Apprendre
que j'allais probablement mourir ne me rassurait pas, et me laissait
perplexe. Je ne comprenais pas l'intérêt de me tirer des griffes de
la mort, si c'était pour me zigouiller par la suite. Cependant, je
devais reconnaître que s'il s'agissait de mon purgatoire; ces
femmes, manifestement peu entravées par la pudeur, m'avaient offert
une bien voluptueuse et douce fin, et en plus allaient me fournir mon
ultime repas.
Enfin
tout de même, s'éteindre après avoir vu de si belles créatures,
mon esprit ne le désirait pas et mon corps non plus, d'ailleurs,
même fuir, ce dernier ne pouvait pas. J'étais encore courbaturé et
aussi faible qu'un vieux sage que l'on aurait laissé marcher deux
semaines sans sa canne. Je me résolvais donc à fermer les yeux,
privé de mon baluchon, et de ma partenaire de chambre, qui, s'était
levée quelques minutes après avoir ingurgité l'élixir que j'avais
concocté à partir du sang de Gnas. Elle aussi, quelle femme, mais
que pouvait-elle bien être devenue ? Allait-elle avoir suivie la
sanguinaire Evialg, puissent-elles eues encore survécues, à ce
carnage tombé de nulle part ? Cela faisait trop de questions pour ma
tête encore secouée, et endolorie comme si je m'étais fait
frapper...
Je
me laissais porter par le sommeil, m'envahissant peu à peu.
Une
paire d'yeux fendus, me scrutait alors que je peinais à émerger,
conscient que quelqu'un était arrivé. Les miens se refermaient
même, face à la difficulté qu'était de me réveiller. De légers
coups sur mon crâne me forçaient à quitter ma torpeur.
"Debout
petit bonhomme. M'annonçait
une douce voix.
Je
constatais -une fois de plus- et non sans m'en plaindre, que mon
ancienne partenaire de chambre, torse dévêtu, se tenait au-dessus
de moi.
-Que
voilà une drôle de manie de ne pas... Je me clarifiais la
voix, encore dans le cirage. De ne pas porter de haut. Ahem.
-Pour
grimper aux arbres ce n'est pas très pratique, tu sais. Me
répondait ma charmante interlocutrice.
-Oui
enfin, je grimpe moi-même peu aux arbres, alors mon expérience est
très limitée.
Elle
riait et je poursuivais.
Puis,
a-t-on vraiment besoin d'être si peu vêtu pour escalader ? Je
connais bien des gens qui pratiquent cette activité et pour autant
ils ne sont pas si... Enfin, comme toi... Vous. Me
reprenais-je, scrutant son anatomie.
- Ce
n'est pas que pour ça non plus. Me soufflait-elle, gloussant.
-Oui,
je me disais aussi. Le nudisme ne nécessite pas spécialement de
raison après tout. Si vous en avez de bonnes tant mieux, hein.
Je
m'étais redressé tandis qu'elle venait de se poser sur ma
paillasse, légèrement sur-élevée.
-Tu en
sais déjà beaucoup, avait l'air de dire la Grande Prêtresse. Je
peux te révéler notre secret !
-Cela
me vaudra-t-il aussi la peine de mort ? J'essayais de me
sortir de ce guêpier. Parce que si c'est le cas, je
préfère limiter la casse. Enfin au point où j'en suis de toute
manière...
Sans
que j'eus le temps de finir ma phrase, la belle demoiselle, se leva
et se changea en une créature semblable à celle que les filles
avaient dû affronter dans la forêt, remplissant la hutte dans
laquelle nous nous trouvions. Puis elle reprit son apparence
"normale" et se rassit.
-Tu
sais maintenant pourquoi nous ne portons pas de "haut",
comme tu disais. Pouffait-elle.
-Oui
en effet. Je restais calme sans l'être pour autant. Cela
vous demanderait une quantité de vêtement infernale, pourtant... Je
jetais un oeil à son pagne, constatant que lui n'avait pas éclaté
sous la taille de la créature.
-Ah
ça, c'est différent. Elle me montrait les coutures de son
bas, découpé sur les côtés de ses cuisses, me faisant légèrement
vaciller. C'est fait pour. Elle me souriait
gentiment, laissant place à un silence un peu gênant.
-Et
euh..
-J'avais
oublié que j'étais venue te chercher ! La Grande Prêtresse
t'attend pour le repas.
-Ah
oui... Et potentiellement l'heure de ma mort, me disais-je à
moi-même. Et bien allons-y alors.
-Tu
sais grimper aux arbres ? Me questionnait-elle.
-Et
bien...
-Je
peux te transporter alors si tu veux. Me coupait-elle, ayant
sûrement deviné mon
incapacité
à escalader.
-C'est
que...
-Ça
ne me dérange pas ne t'inquiète pas. Avait-elle encore
compris.
- Bon,
et bien soit, alors."
Elle
me guidait vers la sortie de la hutte en bois, et qu'elle n'était
pas ma surprise de me rendre compte de la hauteur à laquelle nous
nous trouvions. Cet habitacle de fortune était greffé à un arbre
immense (comme bien d'autres habitations, sur les arbres avoisinants
le nôtre), et cela, au-delà des premières branches bien touffues,
les camouflant de la vue du sol. Même au-dessus de nous, d'autres
ramures bien garnies et encore d'autres cabanes arboricoles. J'étais
ébahi. Pendant ce temps-là, mon hôte dont je ne connaissais rien,
s'était à nouveau métamorphosée et me tendait son énorme patte
griffue, que je saisissais, pour finalement me hisser entre ses
omoplates, et étreindre son cou massif, afin de me laisser porter.
Toutes
lames sorties, la charmante et monstrueuse demoiselle grimpait à
l'arbre avec une facilité déconcertante. Nous dépassions d'autres
huttes, attisant le regard des habitantes (je ne distinguais aucun
mâle ici, à la vue de tous ces beaux bustes bombés) curieuses et
intriguées, de me voir ainsi transporté. Quelques étages plus
haut, nous atteignions la cime de ce robuste arbre, qui plutôt que
de rapetisser à son sommet, décrivait un plus large plateau, meublé
de table-basses, tabourets en bois, bancs, autel, décoré de
tentures et apparats de fleurs et de feuilles. Des bougies trônaient
sur l'autel et des torches flamboyantes taillées dans un bois solide
éclairaient ce salon à ciel ouvert. Nue qui, resplendissait de
l'éclat d'un million d'étoiles et des deux lunes de notre monde,
pleines et scintillantes d'un blanc nacré. Face à bous tous
juste arrivés, une tablée réunissait trois de ces femmes, au
centre, l'aînée, se tenant bien droite, dont le crâne était garni
d'une coiffure remarquable et d'une couronne de bois, ornée de
lianes, pierres brillantes et fleurs. À sa droite, une jeune femme
qui imitant la posture de la matriarche et à gauche de la cheftaine,
une autre demoiselle, un peu plus avachie et regardant bizarrement
celle qui m'avait escorté; une place était libre à côté de cette
dernière.
Je
ne soulignais pas le fait qu'elles étaient toutes autant dévêtues,
presque accoutumé à cette pratique. Mon moyen de transport
reprenait son apparence angevine et s'empressait de saluer l'aînée
en se penchant. J'en faisais autant.
"Bonsoir
Grande Prêtresse. Disait d'un ton solennel, celle qui jusque-là
avait été bien plus relâchée.
-Decadrys,
te voilà. Répondait l'aînée, lui faisant signe de se redresser.
Bienvenue à toi aussi, Tnemesnap.
Elle
connaissait mon nom. Je m'inclinais une nouvelle fois
respectueusement.
C'est
bien ainsi que tu te nommes ?
Je ne
réagissais pas, confus. "Decadrys" dont je connaissais le
nom me faisait un signe discret de la tête.
-Oui.
Tout à fait, Ô Grande Prêtresse. Mais vous pouvez me raccourcir.
Je me reprenais. Vous pouvez raccourcir mon nom, et c'est plus
simplement Tne'. Je suais à grosse goutte, abandonné par
Deca, qui allait s’asseoir à la table.
-Allons,
allons. N'en fais pas trop. Prêtresse suffit. Disait-elle,
fièrement.
-Mais
Mère..
-C'est
bon Meladrys. Coupait-elle donc sa fille, qui était à sa
droite. Voyageur Tne', vous semblez être animé d'une
sacrée curiosité. Et... Elle tenait un de mes carnets
devant elle, le feuilletant, le retournant pour en inspecter
les croquis et notes éparpillés dans tous les sens, la pile de mes
autres écrits non loin. Vous m'avez l'air d'avoir vécu des
événements tout aussi curieux.
-C'est
que...
Elle
m'interrompait en levant le doigt.
-Vous
avez l'air d'être une personne de sciences. Vos recherches en
herboristerie et en préparation de philtre sont très complètes.
Il y a des subtilités que moi-même j'ignore. Elle posait le
recueil, en saisissait un autre. Vous semblez aussi avoir des
fréquentations... Elle cherchait une façon d'avancer son
opinion. Bien particulières, et d'avoir des façons de les
décrire bien étranges et assez paradoxales par moment.
Je
prenais conscience des déclarations bien crues que j'avais laissé
dans mes annotations, tant concernant Evialg que Gnas. Ne craignant
point qu'un jour qui que ce soit ait pu lire mes écrits. J'étais
quelque peu embarrassé, face à ce qui semblait être un tribunal.
"Néanmoins. Reprenait-elle
après avoir sillonné davantage de pages et haussé les sourcils
plusieurs fois à la vue de ce qu'elle lisait. Vous
ne semblez pas être quelqu'un de mauvais, un peu dérangé, certes,
mais qui n'est pas un peu fou après tout.
Elle
provoquait la surprise parmi ses consœurs.
Ainsi
donc, vous voyagiez avec deux amnésiques, assez dangereuses si je
puis dire. Vous avez vu un bon bout de Terre de notre belle
Mithreïlid, vous en connaissez un bon nombre d'espèces végétales
et semblez vous être bien débrouillé pour vous en servir. Moi qui
croyais que les Hulotes se contentaient de s'instruire de leurs
livres sans jamais quitter leurs nids. Elle
laissa échapper un gloussement mais se reprit immédiatement de ce
léger rire, se clarifiant la voix, tandis que moi, à la manière de
Gnas, pour une fois, je ne comprenais pas l'entièreté de son
propos.
-Un
Hulote ? Mais qu'est ce ? L'interrogeais-je.
-Voilà
qui est chose coquasse. Vous qui êtes instruit, ne savez-vous pas de
quel clan vous venez ? Cette paire d'ailes duveteuses n'a jamais
suscité votre curiosité ?
-A
vrai dire, je n'ai jamais croisé aucun de mes semblables. Et je ne
parle pas des guérisseurs, ça j'en rencontre fréquemment, mais des
Hulotes, jamais.
-Cependant,
votre constitution elle-même est particulière, vous n'êtes pourvu
que de prémices d'ailes. Votre clan se voit normalement revêtir le
plumage d'un rapace, diurne ou nocturne et acquiert aussi son faciès.
Vous concernant, je constate que l'un de vos parents devait être
humain. Peut-être avez vous aussi évité l'arrogance innée de ce
clan. Mais passons.
-Quel
est le nom de votre clan alors ? Si je puis me permettre la
question. La relançais-je.
-Mère
! Il en sait déjà trop. Râlait sa fille.
-Meladrys.
Il suffit. Voyageur Tne'. Elle se levait, s'écartait de la
tablée et à son tour se métamorphosait comme l'avait fait mon
escorte et reprenait d'une voix bien plus forte. Je me nomme
Aetharys, et suis la cinquième incarnation de la déesse féline
Félicie, symbole de l'Amour entre les races de Mithreïlid et
protectrice de la Sylve. Mon peuple et cette forêt sont liés, ainsi
nous, féliciennes, dépendons du secret de notre existence. Elle
levait le doigt droit vers le ciel étoilé. Cette nuit est
une soirée bien particulière, pour nous, puisqu'une nouvelle Grande
Prêtresse prendra ma place afin de faire perdurer nos traditions et
pérenniser nos règles. Elle reprenait sa forme
précédente. À la vue de ce que j'ai lu, Voyageur Tne', je
ne pense pas que notre secret soit divulgué si vous en étiez le
porteur.
-Cependant
ce n'est pas la règle. Venait de dire la fille de la Grande
Prêtresse, me faisant perdre l'espoir que je venais d'acquérir.
Si nous ne suivons pas la règle, nous compromettons notre sécurité
et celle de nos sœurs.
-Meladrys. Tentait
d'intervenir la Grande Prêtresse.
-Mère. La
coupait-elle. Pourquoi nous serions nous sans cesse
restreintes à rester discrètes si c'était pour épargner un
étranger dont nous ne savons presque rien, qui pourrait à lui seul
mettre à mal de longues décennies sans aucun incident ? Pourquoi
changer cela ?
-Là
intervient ma décision. Et tu apprendras à rester à ta place,
Meladrys. Ce n'est pas ton rôle de trancher pour le village.
-Pourtant
si personne ne se décide à rien faire..."
C'est
à cet instant que la jeune félicienne bondit dans ma direction, se
métamorphosant durant son saut. Le vent souffla dans les branchages,
comme si ma mort était entrain de me fondre dessus. Je fermai les
yeux et me recroquevillai sur moi-même.
"Et
tu croyais parer son attaque dans cette posture ?" Me
soufflait-on, le tout accompagné d'un rire de malice que je
connaissais.
J'ouvris
les yeux pour en avoir le cœur net. Un immense sabre me faisait
face, accroché à une solide tenue en acier que je ne connaissais
pas, un joli postérieur bombé et une tignasse mauve mal peignée
partant dans tous les sens. Gnas se tenait belle et bien entre moi et
mon assaillante, la retenant d'une main et faisant un signe de
salutation aux trois autres femmes restaient assises.
"Toi,
décidément, tu as le chic pour te mettre dans de belles
tapisseries. Gloussait-elle. Tu leur as volé leurs hauts
et tu t'étonnes de ton sort ! Tu es irrécupérable.
-C'est
de draps dont on parle dans ce genre de cas ! Pas de tapisserie, et
je n'y suis pour rien à leur tenue incomplète.
-Ça
serait une première. Haha. Pouffait Gnas.
-Je
vous dérange ? Grognait Meladrys.
-Quand
tu parles, oui. Lui rétorquait ma sauveuse.
D'ailleurs... C'est un comme toi qui nous a agressé dans la forêt.
J'ai comme une envie de prendre une revanche. S'attisait-elle.
Au
même moment, une autre personne nous rejoignit. Arrivée là par
téléportation face à l'assemblée.
-Sauf
que tu n'en feras rien, Gnas. Une voix masculine que j'avais
déjà entendue auparavant prononçait ces quelques mots. Ces
personnes ne sont pas nos ennemies. Grande Prêtresse Aetharys, mes
salutations. Lâchait-il en s'inclinant respectueusement vers
l'aînée.
-Maître
Eruxul, mes salutations. Venait de répondre la prêtresse en
se levant et s'inclinant à son tour. Cela faisait
bien des lunes que nous n'avions pas eu votre visite.
-Si je
me souviens bien, notre rencontre fut le soir de votre sacrement,
Grande Prêtresse, et à en voir nos Lunes, c'est une belle
coïncidence car c'est cette nuit que vous allez léguer votre
statut.
-En
effet, Maître Eruxul, votre mémoire ne vous fait pas défaut même
si cela doit remonter à quasiment un siècle, le temps passe vite,
n'est-ce-pas ? Elle fondit en rire et lui en fit de même,
créant une incompréhension générale.
-Nous
ne souhaitions pas vous déranger en une soirée si importante,
néanmoins, connaissant vos règles et constatant la position de ce
cher Tnemesnap, je vous demanderai de bien vouloir accorder votre
bonté à cet homme. Tel que vous l'aviez honorablement fait pour moi
à l'époque. Demandait-il d'un ton très respectueux.
-Je ne
comptais pas appliquer d'irrévocable sanction quoi qu'il en soit. En
ces temps sombres, la mort est bien assez souvent invoquée pour
qu'un innocent soit assassiné froidement. Cette phrase me
donna des frissons et en même temps me rassura. Decadrys,
reviens ici, Maître, prenez place avec nous, ainsi que la jeune
fille qui vous accompagne. Voyageur Tne ? M’interpellait-elle.
La
felicienne transformée fit un pas en arrière et reprit son
apparence normale, partant en direction de la table, tandis que Gnas
alla rejoindre Eruxul.
-Oui,
Grande Prêtresse ?
-Je
vous demande de bien vouloir pardonner l'impulsivité de ma fille, je
ne tenais pas à vous effrayer, et par ailleurs, je suppose que cette
jeune femme est votre amie Gnas, c'est bien cela ?
-Vos
excuses sont toutes acceptées, Grande Prêtresse, et oui il s'agit
bien de l'unique Gnas.
-En
chair et en sang, Aetharys. C'est bien moi. Lâchait Gnas,
sans même prendre la peine de la nommer par son titre, embrasant le
regard de Meladrys.
-Ahem. Soufflais-je.
-Ne
lui en voulez pas Grande Prêtresse, reprenait rapidement Eruxul.
Gnas est très... Naturelle, les us et codes de marque lui sont
étrangers.
-C'est
quoi un us ? Demandait-elle à Eruxul.
-Plus
tard Gnas, ce n'est pas grave. Lui répondait-il. Toujours
est il que nous devrons rapidement reprendre notre chemin, Grande
Prêtresse, notre temps est compté.
-Malgré
plusieurs siècles d'existence, vous êtes toujours à courir
derrière ce dernier, je vous plains Maître Eruxul. Je pensais
naïvement qu'avoir une telle longévité vous permettrait de
profiter, mais cela n'a pas l'air d'être le cas.
-Si
Mithreïlid connaissait la paix, peut-être que cela me serait-il
possible. J'ai bien peur de ne malheureusement pas avoir le temps de
connaître cette ère. La Reine Sombre semble vouloir à
nouveau étendre son emprise sur notre beau Monde.
-Cette
vieille folle ne cessera-t-elle donc jamais de vouloir semer mort et
dévastation ? Déjà jeune, j'entendais parler des méfaits qu'elle
accomplissait et des horreurs qu'elle causait. Sa magie est si
puissante, qui pourrait bien la renverser et ramener la paix sur
Mithreïlid ?
J'écoutais,
intéressé, cette histoire à l'instar des trois jeunes femmes, les
anecdotes à propos de cette Reine Sombre dont je n'avais
jamais entendu parler; Gnas, elle, semblait absorbée par le ciel
étoilé, captivée par l'éclat de la nue.
-A
vrai dire. Je ne sais pas, de toute ma vie, je n'ai jamais constaté
pareille aberration, si ce n'est durant le siècle de la Grande Nuit,
où les grands maîtres se déchirèrent entre eux et que cela les
mena à disparaître. Le désir d'immortalité d'Irasandre et ce
qu'elle met en place pour essayer de l'obtenir est de plus en plus
inquiétant. J'ai bien peur qu'elle ne cesse que lorsqu'elle aura
réussi à atteindre la vie éternelle. Je ne lui souhaite que
putréfaction, porter un tel fardeau n'a rien d'un don. Encore moins
lorsque l'on pratique le vice et la torture pour espérer pouvoir en
jouir.
-Vous
en connaissez beaucoup à propos de la vie éternelle, Maître Eruxul
? Demandait la fille de la prêtresse. Qui décide
de qui la possède et de qui ne la possède pas ?
-Je
n'en sais rien. J'ai grandi comme n'importe quel habitant de
Mithreïlid au début de ma vie, je n'étais alors qu'un simple mage
de la terre, je soignais les plantes et les arbres. Une fois devenu
adulte, seulement à mon soixante-dixième cycle solaire, je
constatais que tous mes proches, eux, avaient pris un coup de vieux,
je me sentais toujours aussi jeune, puis j'ai dépassé mon premier
siècle. A partir de ce moment là, j'ai commencé à voir le temps,
qui défilait en chaque être, mais qui semblait s'être arrêté en
moi. Quelques cycles plus tard, la plupart de mes connaissances sont
mortes de vieillesse, ce n'est que vers mes cent cinquantièmes
cycles que mon pouvoir s'est réellement réveillé. J'ai appris à
me téléporter, à contrôler et interroger le Temps. Presque six
siècles ont passé depuis. J'ai parcouru notre monde à la recherche
d'autres humains qui avaient vécu aussi longtemps que moi, j'ai
alors rencontré les grands Maîtres, sauf que comme je vous le
disais, ils se sont pour la plupart éteints durant le siècle de la
Grande Nuit, tous admettaient que leur longue vie était liée à
leurs pouvoirs et forces respectifs. Les cycles défilaient, tandis
que je faisais des boucles sur Mithreïlid, toujours en quête
d'êtres éternelles, mais seules quelques ethnies et races
non-humaines possèdent une très longue longévité, telle que la
votre ou bien les Nautiliens, mais il n'était toujours pas question
d'une éternité.
-Pourquoi
continuez-vous de chercher alors ? L'interrompait Decadrys.
-Si je
trouve un être qui a vécu au moins trois siècles, j'aurais la
possibilité de partager son passé et de trouver une éventuelle
réponse et par la-même un disciple. On m'a accordé le titre de
Maître car je suis le plus vieux des êtres qui foule encore ce
monde et que j'ai accumulé autant de connaissances qu'une
bibliothèque.
-Tu as
pensé aux dragons ou aux les-va-t-ens ?
Tous
les regards se tournaient vers Gnas, qui n'avait pas encore décroché
une phrase depuis son arrivée.
-Je
pense qu'elle voulait dire léviathans. Corrigeais-je.
-Comment
ça Gnas ? L'interrogeait Eruxul.
-On
dit qu'ils sont millénaires. Qu'ils n'étaient à la base que des
petits lézards ou des créatures quelconques. Mais que le temps leur
a donné leurs pouvoirs, leur puissance et leurs aspects
gigantesques. Toi tu serais une sorte de levat.. letiav... Enfin
voilà, quoi. Le gros truc qui n'est pas le dragon. Finissait-elle
brouillonne.
-C'est
une piste que je n'ai pas exploré, un peu saugrenue mais...
-Mais
pas sans intérêt. Reprenait la Grande Prêtresse. Tant de races de
Mithreïlid sont des hybrides animales et humaines, cela serait-il
impossible qu'un léviathan ou qu'un dragon prenne une forme humaine
pour se reproduire et ainsi créer un hybride aux pouvoirs
quasi-divins. C'est à cela que vous pensiez, dame Gnas ? Dame Gnas ?
Elle insistait se rendant compte que Gnas avait de nouveau le nez
dans les étoiles.
-Pardon
? Je vous ai perdue à hy-truc. Rétorquait-elle sans gêne.
-Cette
jeune fille a l'air complètement à la masse. Pouffait la fille de
la Prêtresse, avant de recevoir un coup de coude de sa mère.
-Gnas
est... Je commençais.
-Gnas
est monstrueusement puissante. Me coupait Eruxul. Je
l'ai vue battre à plate couture un Dragon il n'y a pas un jour. Il
s'agissait certes d'une matérialisation maléfique, mais je suis
formel. C'était un Dragon. Et je l'ai vu aussi clairement que je
vous vois tous là.
Tous
s'interrompirent, moi y compris et tous les regards se tournaient
vers elle. Nous avions tous entendu la même chose. Une créature
légendaire abattue par une seule personne. Pas la plus sage, pas la
plus instruite, puis quand on la connaît, on sait que Gnas est une
brute qui foncerait tête baissée et qui se serait sûrement faite
gober toute ronde, dépassée par la taille et la puissance d'un tel
monstre.
-Tu
lui as prêté main forte Eruxul ? Lui demandais-je.
-Non.
J'allais le faire, mais Gnas m'a fait comprendre que je la gènerais.
Je n'ai donc pas pris de risque et j'ai bien observé la scène. Pas
de doute à ce sujet. Les crocs qu'elle porte au ceinturon vous
confirmeront mes dires. Gnas ? Il se répétait se rendant
compte qu'elle était répartie dans le ciel. Gnas, peux-tu
montrer un de tes trophées à la Grande Prêtresse ?
Gnas
posait un immense sabre que je n'avais pas encore vu sur la table,
puis allait soulever son haut afin de montrer sa poitrine, mais je
l'en empêchais.
-Eruxul
parlait des crocs de Dragon. Ahem.
-Je ne
sais pas, comme ici tout le monde expose ses trophées à l'air
libre... J'ai cru qu'il me demandait de le faire aussi. J'ai assez
voyagé avec toi pour que cela ne me paraisse pas étrange comme
requête. Et je veux bien, mais on ne me le vole pas, hein. C'est à
moi, maintenant.
L'assemblée
lâchait un petit rire partagé, tandis que je me sentais un peu
bête. Pendant ce temps-là, Gnas tendait à la Grande Prêtresse un
immense croc.
-Je
confirme, c'est un croc de Dragon. Vous êtes pleine de surprise dame
Gnas. Lâchait-elle d'un ton admirateur. Je n'avais
jamais vu la Masamune en vrai, je suppose que vous avez défait le
dragon avec ?
-Bah
non... J'étais désarmée et il volait le dragon. Alors je lui ai
jeté un caillou dans la tête et après je l'ai cogné et cogné et
cogné.. Puis il est mort. Ah et je lui ai déchiré la bouche
aussi. Elle riait à gorge déployée.
Je
me mettais une baffe dans le visage, c'était du Gnas tout craché,
tant le récit que la méthode employée.
-Mais
la Masamune, n'est elle pas trop lourde pour vous ? Demandait
la Grande Prêtresse.
-Cette
épée ridicule ? Sa fille pestait à l'idée de ne pas être
au centre de l'attention alors que la nuit passait et qu'elle devait
être nommée Grande Prêtresse. Je suis certaine de pouvoir
la soulever, moi.
-Ma
fille, allons..
La
jeune femme essaya de soulever l'arme mais elle ne bougeait pas d'un
coussinet. Elle se métamorphosa et essaya de nouveau. Toujours
rien. Elle reprit sa forme, croisa les bras et ne dit mot.
-Je
crois que Masamune choisit son guerrier. Seul quelqu'un n'ayant pas
la volonté de s'en servir ou son propriétaire peuvent la brandir,
et encore, il me semble que son poids reste énorme pour n'importe
qui. Rajoutait Aetharys.
-C'est
pour ça que le vendeur a pu me l'attraper l'autre jour. Même s'il a
failli tomber avec... Et qu'il disait que je ne pourrais pas la
porter. Tout est lié, héhé.
-Être
l'élu d'un artefact de guerre est une sacrée preuve de force.
Soulignait Yzidrys. Je l'ai lu. Il en existe cinq en tout. Si je me
souviens bien, Masamune est l'Artefact du Feu Violent. La classe ! Je
peux le toucher ?! Interrogeait-elle Gnas, qui acquiesçait
d'un hochement de la tête.
-Aetharys,
j'ai une question. Lançait Gnas.
-Oui,
je t'écoute.
-Il y
a des mâles dans ce village ? Il y a plus d'une semaine nous avons
été attaqués mes amis et moi par une créature qui comme vous se
transformait et qui vous ressemblait. C'était dans une forêt aussi.
-C'était
dans cette même forêt, Gnas. Lançais-je.
-Hmmm.
Non, nous nous sommes séparées des mâles de notre village. Ils
étaient trop belliqueux et passaient leur temps à vouloir guerroyer
et partir en quête et conquête de nouveaux territoires. A la suite
d'un combat entre les deux alphas, mâle et femelle, il fut décidé
que les mâles quittent la forêt. Ils se vendirent sûrement comme
mercenaires, incapables de rester unis et soudés. Je regrette
qu'un tel accident soit arrivé. Néanmoins, je n'y suis pour rien.
-Ça
n'aide pas. Je jure que si je remets la main sur ce gros chat. J'en
fais un tapis. Rageait Gnas.
-C'est
la raison de votre arrivée ici, Voyageur Tne ?
-Entre
autre oui. Nous avons été dispersés lors de l'attaque puis c'est
ce qui m'a amené à me perdre dans la forêt.
-Vous
qui pestiez en pensant que c'était la faute de vos camarades, cet
assaut, elles n'y étaient pour rien. Clamait, sage la
Prêtresse.
-Disons
qu'Evi et Gnas sont tout de mêmes deux aimants à ennuis. L'une ne
ferait pas mieux que l'autre pour essayer d'éviter une querelle. Et
je dis bien essayer. Soufflais-je déconfit.
-Baaaah,
il vaut mieux lutter que s'offrir à l'adversaire. Si tu étais un
peu plus une belle queue, tu comprendrais ça toi aussi. Me
répondait Gnas, déclenchant une fois de plus un rire général.
-Une
plus belle queue ? Lui rétorquais-je.
-Bah
si tu aimais un peu plus te battre, quoi.
-Si
j'étais belliqueux Gnas. Pas si j'avais une plus belle queue. La
reprenais-je.
-Oui
voilà. Le problème reste le même. Si tu ne choisis pas de te
battre, forcément d'autres le feront pour toi. Je ne sais pas
pourquoi ça t'étonne, parfois des monstres t'agresseront et tu ne
peux pas les raisonner. Ni les faire fuir avec des insectes en
bouteille, la seule résolution c'est la baston ! Criait-elle
d'un ton vindicateur.
-Vous
semblez être une guerrière aguerrie, dame Gnas. Depuis combien de
temps foulez-vous Mithreïlid ? Lui demandait Yzidrys.
-Je ne
sais pas trop. Sans gêne elle dévoilait un de ces bras,
entièrement mutilé et tatoué. Je me suis faite ces
dessins et ces cicatrices quand j'ai quitté le temple du Désert. Je
n'étais qu'une enfant et cela doit bien remonter à vingt cycles.
Enfin je ne sais pas vraiment quel âge j'ai. Mais je me suis
énormément battue ! Ah ça oui.
-Pour
savoir manier une telle arme, j'imagine oui. Vous êtes une Maître
vous aussi pour voyager avec Maître Eruxul ? Continuait,
curieuse, la félicienne.
-Une
quoi ? Gnas laissait échapper son rire indiscret.
-Et
bien, pour transmettre vos enseignements. Vous avez bien été formée
au combat vous aussi ? Vous devez forcément avoir un disciple !
-Euh.
Non. Enfin ça ne me rappelle vraiment rien. Gnas semblait
chercher sérieusement. Non j'ai appris toute seule... Mais
quand, je ne sais pas non plus.
-Moi
j'aimerais bien devenir votre disciple, vous avez l'air super forte !
Je m'appelle Yzidrys, et j'en serais ravie. Clamait-elle.
-Doucement
Yzidrys, ta destinée n'est peut-être pas d'aller te battre sur les
mêmes fronts que Gnas. Palliait la Prêtresse à son
optimisme.
-Je
ferais une bien mauvaise Maître. Je n'arrive déjà pas à me servir
d'une fourchette ou à m'exprimer alors, apprendre à quelqu'un
d'autre comment se battre... Ça serait trop
compliqué. Ironisait-elle.
-Oh. La
déception se lisait dans les yeux fendus d'Yzidrys. Si vous
changez d'avis, vous saurez où me trouver. Enfin si vous ne devez
pas être exécutée à cause de ça..
-HAHAHAHA. Le
brouhaha de Gnas, interrompait les multiples discussions qui se
croisaient autour de la table. Moi ? Exécutée ? Plutôt
mourir. Hurlait-elle en se tordant de rire. Depuis que
nos routes se sont croisées avec Evi. Elle se rendait
compte que personne ne savait qui était Evialg. Qui est
une personne très forte, je n'ai plus jamais perdu. Bon d'accord,
quand ça gicle, ça gicle; même quelque part dans cette forêt,
j'aurais pu mourir empalée sur une vieille branche qui traînait.
Mais non. C'est fini ça.
-C'est
vrai que faire repousser ta chair te prend un bon bout de temps. Lui
lançais-je.
-Repousser
la chair ?! S'exclamait la Grande Prêtresse.
-Démonstration
! Criait Gnas."
Sans
que je ne l'ai vu venir, ni Eruxul qui avait l'air d'être pourtant
alerte, surtout quand il s'agissait de prévenir d'une Gnasserie;
cette dernière, empoigna une dague dissimulée sur elle, et
s'entailla le bras droit de deux longues plaies, dont le sang, comme
elle l'avait dit juste avant, gicler abondamment sur Eruxul et moi
qui étions à côté d'elle, et sur la Grande Prêtresse, qui,
malheureusement était en face de Gnas. La consternation s'afficha
dans le regard de la fille de l'aînée, tandis que c'est de la
surprise et la crainte qui naquirent dans les yeux des deux autres
féliciennes. Contre toute attente, la Prêtresse resta de marbre,
concentrée sur l'avant-bras dont la balafre se refermait
miraculeusement et en une poignée de seconde.
"C'est
incroyable."
Se
contenta-t-elle de dire, toujours aussi calme, tandis que les fleurs
et plantes qu'elle revêtait sur sa coiffe et son habit, semblaient
s'étendre afin de se nourrir des gouttelettes de sang ayant volées
auparavant. Même les végétaux croissaient suite à l'absorption,
verdissant davantage et bourgeonnant comme par magie. La Grande
Prêtresse tâta sa parure vivante et conservant le même ton que
juste avant, lâcha :
"C'est
incroyable." Elle inspira longuement en ayant au préalable
fermé les yeux, reprit une posture assise bien droite, s'imprégnant
de l'air pur, du murmure des étoiles et de la magie qui
émanait de la sylve endormie, puis elle se leva lentement, écarta
les bras et proclama très solennellement :
"Par
les Lunes qui ce soir nous baignent de leurs éclats, moi Grande
Prêtresse Aetharys, guidée par les étoiles, annonce la fin de mon
voyage, j'ai marché suffisamment longtemps sous la bénédiction de
notre Déesse Félicie. C'est sous l'Accolade des Lunes que j'ai reçu
le devoir d'aimer au nom de ma Déesse, et c'est sous la même
Accolade des Lunes, que ce soir, je vais transmettre mon titre de
Grande Prêtresse et la responsabilité de diriger notre Clan.
Nous
nous distinguons par notre force, telle que la tienne, Meladrys ma
Fille. Nous nous instruisons par notre grande curiosité, comme la
tienne, Yzidrys. Mais nous nous élevons par notre Amour et notre
compréhension de l'autre, cela te revient Decadrys.
C'est
avec cet Amour que tu devras continuer à faire prospérer notre
Clan, sous la sagesse de nos Lunes."
La
Grande Prêtresse souleva sa coiffe de pierres précieuses et de
plantes, se déplaça jusqu'à Decadrys qui s'était levée et
inclinée, et déposa la couronne sur les oreilles duveteuses de la
jeune félicienne. L'éclat des Lunes s'intensifia et un rayon alla
en direction des pousses vivantes ornant la coiffe, les faisant
pousser davantage et faisant éclore de larges fleurs en cloche, dont
le cœur était aussi rouge que le sang de Gnas et l'extrémité
blanche comme la pâleur des astres nocturnes.
Decadrys
avait l'air dans un autre monde, transportée par l'événement dont
elle ne devait pas espérer qu'elle en serait la clé. Elle se tenait
droite sous le faisceau qui l'illuminait et aucun mot ne semblait lui
venir. La fille de l'ancienne Grande Prêtresse, si j'avais bien
suivi la transmission de pouvoir; était dépitée et verte de rage,
rongée par l'orgueil elle quittait la tablée et l'assemblée sans
rien dire. Yzidrys, semblait surtout heureuse pour sa consœur,
tandis que Gnas applaudissait sous le regard médusé d'Eruxul. Moi,
je contemplais les lianes tombantes des fleurs montées sur la
couronne, qui couraient sur la poitrine scintillante de la lumière
des Lunes, de la nouvelle Grande Prêtresse. Elle revenait à elle,
nous échangions un regard plein de je-ne-sais-pas-quoi, qui m'avait
transporté droit dans ses bras sans que j'ai bougé.
Aetharys
était partie en direction du bord de la plate-forme et avait clamé
quelque chose vers le bas. Quelques instants plus tard, plusieurs
féliciennes nous apportaient des plats magnifiques qui ne
ressemblaient en rien à la bouillie rebutante que j'avais du manger
plus tôt. Je l'aimais bien ce village, finalement.
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