Je
suis altruiste, j'aime donc par nature aider les autres, néanmoins,
j'aime aussi avoir le temps de digérer ; or ce matin, tout
juste le repas englouti, la clameur de cette imminente bataille avait
dû réchauffer le sang d'Evialg et de Gnas au point de les motiver à
courir, l'estomac plein, en direction du combat. Nous nous
retrouvions donc à suivre la garde félicienne qui s'était
métamorphosée, courant à une allure faramineuse, filant tête
baissée à travers buissons et fougères ; bien entendu que mes
deux guerrières de compagnie pouvaient la suivre, elles pouvaient
bondir à plusieurs mètres en hauteur, alors leurs jambes les
propulsaient bien assez vite pour maintenir le rythme. Moi je me
maudissais une fois de plus mes guibolles de promeneur, qui étaient
pratiques pour aller à la cueillette mais pas pour sprinter sur des
kilomètres, encore moins quand il faut traverser une forêt. Si
seulement mes ailes étaient plus grandes, je pourrais voler et ce
problème de distance ne serait plus qu'un lointain souvenir, mais
là, je perdais de vue peu à peu le groupe de coureurs, et je
m'imaginais à nouveau m'égarer dans cette horrible sylve. Pas
question, et pourtant j'avais beau dépasser mes limites et
accélérer, c'était désormais mon souffle qui m'abandonnait,
quelle poisse. J'allais me poser au pied d'un arbre pour reprendre
une bouffée d'air, mais une main tendue m'apparaissait et derrière,
je voyais le visage de Gnas, qui m'invitait à prendre place sur ses
omoplates, tout en m'avisant de ne pas mal avoir de me mains
baladeuses. Elle fut assez convaincante, je liai donc prudemment mes
mains autour de son cou, rapidement, elle reprit sa course effrénée,
cette dernière fusa pour récupérer le reste du peloton, je voletai
accroché du mieux que je le pouvais, éraflé par toutes les
branches et feuilles coupantes que nous croisâmes, je me retrouvai
presque soufflé par sa vitesse, je me sentis alors commencer à
lâcher prise, glissant à cause de la sueur dégagée par mes
poignes entrelacées ; tant pis me dis-je. Je cerclai alors
solidement la poitrine voluptueuse de Gnas, qui n'eut pas l'occasion
de grogner sur le moment, sûrement trop occupée à foncer.
J'essayai tant bien que mal de ne pas trop peloter ce qui se trouvait
sous mes doigts, cependant les bondissements vifs de ma monture
m'empêchaient d'être stable. J'allais déguster une fois que nous
serions arrivés, mais je préférais encore un coup de crâne de
Gna' plutôt que d'errer sans idée de ma direction. Heureusement,
après plusieurs dizaines de minutes, nous atteignîmes enfin l'orée
des bois, je descendis sans attendre du dos de Gnas, et comme par
culpabilité, lui tendis mon visage pour qu'elle le martèle, mais
elle n'en fit rien.
La
félicienne avait repris son apparence humaine et gardait les bras
baissés le long du corps ; mes trois comparses scrutaient
muettes, droit devant elles, je tournais moi aussi mon regard dans
cette direction, où plusieurs régiments armés et organisés en
grands rectangles, frappaient leurs boucliers d'engouement. Cette
armée comptait toute sorte d'âmes dans ses rangs : humains,
géants, monstres, orcs. A vue d’œil, ils devaient être deux
cents soldats, pour notre petit groupe de quatre personnes.
« Bon,
voilà le plan... Commençait Evi'.
-On
les défonce !!! Hurlait Gnas en se faisant craquer tout le
corps.
-C'est
un peu sommaire comme tactique. Poursuivait notre escorte.
Puis ils sont beaucoup, non ? Lâchait-elle, en se reculant
de quelques pas.
-Oh tu
sais, dans ce genre de cas, mieux vaut se fier au compte que fait
Gnas dans sa tête. Rigolais-je. Étant donné qu'elle ne doit
savoir compter que jusqu'à dix... Je croisais les yeux de celle
dont je me moquais. Le compte est plus vite fait, ahem.
-De
toute façon, nous pouvons faire ça à deux, n'est-ce-pas, mon
cœur ? Lançait tendrement Evialg à Gnas'.
-Oh...
Gnas était devenue toute rouge. Bien sûr !
Répondait-elle pleine d'enthousiasme.
-Tu
peux surveiller le nabot pour nous ? Evialg Interrogeait
désormais la félicienne. Il risquerait de se casser un ongle
sur le front.
-Euh...
D'accord. S'empressait-elle de répondre, comprenant qu'elle
serait ainsi à l'abri.
-Comme
ça, nous serons plus sereines pour nous battre. Tu es prête pour y
aller ?
-Je suis prête, mais c'est moi qui ouvre la voie ! Scandait Gnas. Hé toi ! Apostrophait-elle la femme-féline. Tu peux te transformer et me jeter le plus fort que tu peux dans le tas ?!
-Je suis prête, mais c'est moi qui ouvre la voie ! Scandait Gnas. Hé toi ! Apostrophait-elle la femme-féline. Tu peux te transformer et me jeter le plus fort que tu peux dans le tas ?!
-Je
dois pouvoir faire ça, oui.
-Super ! A tout de suite Evou', on se retrouvera peut-être dans la mêlée. L'embrassait-elle avant de dégainer son immense sabre.
-Super ! A tout de suite Evou', on se retrouvera peut-être dans la mêlée. L'embrassait-elle avant de dégainer son immense sabre.
-Bouchère...
Glissais-je. »
Notre
escorte se métamorphosait à nouveau, et empoignait Gnas, tournait
sur elle-même, et la projetait en cloche, en plein centre des
troupes. A peine atterrie, cette dernière fendait les rangs, faisant
tournoyer la lame au-dessus de sa tête, broyant armures et os sur
son passage. Toute l'attention des troupes était centrée sur notre
camarade, permettant à Evialg, à son tour, ayant invoqué une arme
que je ne connaissais pas encore, de foncer discrètement dans le dos
des premières lignes, provoquant elle aussi un bain de sang dès son
arrivée au combat. Toutes deux bondissaient, mâchant, brisant,
éviscérant quiconque était sur leur chemin. Un attroupement très
compact se formait autour de notre sanguinaire combattante, elle le
maîtrisait quelques instants, puis semblait submergée ; cela
ne dura pas longtemps, la pression de l'air changea, l'atmosphère
devint lourde.
Un
bruit d'explosion retentissait, soufflant l'amas de soldats qui
encerclait Gnas, elle avait même rengainé Masamune, et semblait
désormais envoyer des demi-cercles de sang dans tous les sens,
sifflant et traversant le champs de bataille promptement, les
matérialisions écarlates sciaient leurs victimes en long et en
large, tandis qu'émanait de notre amie une aura pourpre de plus en
plus intense. D'autre part, Evi' était accompagnée d'une lumière
aveuglante provenant de ses ailes désormais sorties et son glaive
lunaire, elle effectuait acrobatie sur acrobatie, s'enroulait avec
grâce sur elle-même, découpant toute résistance qui lui était
opposée, virevoltant frénétiquement entre les piques et haches
tendues de ses adversaires, glissant sur le sol détrempé du sang de
tous les morts l'entourant.
L'armée,
quelques instants après le début du combat était déjà en déroute
et devait avoir perdu la moitié de ses effectifs, Evialg fondait
désormais violemment sur les lignes en retrait, sa devise pas de
quartier. Gnas était toujours l'épicentre du combat, les soldats ne
semblaient se focaliser que sur elle, cependant, le nombre devait peu
lui importer, cette dernière, désormais transpercée de toute part,
venait de s'élever au-dessus de la mêlée, et avait l'air
d'incanter quelque chose : toutes les effusions sanguinolentes
venaient à elle. Je ne l'avais vue qu'une fois se battre de la
sorte, mais cette occasion était bien particulière, peut-être
avait-elle même était inspirée par sa rencontre avec l'Evialg
Draconique ; à notre première rencontre, elle avait invoqué
un serpent volant, cependant à cet instant précis, c'était elle
qui venait de prendre l'apparence d'un dragon couleur écarlate,
dégoulinant de la matière dont il était créé, le tout sous nos
yeux ébahis. A son tour métamorphosée, elle se ruait, frappait,
mordait, déchiquetait, dévorait et abattait sans retenue ceux qui
étaient à sa portée. Je me souvenais du crachat sanguinolent que
j'avais reçu au visage peu de temps après l'avoir soignée,
justement lors de notre premier vis-à-vis ; je la voyais
actuellement, déverser de sa gueule reptilienne, un torrent de sang
gluant et fumant sur les cohortes, désormais désorganisées et
apeurées, fuyant, tout en abandonnant leurs équipements,
poursuivies et rattrapées par Evi', qui semblait avoir anticipé
leur tentative d'évasion. Face à nous, là où se tenait quelques
minutes auparavant une armée prête à détruire la forêt trônant
derrière nous, il ne restait plus que des tas de chair, des membres
séparés de leurs corps, une quantité affolante d'armes et
d'armures en tous genres, et un océan de sang. Notre dragonne
sanguinaire continuait d'aplatir les derniers survivants de ce
carnage, battant l'air de sa queue, soulevant du sol les quelques
malheureux qui tentaient vainement de ramper hors du lieu dévasté.
Victorieuse et toute-puissante, Gnas déployait au plus possible ses
majestueuses ailes visqueuses et poussait un incroyable rugissement
de son immense gueule, hurlement suivi par celui d'Evialg qui elle
aussi, semblait avoir terminé sa macabre tache. Dans une explosion
poisseuse, la créature formidable laissait réapparaître Gnas,
toute rouge, rapidement rejoint par Evi', se jetant dans ses bras, et
se couvrant du même éclat qu'elle. Se rapprochant peu de temps
après de nous.
« Je
ne sais pas si cela sert à quelque chose que je vous demande si vous
êtes blessées... Soufflais-je, l'estomac retourné par ce
spectacle et par la course qui le précédait.
-Je
crois que je me suis coupée. Evi' me désignait son front,
légèrement entaillé.
-C'est
très superficiel... Surtout comparativement, aux blessures que vous
avez occasionnées... Je leur montrais du doigt la vue d'ensemble que
nous avions .
-Ah ouais... Quand on est dedans on ne voit rien en même temps. Gloussait Gnas. Tu vois l'acier des équipements et la lumière qui se reflète dedans elle t'aveugle, après tu reçois du sang dans le visage, ça embourbe et ça force à fermer les yeux. C'est presque un combat à l'aveugle trois quart du temps. Se plaignait-elle.
-Ah ouais... Quand on est dedans on ne voit rien en même temps. Gloussait Gnas. Tu vois l'acier des équipements et la lumière qui se reflète dedans elle t'aveugle, après tu reçois du sang dans le visage, ça embourbe et ça force à fermer les yeux. C'est presque un combat à l'aveugle trois quart du temps. Se plaignait-elle.
-En
Dragon aussi tu étais gênée ? Lui demandait compatissante
Evialg, pour je ne sais quelle raison, au vu du massacre qu'elle a
engendré.
-Ah
non ! Pour le coup, j'avoue que la vue était assez dégagée.
C'est marrant de se sentir plus grande que d'habitude. Par contre,
bonjour l'angoisse pour se déplacer, je n'imaginais pas ça aussi
pataud un Dragon...
-C'est
quand même fou, que vous ayez réussi se prodige à deux. Clamait
d'un ton admirateur la félicienne qui elle aussi avait observé la
scène. Vous n'aviez déjà pas besoin de moi, mais si vous le
permettez, je vais aller rassurer la Grande Prêtresse et annoncer
votre victoire.
-Oui
c'est certain que c'est une bonne nouvelle pour votre habitat.
Transmettez-lui aussi que nous partons pour Teysandrul dans la
foulée. Evialg peux-tu te rapprocher ? Je fouillais dans mon
fourre-tout.
-Je
n'y manquerai pas, je conterai aussi cette glorieuse bataille. Elle
s'empressait de se changer à nouveau en félin et
disparaissait.
-Glorieuse ? Tu parles. Soufflais-je, mettant enfin la main sur un onguent que j'avais fabriqué à base du sang de Gnas et quelques plantes et baies broyées. Comment empiler des morts peut-il être glorieux ? Logique de bourrin... C'est tout. J'appliquais un peu de la pâte sur la coupure d'Evi', qui cicatrisait à vue. Voilà, tu es guérie.
-Glorieuse ? Tu parles. Soufflais-je, mettant enfin la main sur un onguent que j'avais fabriqué à base du sang de Gnas et quelques plantes et baies broyées. Comment empiler des morts peut-il être glorieux ? Logique de bourrin... C'est tout. J'appliquais un peu de la pâte sur la coupure d'Evi', qui cicatrisait à vue. Voilà, tu es guérie.
-C'était
rapide. Sifflait Evi'. Par contre ça pue, ton truc.
-Oh ça
va... Ce qui compte c'est que cela fonctionne.
-Allez,
tu te vexes parce que tu ne peux pas te défouler, et ça, parce que
tu ne peux pas te battre ! Au moins tu es un bon soigneur !
C'est toujours ça. Rigolait Gnas.
-Et
toi, tu n'as rien en parlant de ça ? Avec le nombres de
projectiles et d'armes que tu as reçus ?
-Bah
non. Me répondait-elle, en haussant les épaules. Même pas
une coupure. Toute fière d'elle.
-Entre
ta guérison et maintenant ta transformation en Dragon, je me dis que
tu as sûrement quelque chose de divin. Je me tâtais à lui
parler de son sang et des capacités régénératrices qu'il donnait
à mes préparations, mais finalement, je me convainquais d'attendre
et me taisais.
-Bon,
nous devons nous mettre en route c'est ça ? Nous
interrogeait Gnas.
-Oui,
d'autant que Teysandrul, c'est au moins à quatre jours de marche
d'ici.
-Moins
si on court vite ! Charriait Gnas en me regardant comme si
elle n'avait pas oublié.
-Ah
non, hein. Après tu vas dire que je cherche les ennuis. Autant
marcher normalement !
-C'est
ça oui, c'est ça. Ricanait Gnas. J'espère que nous
croiserons vite une auberge en tout cas. J'ai déjà faim.
Maugréait-elle.
-Comment
tu fais pour avoir toujours faim comme ça ?
-Elle
se bat ET elle court. La soutenait Evialg en gloussant. »
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