mercredi 8 octobre 2014

Chapitre XXV : Fausses retrouvailles


Quitter Bourg-en-Or avait été compliqué, et j'avais suivi le nain-pourri à contre-cœur. Mais selon lui, quelque chose de terrible se passait. Assez terrible pour m'avoir dérangée et interrompue en tout cas. Sans m'avoir expliqué de quoi il était question, j'avais l'intime conviction que le problème venait d'Evi. 
 Je lui en voulais terriblement de ne pas avoir été là à mon réveil après l'affrontement de la forêt, peut-être même de ne plus être là, tout simplement. Le dernier souvenir que j'avais d'elle, c'était de l'avoir défendue en m'interposant contre le monstre-chat qui nous était tombé dessus en pleine sylve. Oh ça oui, je l'avais sauvée, une seconde fois d'ailleurs et ça la poitrine percée, une seconde fois encore.
 Tout ça pour me laisser seule, dans une autre auberge, dans un autre village, toute seule, sans explication... Bon je reconnais que même si elle m'avait laissé un mot, je n'aurais pas su le lire, mais quand même ! Les seules informations que j'ai eu à mon réveil, c'est
 le couple de tenanciers de la fameuse auberge qui me les avaient donné : ils m'ont trouvé sur leur seuil, allongée, me vidant de mon sang, une bourse de pièces d'or déposée sur moi, mais personne avec moi, ni nain-allé, ni Evialg. Comme si je repartais de zéro, comme si rien de toute notre aventure avec les deux autres n'avait vraiment existé. De solitude, je retombais dans la solitude. Comme si j'étais trop bête pour mériter de les suivre, ou que je ne valais pas la peine que l'on s'inquiète pour moi. Je m'étais convaincue que le problème venait de moi.
Sans chercher à en comprendre davantage, j'avais juste attendu de récupérer avant de quitter l'auberge afin de repartir au bosquet en suivant l'odeur de mon sang. Tout ça pour constater le carnage que nous avions essuyé, et essayer de trouver d'où venait le monstre. Sans résultat, j'avais juste erré de longs jours dans la forêt à devoir me nourrir d'écureuils et d'oiseaux. Pas de chat-monstre, pas de chat tout court, aucune nouvelle du nain-ailé. J'étais finalement ressortie de la masse sylvestre, et j'avais marché de village en village, m'entraînant, chassant, gagnant assez de pièces d'or pour pouvoir dormir au chaud chaque soir et manger à ma faim. Je constatais que j'avais quand même évolué depuis l'époque où je sillonnais le désert en me nourrissant de mon sang et en dormant sous les grosses pierres. Tout ce chemin pour atterrir à Bourg-en-Or. Voilà où j'en étais. Voilà à quoi avait rimé ma vie ces derniers jours. Je ne voyais pas grand chose de vraiment positif dans tout ça, du moment que j'étais toute seule.

Sans le nain-ailé pour me tenir compagnie, je ne savais pas trop quoi dire, bien qu'Evialg n'était pas très bavarde, au moins le petit pervers était marrant.  Mais là, nous marchions depuis de longues heures, laissant au jour le temps de se lever, et nous n'avions toujours pas échangé un mot depuis la drôle d'auberge où il m'avait "tiré du lit". Je me sentais toute chose en me remémorant ce court mais bon moment. J'expirais bruyamment.

"Moi aussi ça ne m'enchante pas de courir le monde sans raison évidente, par tous les temps, tu sais. Soufflait le nain-pourri. Et pourtant c'est bien ce que je fais depuis des siècles. Continuait-il.
-Toi au moins.. Tu n'as pas été interrompu. Maugréais-je.
-Ne t'en fais pas Gnas. Tu auras bien d'autres occasions de poursuivre ou refaire ce que tu allais faire. La vie est longue et les partenaires éventuels nombreux..
-Ah bon ? Je riais. Tu t'y connais toi ? Avec ton odeur ça doit être dur pourtant..
-Je n'ai pas toujours été dans cet état de décomposition. Moi aussi j'ai été jeune et...
- Pas couvert de tissu et de bandages partout ? Je pouffais. Haha, comme quoi il y a un temps pour tout.
-C'est exactement la leçon que m'aura donné la vie. Lâchait-il, sans même se vexer.
-Roooh. J'étais déçue de ne pas l'avoir fait réagir, tout en me rapprochant un peu de lui. Parce que ça fait si longtemps que tu te balades sur ce Monde ?
-Oui. J'aurais bientôt sept siècles. Alors ce Monde, comme tu dis, je le connais en long en large en travers. J'ai vu et participé à de nombreuses batailles... Je riais encore à ces mots, incapable de l'imaginer tenir même un petit couteau, il reprenait. J'ai vu bien des gouvernements se succéder, les époques de paix et de guerre se suivre. Il s'arrêtait et prenait un ton plus grave. J'ai vu tous mes amis mourir, j'en ai rencontré des nouveaux, qui à leur tour mourraient. J'ai connu tous mes descendants et même vu les derniers de ma famille mourir. Il y a un temps pour tout.
-Je me suis un peu perdue. Le coupais-je. C'est quoi un descendant ? C'est des gens qui ne font que tomber ? Cette fois-ci c'est lui qui riait à mes mots.
-Non Gnas, un descendant ça peut-être ton enfant, puis l'enfant de ton enfant, et ainsi de suite. Sur sept siècles.
-Ah oui... Ça en fait des gens qui tombent ça. Disais-je en envoyant valser un caillou. Mais, pourquoi tu dis "ton" enfant ?
-Gnas, ne me dis pas que tu ne sais pas que nous sommes forcément tous les enfants de quelqu'un ?  De deux personnes même, obligatoirement.
-Bah. Je me creusais la tête. Je croyais que l'on arrivait comme ça sur ce Monde. Un peu comme par magie, quoi. Je griffais avec un de mes ongles une de mes cicatrices pour en faire perler une goutte de sang, et lui donnant une petite forme humaine. Comme ça quoi ! Et c'est pour ça que l'on arrive seul, parce que cette goutte de sang, elle est toute seule, même si elle sort de moi.
-Non... Il arrêtait de marcher et se retournait vers moi. Toi comme moi, nous avons ou en tout cas, avons eu des parents. Et même si c'est un peu de la magie, c'est normal et naturel. Mais pour ça il faut... Il me regardait un peu désespérément alors que je lui souriais bêtement. Il faut aimer quelqu'un suffisamment pour qu'avec quelques... Il se clarifiait la voix. Pour qu'avec quelques moments comme tu étais entrain d'avoir quand je suis arrivé, vienne au monde un enfant.
-QUOI ?! Mais ça veut dire que je vais avoir un enfant. J'étais sous le choc, même un peu dégoûtée.  Et Evialg en mère... Non merci ! Je prenais conscience de ce que je venais d'admettre, un peu bête.

Nous reprenions la marche.

-Mais non... Cela me rassurait, il se frottait la tête, d'un air encore plus désespéré. Tu le sais quand même qu'il faut un homme et une femme pour cela, comme tes parents à toi, en fait.
-Euh... J'essayais de comprendre. Moi j'ai toujours été toute seule alors, je sais pas trop, non. J'étais un peu vexée de me dire que je ne savais pas ça. De toute façon ce n'est pas  important, et c'est idiot en plus.
-Tu as toujours été seule ? Il avait l'air un peu surpris par cette révélation. Mais tu as bien été petite !  Donc forcément accompagnée.
-Je sais pas trop.  Je crois que je vivais dans un bâtiment plein de colonnes...
-Un temple ? Me coupait-il.
-Je sais pas. Il y avait des jolis dessins sans couleur dans ce bâtiment, mais ils étaient tristes et moi je m'ennuyais... Alors j'ai tout colorié en rouge ! Je lui montrais les cercles et marques qui courraient le long de mes bras. Avec ça !
-Waouh. Mais, il était ou ce temple ?
-Oh je ne sais plus trop. Dans un désert pour sûr.  Puisque c'est de là que je viens.
-Un désert, tu dis ? J'avais suscité sa curiosité, devinais-je.
-Oui, un grand grand grand désert. Tellement grand que quand j'y suis sortie, le temps de le traverser, j'étais déjà grande comme ça. Je me désignais toute entière.
-Gnas, tu aurais dû y mourir de faim dans ce désert.
-Bah, non. Je sortais la dague que je gardais depuis, lui montrant le geste que je pratiquais afin de m'entailler et boire mon sang. Puis comme je m'ennuyais, comme ça je faisais des dessins en même temps.  Il était pris d'un léger dégoût.
-Je connais ce Monde depuis bien longtemps, et pourtant je n'ai jamais entendu parler d'un temple dans un désert. Il se concentrait. Il y a bien des tombeaux sacrés dans le désert... Mais des peuples y résidant ou des temples... Non là je ne vois pas. Tu es certaine de toi ?
-Mais oui voyons ! C'est bien la seule chose dont je suis sûre. C'est même la seule chose que je sais lire !
-Le sable ? Me demandait-il. 
-Mais non.. Les étoiles, le soir pour me repérer. L'ostralagie... L'ostra-jolie.. Euh..
-L'astrologie ?  Me lançait-il en riant.
- Oui voilà, ça. Sinon j'étais perdue. Donc je me perdais le jour et je me retrouvais la nuit.
- Mais, les soleils qui éclairent notre monde sont plus simples à suivre.
-Je n'y ai pas pensé.  Pouffais-je, tout en pensant au fait que je ne m'étais jamais sentie perdue à cette époque là.  Tu m'as retrouvé comment toi d'ailleurs ?  Les autres ça fait 10 jours au moins que nous sommes séparés et je ne les ai pas trouvés moi, même en cherchant dans la forêt où nous nous sommes perdus.
-C'est pourtant bien dans cette forêt que ton ami à ailes se trouve. Bien à l'est dans les bois, dans un village, où une tribu de femmes félines se cache.
-Donc dans la direction de la constellation du Dragon ? Lui lançais-je. Je n'arrivais pas à voir les étoiles aussi... Les arbres c'est pas pratique, c'est pour ça que je me suis perdue.
-Tu aurais pu grimper aux arbres pour voir les étoiles.
-Je n'y ai pas pensé. Je me sentais bête et le renvoyais bien.
-Ne te prends pas la tête. Trouver ce village est presque impossible, même pour qui sait vraiment où il se trouve. Me rassurait-il.
- De toute façon, c'était surtout Evialg que je cherchais avant tout. Mais comme elle n'était nulle part...
-C'est aussi, Elle que nous cherchons actuellement.
-Ah bon ? Je m'arrêtais et resongeais au fait qu'elle m'ait abandonnée et que je m'étais un peu résignée à vouloir la laisser tomber. Je ne sais pas si j'ai envie de la chercher moi. Elle m'a complètement laissée tomber. Et tu ne m'as pas répondu. Comment m'as tu retrouvée ?
-Figure-toi que je t'ai presque suivi après que tu ais quitté la forêt. Je pensais que tu serais avec le reste du groupe. J'ai même assisté à ton combat sur la place. Mais je t'ai perdue à nouveau dans la foule, puis dans les ruelles de Bourg-en-Or. C'est finalement une minette peu vêtue qui m'a dit t'avoir vu entrer le matin dans la maison de passe où elle travaillait.
-Une maison de passe ? Je me demandais si j'avais bien compris, une fois encore le but du local. Attends, mais c'est un endroit que l'on doit juste traverser ?
-Que l'on doit traverser ? M'interrogeait-il.
-Bah... Là on passe sur un chemin. Mais si il s'agit d'une maison, ça veut dire qu'on doit juste y passer ? Lui renvoyais-je.
-Euh non. Une maison de passe c'est un endroit où l'on peut éventuellement passer du bon temps avec quelqu'un en échange d'argent.
-Ah oui... Donc j'avais bien compris ! Toute fière de moi-même.
-Qu'est ce que tu faisais là bas d'ailleurs ? Me demandait-il d'un ton qu'il aurait pu emprunter à Tne'.
-J'ai pris un bain, j'ai bien mangé et... Je me sentais toute chose en y pensant une fois de plus. Et une dame m'a fait quelque chose... Rien de mal hein ! Je me sentais brouillonne.
-Je me doute bien !  Riait-il aux éclats. Comme je te l'ai dit ces endroits servent à ça. 
-À vrai dire..."

 Je m'étais moi-même interrompue. Je venais d'avoir l'étrange sensation que quelque chose venait de se produire. En l'espace d'une seconde, un éclair mauve venait de strier le ciel horizontalement et durant ce même instant, mon corps avait frémit. Sa source semblait venir de loin d'ici. Mais quelque chose de terrible venait de se produire, et tout me laissait penser qu'Evialg était concernée. Cependant je n'étais pas la seule à m'être arrêtée nette. J'interrogeais Eruxul :
"C'est moi ou...
-Ce n'est pas que toi Gnas. Moi aussi je viens de sentir une drôle d'aura sillonner l'air. 
-C'était Evialg, pas vrai ? Lui demandais-je d'un ton grave.
-Je crois bien que oui. Je n'en ai pas la conviction mais...
-Mais c'était Evialg. C'est comme si je pouvais la sentir. Comme si elle m'appelait. C'est bizarre..
-Quoi ?
-C'est étrange, je ressens la même chose que quand Evialg était dans les parages mais comme si ce n'était pas vraiment elle non plus. Puis cet éclair... Waouh.
-Quel éclair ? Tu as vu un éclair ? 
-Bah oui. Tout mauve et...
-Mauve ? Lançait-il, comme surpris mais sans étonnement de ce que je lui annonçais.
-Bah oui. Mais d'habitude, ça tombe un éclair. Ça ne va pas de gauche à droite. Alors je ne sais pas.
-Je vais te suivre. Je n'ai rien vu pour ma part. Vers où s'est il propagé cet éclair ? 
-Propagé ? 
-Vers où allait-il.. Soufflait-il.
-Vers là bas. Lui répondais-je, ayant compris le mot, en désignant la chaîne de montagne qui s'était dessinée à notre gauche, au fur et à mesure que le jour s'était levé.  Après, je sais pas exactement où...
-C'est suffisant, nous explorerons les environs déjà.
-Juste... Je réfléchissais. Quand on voit un problème arriver, on se dirige vers son origine non ? Je me trouvais logique.
-C'est ce que font les bourrins ça, Gnas. Aujourd'hui nous allons d'abord voir si il n'y a rien au bout de cet éclair.
-Comme les trésors au pied des flèche-en-ciel ?
-Pardon ?
-Mais oui allons... Ne fais pas celui qui connaît pas. Tu sais, les couleurs dans le ciel, quand il y a la pluie et le soleil.
-Un arc-en-ciel, Gnas. Pas une flèche-en-ciel.
-Oui bon c'est presque pareil...
-Mais c'est l'idée, oui. Je doute cependant que l'on trouve un trésor là bas, si tu veux mon avis.
-Ah ça on sait pas. On y va ?
-Je te suis."
 Nous nous remettions en marche, longeant une rivière puis une orée de forêt. J'essayais de ne pas perdre de vue l'endroit où je pensais avoir vu l'éclair aller. Mais progresser ici prenait du temps, et je n'avais pas toujours vue sur le sommet rocheux. Le chemin devenait de plus en plus escarpé, tout en commençant à chevaucher la montagne. De grands arbres nous empêchaient de voir vraiment ce qui nous entourait, et j'avais peur de ne plus pouvoir me retrouver. Au moment où l'éclair avait fendu le ciel en deux, le soleil était déjà bien à la moitié d'atteindre son zénith. Je n'étais même plus sûre d'avoir bien vu.
 Le sentier sur lequel nous avancions était désormais complètement accidenté et les arbres qui bordaient la piste, semblaient tous avoir été déracinés il y a peu.
"Attends Gnas.
-Quoi ? Disais-je en me retournant vers le nain-pourri.
-Cet éboulement n'était pas là la dernière fois que j'ai franchi le col, qui se situe un peu plus loin.
-Tu me dis que nous allons donc devoir escalader tous ces cailloux. Tous ces gros cailloux... ? Disais-je en contemplant l'immense coulée de roche. 
-En effet, tu vas devoir gravir cet éboulis.
-Parce que toi tu vas rester en bas ? Je ronchonnais à cette nouvelle.
-Non, je n'ai pas dit ça mais... Il tendait son regard plus haut, faisait un drôle de mouvement avec ses mains et il disparut sous mes yeux, je le cherchais partout. Je suis là Gnas. Je cherchais partout autour de moi mais ne le voyais pas. Regarde plus haut ! Je levais la tête vers le ciel, sans plus de résultat. Mais non Gnas ! Vers la montagne. Hurlait-il.
-Ah... Je te vois, oui ! J'étais stupéfaite, c'était donc ça que je l'avais empêché de faire la première fois que nous l'avions vu à la taverne. Tu peux te télépoteler ?! Criais-je
-Me téléporter oui ! Bon allez, tu grimpes ?! Me renvoyait-il."

 Je ne m'imaginais vraiment pas grimper une par une ces grosses pierres, moi je voulais sauter le plus haut possible d'un coup. "Quand il faut.. il faut", me disais-je. Prenant quelques pas de recul, vérifiant que tout mon équipement allait tenir, je m'élançais et percutant le sol du plus fort que je le pouvais,  je me voyais sauter très très haut, presque même m'envoler. Mais à grand saut.. Lourde retombée. Et même si j'étais presque arrivée au niveau du nain-pourraient, le gros caillou sur lequel je venais d'atterrir, fit bouger le gros caillou du dessus, et encore celui du dessus, ça, jusqu'au caillou tout en haut. Un bruit sourd se fit entendre. Comme si toute la montagne était entrain de glisser, mais vers moi. Ou plutôt sur moi. J'allais être brave et faisais donc face au premier bloc rocheux qui me tombait dessus. Mais en un instant, le nain me fauchait, et sans que je comprenne trop ce qu'il se passe, mes yeux qui ne voyaient que cet énorme caillou foncer droit sur moi, voyaient la seconde d'après, des centaines de pierres couler de la montagne, réduisant en purée la forêt qui s'étendait au pied du pic.
"Oups... Glissais-je, consciente de la catastrophe qui venait de se produire devant moi. Je regardais Eruxul, des étoiles plein les yeux. Tu m'as télépotelée !! C'est génial !  On peut le ref...
-Non mais ça va pas ?! Me coupait-il sèchement. Tu voulais nous réduire tous les deux en bouillie ou quoi ?!
-Bah non... Je prenais une petite voix. Mais c'est le caillou.. Il a bougé sous moi et... enfin le caillou d'après aussi... Euh. Je souriais bêtement. J'ai fait une bêtise ? 
-Parce qu'avec le bond que tu as fait, tu croyais vraiment retomber en douceur ? N'oublie pas ce que tu portes au dos. Ce n'est pas parce que tu n'en sens pas le poids, ce qui m'étonne énormément, que ton arme n'est pas lourde !
-Tu exagères... Le charriais-je.
-Non je n'exagère pas. Si cette arme est un artefact de guerre, c'est qu'elle est tellement lourde qu'il faudrait au moins deux personnes pour la brandir correctement. Tu imagines le poids avec lequel tu es retombée sur ces pierres instables ?! Comme si le résultat t'étonnait...
-Quel jabat-roi. Soufflais-je.
-Déjà c'est rabat-joie et si nous n'avions pas risqué de mourir peut être que...
-Regarde !  Je lui montrais ce que la coulée de pierre avait laissé apparaître. C'est comme si quelqu'un avait percuté la montagne, et que les cailloux étaient tombés par dessus. Comme ça. Pouf ! Mimais-je en frappant une main de mon autre et en la faisant glisser après.
-Ah oui.. Rétorquait-il sans même chercher à avoir le dernier mot. Peut être serait ce...
- La conséquence de l'éclair mauve ! Il faut aller voir."

 Je repartais en sautant vers la zone, faisant choir d'autres rochers sur mon passage. Sauf que désormais j'en étais sûre. Ce qui était rentré en collision avec la montagne... C'était Evialg ! Et elle devait être coincée sous les décombres. J'atteignais l'épicentre visible de l'éboulis de pierre, et me concentrais afin de trouver Evialg. Je la sentais, puis ne la sentais plus. Comme si je me focalisais sur ses battements de cœur. Je me déplaçais un peu, ne ressentais plus rien, puis après avoir enjambé quelques roches, je distinguais à nouveau sa présence, de plus en plus fort. Désormais c'était son souffle que je pouvais sentir au fond de moi.

 "Elle est là ! Hurlais-je au nain, qui me rejoignait en un mouvement de mains.
-La question maintenant, c'est de savoir comment retirer ces pierres, si tu la sens ici, c'est qu'elle doit être en dessous. Tu as une idée ?  Me questionnait-il.
-Oh oui. Mais bouge. Lui retournais-je."

 Agrippant le premier énorme caillou qui se dressait sous moi, je le soulevais sans trop de difficulté, sous le regard ébahi d'Eruxul. Le projetant hors de l'avalanche, répétant cette opération jusqu'à ce qu'Evialg, enfin, apparaisse à mon regard. Elle semblait inerte, je la dégageais des rochers.
 Ce ne fut qu'une fois libérée de sa prison de pierre, que ses yeux blancs s'ouvrirent face aux miens. Mais, quelque chose clochait. Sa façon de me regarder, de me voir, comme si elle ne me connaissait pas, confirmait ce que j'avais pressenti auparavant. 
 "Tu n'es pas Evialg."

 À peine eus-je prononcer cette phrase, qu'elle se hissa sur ses deux jambes et que sa main vint saisir ma gorge. Mais je savais que quelque chose de maléfique émanait désormais d'elle, il ne me fallut pas moins de temps pour la repousser d'un coup.

"Je ne sais pas ce qui t'habite, mais parlons en ! Lui criais-je. Eruxul, toi tu te caches et tu regardes. Lui lançais-je, constatant qu'il s'était déjà abrité.
-Seul le sang parle, le reste n'est que mensonge. Balbutiais Evialg."

 Sans plus perdre de temps, une lame noire et rouge apparut dans sa main, et une paire d'ailes toute aussi écarlate jaillit de son dos, accompagné d'un bruit strident et ignoble, comme le jour où j'avais joué à la balle avec une ruche. Elle voulait se battre. Elle voulait me tuer même, sa façon de se tenir n'était en rien comparable à celle de la première fois où nous nous étions affrontées. 
"D'accord, d'accord. Tu veux que ça saigne, moi aussi j'ai des comptes à te rendre. Ça tombe bien."

 Je me sentais bien différente qu'à notre première rencontre, quand bien même Evialg s'était endurcie, j'étais prête à en découdre. D'autant que celle que j'avais face à moi, malgré son apparence et la puissance qui s'en dégageait, n'avait plus rien d'humaine. Je la percevais comme un monstre, ni plus, ni moins.
 Sereinement, je brandissais Masamune et laissais l'excitation courir dans mes veines.  Nous nous faisions face, marchant et sautillant sur les pierres jonchant la balafre de la montagne, décrivant un cercle. La belle mais fausse Evialg, et moi; prêtes toutes deux à nous foncer l'une sur l'autre.

 Elle donna le ton en soulevant d'un coup de pied un rocher et frappant dedans, envoya une infinité de petits cailloux coupant dans ma direction, me tailladant le corps de multiples petites éraflures, suintantes de sang. Je parai  immédiatement son assaut, qu'elle voulut masquer par ce subterfuge. Plongeant l'une en direction de l'autre, nous échangeâmes nos places. Tout juste posée, je fonçai sur elle, écrasant lourdement ma lame sur sa garde, elle n'eut d'autre choix que de reculer en suivant la pente, pour mieux sauter à nouveau vers moi. Je l'esquivai sans peine, et tentai de la faucher d'un coup de pied, elle évita ma jambe, et asséna à son tour une frappe violente. Je me projetai en arrière, me retrouvant quelques mètres sous elle. Sans plus d'effort que moi, elle souleva une grosse pierre et me l'envoya.
 Mais ce n'était pas Evialg, sinon, elle ne m'aurait pas fait perdre la moindre goutte de sang. C'est ça mon credo.  Même une goutte suffirait à décupler ma force, là, c'étaient des dizaines de petites gouttelettes qui tachaient ma peau. Pour une imposture, c'était raté. Je me félicitais moi-même d'avoir deviné ça.
 Mais quand bien même, l'immense rocher filait toujours dans ma direction, et j'avais une idée. Je faisais face et décrivais des petits ronds avec mon bras libre, une corde sanguine s'en dégagea. Cette dernière que je lançai, s'englua au contact du bloc de pierre, et tout en accompagnant la trajectoire du projectile, un tour sur moi-même et un petit coup de poignet suffirent afin de le retourner à son expéditrice. Je relâchai ma concentration au bon moment, la corde céda et cette fausse Evialg reçut le tout directement dessus.
 Sauf que cela n'allait pas avoir raison d'elle,  elle qui avait été écrasée, tout juste déterrée, elle pulvérisa et reduit en poussière l'énorme pierre, redonnant forme à ses ailes, et s'énervant davantage.
 Sa rage l'avait même amenée à dégainer son vrai sabre, enfin, le mien, celui qu'elle m'avait confisqué suite à notre premier combat et jamais rendu. Elle voulait corser le combat, sans nul doute. Sauf que j'apaisais mon amusement au profit d'une grande sérénité.
 Sans attendre, elle se mit à tourner sur elle-même, toutes lames dehors, une tornade argentée et écarlate se dirigeait donc vers moi.
  
 Je me cramponnais à ma position, crispant mon corps et laissant donc davantage de sang s'échapper de toutes les petites plaies ouvertes sur ma peau. Je la ressentais à nouveau, cette puissance sans limite qui me sillonnait toute entière.
  Je mis ma deuxième main au pommeau de Masamune, et effectuai un grand mouvement oblique en direction d'Evialg. J'interrompis le tourbillon d'un coup, soufflais mon opposante dans la direction inverse, et la suivis sans perdre une seconde. Mon bond me fit arriver au-dessus de l'endroit où elle se réceptionna, je la frappai sans plus attendre dans sa garde croisée. À chaque impact de mon arme, des gerbes d'étincelle s'envolaient, et Evialg s'enfonçait dans la roche. Je savais à quoi m'attendre, elle allait davantage s'exciter et donc relâcher sa matérialisation, je devais guetter ce moment, cet instant où elle penserait avoir gagné. Sa lame rompit et elle dut s'extraire de mes assauts répétés. La fureur grandissait d'un bond en elle, même son expression changea, c'était presque fini.
 Elle s'enveloppait dans ses ailes et se mettait elle-même à grossir, elle se déformait. C'était donc ça qu'elle voulait faire, devenir elle-même le Dragon. Je rangeais mon arme, me reculais de quelques roches et la regardais faire.
 Elle tombait à genoux, poussait un hurlement de douleur, tout son corps se transformait : ses bras s’élargissaient et ses mains se munissaient de longues griffes, une queue perçait son dos, ses jambes se métamorphosaient en pattes robustes, la pierrière glissait sous son poids; et pour finir elle laissait son visage émerger de son cocon d'ailes. Un rugissement infernal émanait de son énorme gueule. Elle l'avait fait. Elle s'était changée en Dragon.

 "Ça y est, mémère est en colère ?! Lui hurlais-je. Tu fais bien des manières pour pas grand chose. Tu disparais sans rien dire et tu reviens furieuse ?! Grondais-je, absolument pas intimidée par cette créature géante qui se profilait devant moi, Eruxul se téléportait à côté de moi.
-Ne reste pas là Gnas. Des dragons je n'en ai pas vu souvent, mais c'est du costaud, du très très costaud. Et à chaque fois que des aventuriers s'y mesuraient, ils...
-Mourraient ? Peu m'importe, gros lézard ou grosse vilaine, ça ne change pas grand chose pour moi.
-Tu ne comprends pas je crois. C'est un Dragon Gnas, un DRAGON !
-Toi qui te souviens de tout ce que tu vois, tu pourras comme ça le raconter.
-Quoi ?
-La première fois que tu as vu quelqu'un massacrer un Dragon. Maintenant pousse-toi et laisse moi faire. Il s’exécutait en ronchonnant, Evialg elle, était remise de la transformation et désormais me fonçait dessus, pataude. Allez c'est parti !"

 Je me savais dotée d'un gros avantage sur ce terrain très accidenté, j'étais toute petite et elle beaucoup trop grosse. Je devais juste la prendre de vitesse. Sans dégainer mon arme, je m'enfonçais dans sa garde et sautais par dessus ses membres monstrueux. Cela fonctionnait, elle était obligée de se retourner, glissait sur les innombrables pierres laissées par l'éboulement. Je profitais de ce court instant pour courir et sauter dans sa direction, me réarmant et l'entaillant, faisant demi tour immédiatement. Une gerbe de flammes mauves suivie son râle, fort heureusement, des obstacles il y en avait partout ici. J'attendais sa charge suivante, la feintais et tout en passant près d'elle, la tailladais une fois de plus. Un sang acide se dégageait de ses plaies, fumant au contact des rochers.
 Elle devait encore une fois se retourner pour me faire face. Ça allait être plus facile que prévu. Cependant, elle s'envolait lourdement cette fois-ci pour pallier à ma ruse. "C'est pas du jeu, ça" maugréais-je. Sa hauteur lui donnait un fort avantage, et je devais désormais sautiller de pierre en pierre sans m'arrêter, afin de ne pas me faire carboniser. Je trébuchais sur un appui instable, lâchais mon arme sans avoir le temps d'aller la récupérer et manquais de peu, de me faire cuire sur place. Si elle ne voulait pas descendre, alors moi aussi j'allais tricher.
 Je repérais un immense rocher encore intact, et tout en continuant de courir entre les flammes, j'allais me réfugier dessous. 
 Un dernier petit effort me disais-je. Je m'arc-boutais sous mon imposant refuge et commençais à le soulever, lentement, le voyant rougir sous le souffle incandescent du Dragon, mes mains brûlant sous la chaleur qui s'en dégageait et enfin, le projetais de toute la force que j'avais.
 Je le vis aller s'écraser dans la gueule du monstre volant, qui chuta sous la violence du projectile tout juste reçu. Je me jetais en direction du crâne de la bête, que je martelais de coups de poing, tête, pied. Sa face se déformait, ses crocs sautaient un par un, du sang giclait dans tous les sens, me rendant plus acharnée et plus forte à chaque frappe que je lui assénais. Le Dragon battait l'air de sa queue et tambourinait le sol de ses pattes, incapable de me résister. Paraissant désormais assez affaibli, j'ouvrais sa gueule en grande et m'y logeais accroupie, m'y dressant, lui arrachant la partie inférieure du haut, le tout accompagné d'un grognement épuisé. La bête s'effondrait, sans vie, laissant le corps monstrueux partir en fumée, dévoilant le corps meurtri de cette fausse Evialg. Tendant la main dans ma direction :
 "Trouve moi... Trouve moi là où je suis arrivée pour la première fois... Une plage.. Une pla.."
 Son corps se raidit, puis à l'instar du Dragon, s'évanouit dans un nuage de poussière.
 Le nain-pourri me rejoignait.
"Tu l'as fait Gnas, tu l'as fait !! Chantait-il, joyeux.
-Une plage ? Mais de quelle plage parlait-elle ?
-De quoi ?
-Evialg m'a demandé de la trouver, sur une plage où elle était arrivée..
-Et tu sais de quoi il s'agit ? 
-Pas du tout. Et la seule personne qui sait où cela se trouve c'est...
-Votre ami qui est dans la forêt. Me coupait-il.
-C'est ça. Donc nous devons le retrouver, avant toute chose."

 Je quittais Eruxul pour aller récupérer le Masamune, constatait que mon premier sabre était totalement détruit et curieuse, allais attraper les quelques crocs en état que j'avais fait sauter de la gueule du Dragon.
 "Bon, j'ai tout ce qu'il me faut, tu sais où est le petit pervers n'est-ce-pas ?
-Oui, je pense savoir où le trouver. S'il est toujours en vie bien sûr. 
-Alors en route. Nous n'avons pas de temps à perdre. Soufflais-je."

 Repartant sur nos pas, à la recherche des autres membres du groupe. 


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