Je
n'en revenais toujours pas que ma Gnas soit une Déesse. Il s'en
était passé des choses incroyables dans ma vie, j'avais aussi
découvert et vécu des événements dépassant le commun de
n'importe quel habitant de Mithreïlid... Mais m'être attachée à
une fille que je trouvais au premier abord si étrange, pour qu'il
s'agisse finalement d'une Déesse, ça je n'aurais pas pu l'imaginer.
Je repensais au combat qu'Eruxul m'avait décrit entre les deux
grandes Reines, l'histoire avait finalement complètement été
trafiquée ; les usurpateurs de cette tragédie avaient
retranscrit leur version déformée des faits. Combien de légendes
appartenant à cette Terre avaient pu ainsi, être remaniées ?
Combien de mythes ont été inventés pour arranger les fourbes qui
sont à l'origine de crises aussi catastrophiques celles qui ont
agité notre Monde durant le siècle de la Grande Nuit ?
Peut-être que la bibliothèque remplie des ouvrages collectés par
Gnas nous serait utile pour comprendre et découvrir ce qu'il avait
pu réellement se passer durant ces temps obscurs. Je passais une
main sur un buste sculpté de Teïnelyore, c'est quand même fou,
elle qui dérivait sans savoir où elle allait, alors qu'ici, sa
gloire passée l'attendait sagement, plusieurs siècles durant. Que
vais-je encore pouvoir apprendre me concernant, qu'est ce qu'on peut
m'avoir caché ?
Celle
qui occupait mes pensées se collait à moi, et me murmurait quelques
mots coquins. Je me retournais et l'embrassais ; elle était
tellement énergique depuis que nous avions retrouvés ses effets
personnels, elle trépignait d'aller, je cite « Faire manger
ses chicots à la voleuse de trône ». Cet assaut, bien que
dirigé envers la dernière représentante de ma famille, me
consolait, et allait venger le mal que j'avais subi de sa part ;
il m'avait fallu longtemps pour supporter cette vérité, et lui
accorder le jugement adéquat : je ne serais pas en mesure de
pardonner, je ne serais pas capable d'oublier le traumatisme qui a
mené ma première vie à sa chute ; je devais seulement
accompagner Gnas jusqu'au bout de la reconquête de son trône. On
m'avait privé de mon héritage, il était inconcevable que le même
sort la frappe à son tour.
« Vous
êtes prêtes, on peut y aller ? S'impatientait
désormais Tne'.
-Oh
moi, je suis prête ! Je bouillonne même. Et toi Evou' ?
Tu te sens d'attaque ? Nous allons sûrement rencontrer de
nombreux gardes hostiles avant de nous frotter à la Reine...
-Je
te suis, Teïnelyore. Je
créais la surprise dans ses yeux. Jusqu'au
bout, je serai à tes côtés, ne retiens pas tes coups face à ma
mère. Elle n'a plus rien d'humain, plus rien de pensant ou de
compatissant, ce n'est désormais à mes yeux rien d'autre qu'un
monstre. Je
serrais les poings. Ne
lui laisse aucune chance, car elle ne nous fera aucun cadeau.
-Bon
alors allons-y, il n'y a plus une seconde à perdre. »
Teïnelyore
ouvrait la marche et quittait l'antichambre, d'un pas décidé, elle
traversait rapidement la bibliothèque, et faisait désormais face à
la lourde porte d'entrée. Teï, nous demandait de nous préparer.
Pour ma part j'avais quitté l'uniforme des miliciens dans la salle
aux trésors, je venais de me débarrasser de l'arme assortie et
commençais à me concentrer ; je faisais cette fois-ci
apparaître un sabre semblable à celui de Gnas. D'un hochement de
tête je confirmais aux deux autres que j'étais disposée à me
battre.
Teïnelyore
toquait et lançait « On sort ! ». D'un coup de
pied, elle déchirait le cadre en pierre de l'accès, faisant voler
l'épaisse barrière de bois au centre de la place, soufflant les
deux gardes au passage. Les quelques soldats en poste, présents ici, étaient pris de stupeur, nous avancions toutes deux,
lames sorties, suivies de près par Tne'. La tour nous faisait face,
seulement à quelques pâtés d'habitations d'ici, nous devions
limiter les carnages, et sans nous concerter, nous nous mettions à
courir, balayant ceux qui nous en empêchaient. Je me retournais
après avoir franchi une sombre venelle, et constatais que Tne' avait
réussi à nous suivre... pour une fois. Nous débouchions sur une
avenue remplie de miliciens nous attendant de pied ferme, et la
petite ruelle derrière nous était à présent envahie par d'autres
troupes. Gnas fendait les rangs qui nous faisait front, tandis qu'à
l'instar de ma première visite à Teysandrul, je percutais le sol de
l'obscure viscère et en soulevais tous les pavés, bloquant nos
poursuivants. Après quelques échanges tranchants, nous nous
débarrassions sans difficulté des gêneurs, et nous retrouvions
enfin, au pied de l'allée qui amenait à ladite tour. Les effectifs
postés ici étaient encore une fois, bien mieux équipés et bien
plus alertes que les précédents. Je reconnaissais le vieux
capitaine à qui j'avais fait peur durant mon premier passage ici, je
profitais que nous ne soyons pas jugulés pour m'approcher de lui,
mon sabre baissé.
« Cette
fois-ci, nous sommes en position de force. Cependant, j'espère que
vous comprendrez que nous ne vous voulons aucun mal. Si nous sommes
ici, c'est pour faire tomber la Reine. Pas ses gardes. Lui
expliquais-je.
-Faire tomber la Reine ? Vous plaisantez ? Grognait-il. Ma compagnie et moi GARDONS cette tour et ceux qui y siègent. Nous la gardons, car nous la protégeons. Je ne vais pas laisser passer des inconnus et encore moins pour la raison que vous m'avancez.
-Vous ne comprenez pas. La Reine n'est pas légitime, c'est une usurpatrice ! La vraie Reine, elle se trouve derrière moi, et ce n'est pas simplement une dirigeante, c'est une des treize divinités de Mithreïlid !
-Faire tomber la Reine ? Vous plaisantez ? Grognait-il. Ma compagnie et moi GARDONS cette tour et ceux qui y siègent. Nous la gardons, car nous la protégeons. Je ne vais pas laisser passer des inconnus et encore moins pour la raison que vous m'avancez.
-Vous ne comprenez pas. La Reine n'est pas légitime, c'est une usurpatrice ! La vraie Reine, elle se trouve derrière moi, et ce n'est pas simplement une dirigeante, c'est une des treize divinités de Mithreïlid !
-Hahaha
vous les jeunes et vos sornettes... Je vais vous en montrer moi de la
divinité ! »
Sans
prévenir, il dégaina sa rapière, et m'asséna un coup que je ne
pus parer. Mais Gnas s'interposa encore plus vite, la lame vola en
miettes au contact de sa tunique magique, un morceau éjecté alla
couper la joue de l'homme, et avant qu'il n'eut le temps de s'enfuir
ou de glisser un cri, Teïnelyore l'attrapa à la gorge et le souleva
du sol. Les miliciens se hâtèrent de venir à sa rescousse.
« Il
ne fallait pas faire une chose pour que cela se passe bien. Une
SEULE. Mais tu as osé lever ton clou vers celle que j'aime,
maintenant regarde bien, vieil homme. »
Gnas
le projeta à terre, manipula le flux sanguin tout juste déclenché
par l'éclat tranchant ; à partir de quelques gouttes écarlates
prit forme une lance, elle la brandit et la balança en direction des
loyaux soldats. La plupart des gardes fut empalée, et à peine le
javelot fut lancé, un deuxième apparut entre ses doigts, elle
accueillit les derniers survivants d'un déluge de coups d'estoc. La
petite garnison fut anéantie en quelques secondes. La lance
disparut, Gnas saisit le capitaine à nouveau et l'envoya s'écraser
dans un mur.
Sans
plus attendre, nous atteignions l'immense seuil du bâtiment, nous
pénétrions dans ce dernier. L'hôtesse que j'avais un peu secouée
la dernière fois me reconnaissait, elle cachait son visage dans un
registre, une chance pour elle, je savais quel escalier emprunter
désormais. Nous entamions alors la longue ascension jusqu'au sommet.
C'est dans le silence que nous gravissions marche après marche, que
nous atteignions palier après palier, jusqu'à ce que Gnas s'arrête
face au tableau où j'y figurais. Elle tendait sa main, caressait la
toile du bout des doigts, plus particulièrement, elle glissait sur
mon visage peint, durcissait le regard quand elle le déplaçait vers
Irasandre ; puis comme si de rien n'était, se remettait à
grimper. Sans qu'elle n'ait prononcé un seul mot, je la sentais
bouillir, elle ne devait attendre qu'une chose, la fin de cet
interminable escalier. Au détour d'un étage, je m'étais retournée,
constatant que Tne' nous talonnait toujours, lui aussi maugréait à
la vue des portraits d'Irasandre, et de toutes les jeunes filles qui
l'accompagnaient, se succédant les unes après les autres ;
tandis que lui avait l'air de bien imaginer le sort qui les frappait,
une à une, ces dernières consumées par ma mère dans le simple but
d'entretenir son apparence. Il est vrai que sa beauté était
remarquable, cependant, cet esthétisme n'était que le beau reflet
d'une âme monstrueuse et laide ; Tnemesnap l'avait rapidement
deviné et son visage qui de par sa prédisposition morale assez
sereine, ne semblait pas pouvoir se rider de colère, était
désormais empli d'une haine farouche. Je me savais inondée du même
sentiment, et plus nous nous approchions du dernier étage, plus il
grandissait en moi. A l'instar de ma première ascension ici,
l'atmosphère devenait pesante, le silence morne troublé par le
crépitement de braseros et de nos pas sur les marches en pierre
amplifiait la morosité du lieu, une fois de plus, j'avais
l'impression de m'avancer vers la mort, de grimper vers la fin de
toute chose.
Le
dernier palier de cette immense tour était enfin atteint. Tout avait
été remis en état, comme si mon affrontement contre ma mère
n'avait jamais eu lieu, le corridor avait retrouvé sa laideur
originelle, cette dernière découlant de l'ameublement lugubre et
sombre qui y prenait place, je ne me souvenais pas qu'il y faisait si
froid. L'éclat provenant de Gnas s'était affaibli peu de temps
après qu'elle ait revêtu la tenue, cependant, son aura venait de
croître intensément, tandis qu'elle faisait craquer tout son corps.
Elle approchait ses lèvres des miennes et m'adressait un regard des
plus charmeurs, se reculait de quelques pas et brandissait son sabre,
Tne' ingurgitait le contenu d'une flasque rougeoyante provoquant un
léger hoquet, moi, je me concentrais et invoquais la lame circulaire
que j'avais pu expérimenter sur le champs de bataille nous opposant
aux troupes de Teysandrul. Il allait être l'heure d'en découdre.
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