et... C'était le moment de me taire ou d'assumer.  Et...
-Allez, dis ! Venait de s'exclamer Gnas.
-Et j'ai surtout fait face à la vérité, Irasandre m'a avouée avoir seulement usé de moi, sa fille, pour essayer de gagner quelques années de vie. Lâchais-je à bout de souffle.
-Oh. Se contentait de dire Tne, sidéré.
-Mais ça veut dire que la reine sombre, c'est ta mère ?! Lançait Gnas, faisant remarquer qu'elle avait compris. Waouh. S'interrompait-elle.
-Je pensais avoir réussi à la vaincre. Je l'ai mise en pièces, lui ai tournée le dos quelques instants mais elle s'était remise, et m'a éjectée de la tour, sauf qu'à ce moment-là c'est comme si j'avais été intérieurement coupée en deux. Je devais leur dire. Une partie de moi, tu l'as combattue Gnas, l'autre, a échoué ici, là où j'avais mis fin à mes jours,  avant que Tne' ne me trouve.
-Tu t'étais suicidée ?! Scandait Tne', choqué. Mais pourquoi ? Et pourquoi ne pas me l'avoir dit alors ? Pourquoi ne pas me l'avoir énoncé quand je t'ai repêché ?!
-Parce que je ne le savais pas. Lui répondais-je calmement. Mes souvenirs se sont décantés, où ont été amenés à se clarifier, seulement grâce à une suite d'événements tenant du hasard et de la manipulation. Irasandre a trouvé un moyen de faire suivre notre voyage, elle a fait remettre son chaperon à une auberge sur notre chemin et a envoyé des milices dans notre sillon, tout ça pour me faire retourner à Teysandrul où j'avais déjà été, d'où ces horribles sensations passagères. Je sentais les larmes monter à mes yeux et mon souffle se tarissait. J'y ai été enfermée sous les ordres d'Irasandre, torturée et violée. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé exactement dans ces cachots, mais j'ai acquis la force de m'en libérer et... J'allais endosser la responsabilité d'une terrible réalité. Et je m'en suis servie pour massacrer les habitants de Teysandrul et ravager la cité. J'éclatais en sanglot. Comprenez bien que je ne voulais pas, je ne voulais pas faire ça. Je ne voulais pas avoir pu être responsable de ça. Et c'est pour ça que je me suis donnée la mort, ici même sur cette île. Il y a plus d'une centaine de cycles. Voici la deuxième fois que je meurs, deuxième fois que j'accède à une autre chance. Quand je regarde devant moi, je vous vois dans mon avenir, mais quand je me tourne en arrière, je ne vois que la mort, celle qui m'habite et que je propage. Je veux avoir foi en ce qui vient, foi en vous.
"Néanmoins mettre à mal la Reine Sombre et enrayer ses sombres desseins ça ne va pas être simple. Ronchonnait Tne', qui semblait avoir fait son choix.
-Elle est forte mais loin d'être invincible, j'y étais vraiment presque. Je soufflais. Mais c'est vrai que la vue était assez spectaculaire, voir cette immense cité depuis une telle hauteur, ça et le fait que je croyais avoir réussi à occire Irasandre, j'étais aux anges. J'ai été trop bête. 
-Elle était morte et est revenue à la vie ? M'interrogeait Gnas.
-Non elle a du feindre d'être à bout après s'être retrouvée clouée au mur et que je l'ai arrosée de coups. 
-Sympa les réunions de famille. Ironisait Tne'. Qu'est ce que ça doit être quand vous avez vraiment quelque chose à vous reprocher...
-Mais elle s'est liquéfiée pour se sortir de son attache, et là...
-Là quoi ? Continuait Tne.
-À ce moment-là elle m'a dévastée. Je me suis retrouvée face à un flash mauve et grésillant. J'ai déjà vu quelques prouesses magiques mais là ça les dépassait de loin. Puis la force de sa magie.. Je me suis envolée comme une feuille sous une bourrasque.
-Peut-être que tous les trois nous y arriverons ! Lançait Gnas optimiste.
-C'est vrai que nous multiplions nos chances de la battre. Tne' me regardait. Il semblerait que Gnas soit devenue très forte, soulignaient Eruxul et l'ancienne Grande Prêtresse. Aetherys avait même l'air de dire que son arme choisissait son guerrier, notre Gnas doit avoir un sacré potentiel.
-Elle est assez massive c'est vrai. Constatais-je en l'observant, Gnas ayant fait un demi-tour sur elle-même. Elle est belle aussi, c'est... Ma vue s'était arrêtée sur le postérieur de Gnas. Bien bombé, on a envie de le pétrir. M'égarais-je.
-Hein ? Demandaient les deux autres surpris.
-Non ce que je voulais dire, c'est que c'est de la bombe et qu'on a envie d'en pâtir pour ceux qui la croiserons. Essayais-je de me reprendre, gênée.
-Avoue qu'elles t'ont manquées. Me taquinait Gnas, qui semblait avoir compris, s'était retournée et venait de se plaquer contre moi, saisissant une de mes mains et la plaçant sur ses fesses. Nous avons plein de choses à rattraper toi et moi. Elle regardait Tne'. Et toi tu seras pas là à ce moment-là ! De toute façon tu as déjà ta prêtresse. Gloussait-elle.
-Ces idées toutes faites que tu as, toi. Rétorquait-il. De toute façon vos cochonneries...
-C'est bon, hein, fais pas comme si tu ne nous regardais pas quand nous nous lavons dans les rivières. Je sais qu'en plus tu profites de me soigner pour me tripoter.
-Pas du tout. Le palpage est professionnel. Jamais personnel.
-C'est ça, oui. Prends moi pour une truffe. C'est le moment Evi', nous devons soutenir notre cause, protéger notre pudeur !
 Moi je ne disais rien, et me contentais de lui sourire. Cet enchaînement de satisfaction et ce "palpage" comme l'aurait dit Tne', m'avait rendue toute chose, et je sentais une coulée chaude le long de mes cuisses. Gnas venait de m'attiser comme une folle. Pourtant la dernière fois, dans le cellier de l'auberge, j'avais plus eu l'impression de la brusquer qu'autre chose. Mais là son message semblait clair. Je songeais à son arme aussi et me rendais compte que mon sabre avait dû rester dans la tour de Teysandrul.
-J'ai perdu mon sabre aussi. C'est bien bête. Laissais-je échapper en quittant mes pensées.
-Tu ne peux plus faire apparaître l'autre ? Demandait curieuse Gnas.
-Je n'en sais rien. Et si je n'y arrivais plus me disais-je. Je tendais mon bras et serrais ma main, me concentrais pour voir si je pouvais encore invoquer mon arme. Une quantité d'énergie incroyable traversa mon corps et sous le regard de Gnas et Tne, lentement, mon arme prenait forme.
-Mais elle...
-Elle n'est plus blanche du tout !" S'exclamait Tne'.

 Dans mes doigts, un pommeau double trônait, il était sombre comme l'ébène, tandis que la lame, elle, a la manière d'un millier d'insectes, vibrait et produisait un bourdonnement infernal, tout en brillant d'un éclat pourpre vif. Plusieurs images se succédèrent dans ma tête. Une lame, une marque runique, du sang, Irasandre, une cité en feu et pour finir, moi, avec une couronne sur la tête. J'étais extraite de mes songes, perdais la canalisation de mon arme et retombais à genoux.

 "Ce n'est pas bon du tout, ça." Me contentais-je de dire.

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