Quitter
Bourg-en-Or avait été compliqué, et j'avais suivi le nain-pourri à
contre-cœur. Mais selon lui, quelque chose de terrible se passait.
Assez terrible pour m'avoir dérangée et interrompue en tout cas.
Sans m'avoir expliqué de quoi il était question, j'avais l'intime
conviction que le problème venait d'Evi.
Je
lui en voulais terriblement de ne pas avoir été là à mon réveil
après l'affrontement de la forêt, peut-être même de ne plus être
là, tout simplement. Le dernier souvenir que j'avais d'elle, c'était
de l'avoir défendue en m'interposant contre le monstre-chat qui nous
était tombé dessus en pleine sylve. Oh ça oui, je l'avais sauvée,
une seconde fois d'ailleurs et ça la poitrine percée, une seconde
fois encore.
Tout
ça pour me laisser seule, dans une autre auberge, dans un autre
village, toute seule, sans explication... Bon je reconnais que même
si elle m'avait laissé un mot, je n'aurais pas su le lire, mais
quand même ! Les seules informations que j'ai eu à mon réveil,
c'est
le
couple de tenanciers de la fameuse auberge qui me les avaient donné
: ils m'ont trouvé sur leur seuil, allongée, me vidant de mon sang,
une bourse de pièces d'or déposée sur moi, mais personne avec moi,
ni nain-allé, ni Evialg. Comme si je repartais de zéro, comme si
rien de toute notre aventure avec les deux autres n'avait vraiment
existé. De solitude, je retombais dans la solitude. Comme si j'étais
trop bête pour mériter de les suivre, ou que je ne valais pas la
peine que l'on s'inquiète pour moi. Je m'étais convaincue que le
problème venait de moi.
Sans
chercher à en comprendre davantage, j'avais juste attendu de
récupérer avant de quitter l'auberge afin de repartir au bosquet en
suivant l'odeur de mon sang. Tout ça pour constater le carnage que
nous avions essuyé, et essayer de trouver d'où venait le monstre.
Sans résultat, j'avais juste erré de longs jours dans la forêt à
devoir me nourrir d'écureuils et d'oiseaux. Pas de chat-monstre, pas
de chat tout court, aucune nouvelle du nain-ailé. J'étais
finalement ressortie de la masse sylvestre, et j'avais marché de
village en village, m'entraînant, chassant, gagnant assez de pièces
d'or pour pouvoir dormir au chaud chaque soir et manger à ma faim.
Je constatais que j'avais quand même évolué depuis l'époque où
je sillonnais le désert en me nourrissant de mon sang et en dormant
sous les grosses pierres. Tout ce chemin pour atterrir à
Bourg-en-Or. Voilà où j'en étais. Voilà à quoi avait rimé ma
vie ces derniers jours. Je ne voyais pas grand chose de vraiment
positif dans tout ça, du moment que j'étais toute seule.
Sans
le nain-ailé pour me tenir compagnie, je ne savais pas trop quoi
dire, bien qu'Evialg n'était pas très bavarde, au moins le petit
pervers était marrant. Mais là, nous marchions depuis de
longues heures, laissant au jour le temps de se lever, et nous
n'avions toujours pas échangé un mot depuis la drôle d'auberge où
il m'avait "tiré du lit". Je me sentais toute chose en me
remémorant ce court mais bon moment. J'expirais bruyamment.
"Moi
aussi ça ne m'enchante pas de courir le monde sans raison évidente,
par tous les temps, tu sais. Soufflait le nain-pourri. Et pourtant
c'est bien ce que je fais depuis des siècles. Continuait-il.
-Toi
au moins.. Tu n'as pas été interrompu. Maugréais-je.
-Ne
t'en fais pas Gnas. Tu auras bien d'autres occasions de poursuivre ou
refaire ce que tu allais faire. La vie est longue et les partenaires
éventuels nombreux..
-Ah
bon ? Je riais. Tu t'y connais toi ? Avec ton odeur ça doit être
dur pourtant..
-Je
n'ai pas toujours été dans cet état de décomposition. Moi aussi
j'ai été jeune et...
-
Pas couvert de tissu et de bandages partout ? Je pouffais. Haha,
comme quoi il y a un temps pour tout.
-C'est
exactement la leçon que m'aura donné la vie. Lâchait-il, sans même
se vexer.
-Roooh.
J'étais déçue de ne pas l'avoir fait réagir, tout en me
rapprochant un peu de lui. Parce que ça fait si longtemps que tu te
balades sur ce Monde ?
-Oui.
J'aurais bientôt sept siècles. Alors ce Monde, comme tu dis, je le
connais en long en large en travers. J'ai vu et participé à de
nombreuses batailles... Je riais encore à ces mots, incapable de
l'imaginer tenir même un petit couteau, il reprenait. J'ai vu bien
des gouvernements se succéder, les époques de paix et de guerre se
suivre. Il s'arrêtait et prenait un ton plus grave. J'ai vu tous mes
amis mourir, j'en ai rencontré des nouveaux, qui à leur tour
mourraient. J'ai connu tous mes descendants et même vu les derniers
de ma famille mourir. Il y a un temps pour tout.
-Je
me suis un peu perdue. Le coupais-je. C'est quoi un descendant ?
C'est des gens qui ne font que tomber ? Cette fois-ci c'est lui qui
riait à mes mots.
-Non
Gnas, un descendant ça peut-être ton enfant, puis l'enfant de ton
enfant, et ainsi de suite. Sur sept siècles.
-Ah
oui... Ça en fait des gens qui tombent ça. Disais-je en envoyant
valser un caillou. Mais, pourquoi tu dis "ton" enfant ?
-Gnas,
ne me dis pas que tu ne sais pas que nous sommes forcément tous les
enfants de quelqu'un ? De deux personnes même,
obligatoirement.
-Bah.
Je me creusais la tête. Je croyais que l'on arrivait comme ça sur
ce Monde. Un peu comme par magie, quoi. Je griffais avec un de mes
ongles une de mes cicatrices pour en faire perler une goutte de sang,
et lui donnant une petite forme humaine. Comme ça quoi ! Et c'est
pour ça que l'on arrive seul, parce que cette goutte de sang, elle
est toute seule, même si elle sort de moi.
-Non...
Il arrêtait de marcher et se retournait vers moi. Toi comme moi,
nous avons ou en tout cas, avons eu des parents. Et même si c'est un
peu de la magie, c'est normal et naturel. Mais pour ça il faut... Il
me regardait un peu désespérément alors que je lui souriais
bêtement. Il faut aimer quelqu'un suffisamment pour qu'avec
quelques... Il se clarifiait la voix. Pour qu'avec
quelques moments comme tu étais entrain d'avoir quand je suis
arrivé, vienne au monde un enfant.
-QUOI
?! Mais ça veut dire que je vais avoir un enfant. J'étais
sous le choc, même un peu dégoûtée. Et Evialg en
mère... Non merci ! Je prenais conscience de ce que je venais
d'admettre, un peu bête.
Nous
reprenions la marche.
-Mais
non... Cela me rassurait, il se frottait la tête, d'un air
encore plus désespéré. Tu le sais quand même qu'il faut
un homme et une femme pour cela, comme tes parents à toi, en fait.
-Euh... J'essayais
de comprendre. Moi j'ai toujours été toute seule alors, je
sais pas trop, non. J'étais un peu vexée de me dire que je
ne savais pas ça. De toute façon ce n'est pas
important, et c'est idiot en plus.
-Tu
as toujours été seule ? Il avait l'air un peu surpris par
cette révélation. Mais tu as bien été petite !
Donc forcément accompagnée.
-Je
sais pas trop. Je crois que je vivais dans un bâtiment plein
de colonnes...
-Un
temple ? Me coupait-il.
-Je
sais pas. Il y avait des jolis dessins sans couleur dans ce bâtiment,
mais ils étaient tristes et moi je m'ennuyais... Alors j'ai tout
colorié en rouge ! Je lui montrais les cercles et marques
qui courraient le long de mes bras. Avec ça !
-Waouh.
Mais, il était ou ce temple ?
-Oh
je ne sais plus trop. Dans un désert pour sûr. Puisque c'est
de là que je viens.
-Un
désert, tu dis ? J'avais suscité sa curiosité,
devinais-je.
-Oui,
un grand grand grand désert. Tellement grand que quand j'y suis
sortie, le temps de le traverser, j'étais déjà grande comme ça. Je
me désignais toute entière.
-Gnas,
tu aurais dû y mourir de faim dans ce désert.
-Bah,
non. Je sortais la dague que je gardais depuis, lui montrant
le geste que je pratiquais afin de m'entailler et boire mon
sang. Puis comme je m'ennuyais, comme ça je faisais des
dessins en même temps. Il était pris d'un léger
dégoût.
-Je
connais ce Monde depuis bien longtemps, et pourtant je n'ai jamais
entendu parler d'un temple dans un désert. Il se concentrait. Il
y a bien des tombeaux sacrés dans le désert... Mais des peuples y
résidant ou des temples... Non là je ne vois pas. Tu es certaine de
toi ?
-Mais
oui voyons ! C'est bien la seule chose dont je suis sûre. C'est même
la seule chose que je sais lire !
-Le
sable ? Me demandait-il.
-Mais
non.. Les étoiles, le soir pour me repérer. L'ostralagie...
L'ostra-jolie.. Euh..
-L'astrologie
? Me lançait-il en riant.
-
Oui voilà, ça. Sinon j'étais perdue. Donc je me perdais le jour et
je me retrouvais la nuit.
-
Mais, les soleils qui éclairent notre monde sont plus simples à
suivre.
-Je
n'y ai pas pensé. Pouffais-je, tout en pensant au fait
que je ne m'étais jamais sentie perdue à cette époque là.
Tu m'as retrouvé comment toi d'ailleurs ? Les autres ça fait
10 jours au moins que nous sommes séparés et je ne les ai pas
trouvés moi, même en cherchant dans la forêt où nous nous sommes
perdus.
-C'est
pourtant bien dans cette forêt que ton ami à ailes se trouve. Bien
à l'est dans les bois, dans un village, où une tribu de femmes
félines se cache.
-Donc
dans la direction de la constellation du Dragon ? Lui
lançais-je. Je n'arrivais pas à voir les étoiles aussi... Les
arbres c'est pas pratique, c'est pour ça que je me suis perdue.
-Tu
aurais pu grimper aux arbres pour voir les étoiles.
-Je
n'y ai pas pensé. Je me sentais bête et le renvoyais bien.
-Ne
te prends pas la tête. Trouver ce village est presque impossible,
même pour qui sait vraiment où il se trouve. Me
rassurait-il.
-
De toute façon, c'était surtout Evialg que je cherchais avant tout.
Mais comme elle n'était nulle part...
-C'est
aussi, Elle que nous cherchons actuellement.
-Ah
bon ? Je m'arrêtais et resongeais au fait qu'elle m'ait
abandonnée et que je m'étais un peu résignée à vouloir la
laisser tomber. Je ne sais pas si j'ai envie de la chercher
moi. Elle m'a complètement laissée tomber. Et tu ne m'as pas
répondu. Comment m'as tu retrouvée ?
-Figure-toi
que je t'ai presque suivi après que tu ais quitté la forêt. Je
pensais que tu serais avec le reste du groupe. J'ai même assisté à
ton combat sur la place. Mais je t'ai perdue à nouveau dans la
foule, puis dans les ruelles de Bourg-en-Or. C'est finalement une
minette peu vêtue qui m'a dit t'avoir vu entrer le matin dans la
maison de passe où elle travaillait.
-Une
maison de passe ? Je me demandais si j'avais bien compris,
une fois encore le but du local. Attends, mais c'est un
endroit que l'on doit juste traverser ?
-Que
l'on doit traverser ? M'interrogeait-il.
-Bah...
Là on passe sur un chemin. Mais si il s'agit d'une maison, ça veut
dire qu'on doit juste y passer ? Lui renvoyais-je.
-Euh
non. Une maison de passe c'est un endroit où l'on peut
éventuellement passer du bon temps avec quelqu'un en échange
d'argent.
-Ah
oui... Donc j'avais bien compris ! Toute fière de moi-même.
-Qu'est
ce que tu faisais là bas d'ailleurs ? Me demandait-il d'un
ton qu'il aurait pu emprunter à Tne'.
-J'ai
pris un bain, j'ai bien mangé et... Je me sentais toute
chose en y pensant une fois de plus. Et une dame m'a fait
quelque chose... Rien de mal hein ! Je me sentais
brouillonne.
-Je
me doute bien ! Riait-il aux éclats. Comme je te
l'ai dit ces endroits servent à ça.
-À
vrai dire..."
Je
m'étais moi-même interrompue. Je venais d'avoir l'étrange
sensation que quelque chose venait de se produire. En l'espace d'une
seconde, un éclair mauve venait de strier le ciel horizontalement et
durant ce même instant, mon corps avait frémit. Sa source semblait
venir de loin d'ici. Mais quelque chose de terrible venait de se
produire, et tout me laissait penser qu'Evialg était concernée.
Cependant je n'étais pas la seule à m'être arrêtée nette.
J'interrogeais Eruxul :
"C'est
moi ou...
-Ce
n'est pas que toi Gnas. Moi aussi je viens de sentir une drôle
d'aura sillonner l'air.
-C'était
Evialg, pas vrai ? Lui demandais-je d'un ton grave.
-Je
crois bien que oui. Je n'en ai pas la conviction mais...
-Mais
c'était Evialg. C'est comme si je pouvais la sentir. Comme si elle
m'appelait. C'est bizarre..
-Quoi
?
-C'est
étrange, je ressens la même chose que quand Evialg était dans les
parages mais comme si ce n'était pas vraiment elle non plus. Puis
cet éclair... Waouh.
-Quel
éclair ? Tu as vu un éclair ?
-Bah
oui. Tout mauve et...
-Mauve
? Lançait-il, comme surpris mais sans étonnement de ce que
je lui annonçais.
-Bah
oui. Mais d'habitude, ça tombe un éclair. Ça ne va pas de gauche à
droite. Alors je ne sais pas.
-Je
vais te suivre. Je n'ai rien vu pour ma part. Vers où s'est il
propagé cet éclair ?
-Propagé
?
-Vers
où allait-il.. Soufflait-il.
-Vers
là bas. Lui répondais-je, ayant compris le mot, en
désignant la chaîne de montagne qui s'était dessinée à notre
gauche, au fur et à mesure que le jour s'était levé.
Après, je sais pas exactement où...
-C'est
suffisant, nous explorerons les environs déjà.
-Juste... Je
réfléchissais. Quand on voit un problème arriver, on se
dirige vers son origine non ? Je me trouvais logique.
-C'est
ce que font les bourrins ça, Gnas. Aujourd'hui nous allons d'abord
voir si il n'y a rien au bout de cet éclair.
-Comme
les trésors au pied des flèche-en-ciel ?
-Pardon
?
-Mais
oui allons... Ne fais pas celui qui connaît pas. Tu sais, les
couleurs dans le ciel, quand il y a la pluie et le soleil.
-Un
arc-en-ciel, Gnas. Pas une flèche-en-ciel.
-Oui
bon c'est presque pareil...
-Mais
c'est l'idée, oui. Je doute cependant que l'on trouve un trésor là
bas, si tu veux mon avis.
-Ah
ça on sait pas. On y va ?
-Je
te suis."
Nous
nous remettions en marche, longeant une rivière puis une orée de
forêt. J'essayais de ne pas perdre de vue l'endroit où je pensais
avoir vu l'éclair aller. Mais progresser ici prenait du temps, et je
n'avais pas toujours vue sur le sommet rocheux. Le chemin devenait de
plus en plus escarpé, tout en commençant à chevaucher la montagne.
De grands arbres nous empêchaient de voir vraiment ce qui nous
entourait, et j'avais peur de ne plus pouvoir me retrouver. Au moment
où l'éclair avait fendu le ciel en deux, le soleil était déjà
bien à la moitié d'atteindre son zénith. Je n'étais même plus
sûre d'avoir bien vu.
Le
sentier sur lequel nous avancions était désormais complètement
accidenté et les arbres qui bordaient la piste, semblaient tous
avoir été déracinés il y a peu.
"Attends
Gnas.
-Quoi
? Disais-je en me retournant vers le nain-pourri.
-Cet
éboulement n'était pas là la dernière fois que j'ai franchi le
col, qui se situe un peu plus loin.
-Tu
me dis que nous allons donc devoir escalader tous ces cailloux. Tous
ces gros cailloux... ? Disais-je en contemplant l'immense
coulée de roche.
-En
effet, tu vas devoir gravir cet éboulis.
-Parce
que toi tu vas rester en bas ? Je ronchonnais à cette
nouvelle.
-Non,
je n'ai pas dit ça mais... Il tendait son regard plus haut,
faisait un drôle de mouvement avec ses mains et il disparut sous mes
yeux, je le cherchais partout. Je suis là Gnas. Je
cherchais partout autour de moi mais ne le voyais pas. Regarde
plus haut ! Je levais la tête vers le ciel, sans plus de
résultat. Mais non Gnas ! Vers la montagne. Hurlait-il.
-Ah...
Je te vois, oui ! J'étais stupéfaite, c'était donc ça que
je l'avais empêché de faire la première fois que nous l'avions vu
à la taverne. Tu peux te télépoteler ?! Criais-je
-Me
téléporter oui ! Bon allez, tu grimpes ?! Me renvoyait-il."
Je
ne m'imaginais vraiment pas grimper une par une ces grosses pierres,
moi je voulais sauter le plus haut possible d'un coup. "Quand il
faut.. il faut", me disais-je. Prenant quelques pas de recul,
vérifiant que tout mon équipement allait tenir, je m'élançais et
percutant le sol du plus fort que je le pouvais, je me voyais
sauter très très haut, presque même m'envoler. Mais à grand
saut.. Lourde retombée. Et même si j'étais presque arrivée au
niveau du nain-pourraient, le gros caillou sur lequel je venais
d'atterrir, fit bouger le gros caillou du dessus, et encore celui du
dessus, ça, jusqu'au caillou tout en haut. Un bruit sourd se fit
entendre. Comme si toute la montagne était entrain de glisser, mais
vers moi. Ou plutôt sur moi. J'allais être brave et faisais donc
face au premier bloc rocheux qui me tombait dessus. Mais en un
instant, le nain me fauchait, et sans que je comprenne trop ce qu'il
se passe, mes yeux qui ne voyaient que cet énorme caillou foncer
droit sur moi, voyaient la seconde d'après, des centaines de pierres
couler de la montagne, réduisant en purée la forêt qui s'étendait
au pied du pic.
"Oups... Glissais-je,
consciente de la catastrophe qui venait de se produire devant moi. Je
regardais Eruxul, des étoiles plein les yeux. Tu m'as
télépotelée !! C'est génial ! On peut le ref...
-Non
mais ça va pas ?! Me coupait-il sèchement. Tu
voulais nous réduire tous les deux en bouillie ou quoi ?!
-Bah
non... Je prenais une petite voix. Mais c'est le
caillou.. Il a bougé sous moi et... enfin le caillou d'après
aussi... Euh. Je souriais bêtement. J'ai fait une bêtise
?
-Parce
qu'avec le bond que tu as fait, tu croyais vraiment retomber en
douceur ? N'oublie pas ce que tu portes au dos. Ce n'est pas parce
que tu n'en sens pas le poids, ce qui m'étonne énormément, que ton
arme n'est pas lourde !
-Tu
exagères... Le charriais-je.
-Non
je n'exagère pas. Si cette arme est un artefact de guerre, c'est
qu'elle est tellement lourde qu'il faudrait au moins deux personnes
pour la brandir correctement. Tu imagines le poids avec lequel tu es
retombée sur ces pierres instables ?! Comme si le résultat
t'étonnait...
-Quel
jabat-roi. Soufflais-je.
-Déjà
c'est rabat-joie et si nous n'avions pas risqué de mourir peut être
que...
-Regarde
! Je lui montrais ce que la coulée de pierre avait
laissé apparaître. C'est comme si quelqu'un avait percuté
la montagne, et que les cailloux étaient tombés par dessus. Comme
ça. Pouf ! Mimais-je en frappant une main de mon autre et en
la faisant glisser après.
-Ah
oui.. Rétorquait-il sans même chercher à avoir le dernier
mot. Peut être serait ce...
-
La conséquence de l'éclair mauve ! Il faut aller voir."
Je
repartais en sautant vers la zone, faisant choir d'autres rochers sur
mon passage. Sauf que désormais j'en étais sûre. Ce qui était
rentré en collision avec la montagne... C'était Evialg ! Et elle
devait être coincée sous les décombres. J'atteignais l'épicentre
visible de l'éboulis de pierre, et me concentrais afin de trouver
Evialg. Je la sentais, puis ne la sentais plus. Comme si je me
focalisais sur ses battements de cœur. Je me déplaçais un peu, ne
ressentais plus rien, puis après avoir enjambé quelques roches, je
distinguais à nouveau sa présence, de plus en plus fort. Désormais
c'était son souffle que je pouvais sentir au fond de moi.
"Elle
est là ! Hurlais-je au nain, qui me rejoignait en un
mouvement de mains.
-La
question maintenant, c'est de savoir comment retirer ces pierres, si
tu la sens ici, c'est qu'elle doit être en dessous. Tu as une idée
? Me questionnait-il.
-Oh
oui. Mais bouge. Lui retournais-je."
Agrippant
le premier énorme caillou qui se dressait sous moi, je le soulevais
sans trop de difficulté, sous le regard ébahi d'Eruxul. Le
projetant hors de l'avalanche, répétant cette opération jusqu'à
ce qu'Evialg, enfin, apparaisse à mon regard. Elle semblait inerte,
je la dégageais des rochers.
Ce
ne fut qu'une fois libérée de sa prison de pierre, que ses yeux
blancs s'ouvrirent face aux miens. Mais, quelque chose clochait. Sa
façon de me regarder, de me voir, comme si elle ne me connaissait
pas, confirmait ce que j'avais pressenti auparavant.
"Tu
n'es pas Evialg."
À
peine eus-je prononcer cette phrase, qu'elle se hissa sur ses deux
jambes et que sa main vint saisir ma gorge. Mais je savais que
quelque chose de maléfique émanait désormais d'elle, il ne me
fallut pas moins de temps pour la repousser d'un coup.
"Je
ne sais pas ce qui t'habite, mais parlons en ! Lui
criais-je. Eruxul, toi tu te caches et tu regardes. Lui
lançais-je, constatant qu'il s'était déjà abrité.
-Seul
le sang parle, le reste n'est que mensonge. Balbutiais
Evialg."
Sans
plus perdre de temps, une lame noire et rouge apparut dans sa main,
et une paire d'ailes toute aussi écarlate jaillit de son dos,
accompagné d'un bruit strident et ignoble, comme le jour où j'avais
joué à la balle avec une ruche. Elle voulait se battre. Elle
voulait me tuer même, sa façon de se tenir n'était en rien
comparable à celle de la première fois où nous nous étions
affrontées.
"D'accord,
d'accord. Tu veux que ça saigne, moi aussi j'ai des comptes à te
rendre. Ça tombe bien."
Je
me sentais bien différente qu'à notre première rencontre, quand
bien même Evialg s'était endurcie, j'étais prête à en découdre.
D'autant que celle que j'avais face à moi, malgré son apparence et
la puissance qui s'en dégageait, n'avait plus rien d'humaine. Je la
percevais comme un monstre, ni plus, ni moins.
Sereinement,
je brandissais Masamune et laissais l'excitation courir dans mes
veines. Nous nous faisions face, marchant et sautillant sur les
pierres jonchant la balafre de la montagne, décrivant un cercle. La
belle mais fausse Evialg, et moi; prêtes toutes deux à nous foncer
l'une sur l'autre.
Elle
donna le ton en soulevant d'un coup de pied un rocher et frappant
dedans, envoya une infinité de petits cailloux coupant dans ma
direction, me tailladant le corps de multiples petites éraflures,
suintantes de sang. Je parai immédiatement son assaut, qu'elle
voulut masquer par ce subterfuge. Plongeant l'une en direction de
l'autre, nous échangeâmes nos places. Tout juste posée, je fonçai
sur elle, écrasant lourdement ma lame sur sa garde, elle n'eut
d'autre choix que de reculer en suivant la pente, pour mieux sauter à
nouveau vers moi. Je l'esquivai sans peine, et tentai de la faucher
d'un coup de pied, elle évita ma jambe, et asséna à son tour une
frappe violente. Je me projetai en arrière, me retrouvant quelques
mètres sous elle. Sans plus d'effort que moi, elle souleva une
grosse pierre et me l'envoya.
Mais
ce n'était pas Evialg, sinon, elle ne m'aurait pas fait perdre la
moindre goutte de sang. C'est ça mon credo. Même une goutte
suffirait à décupler ma force, là, c'étaient des dizaines de
petites gouttelettes qui tachaient ma peau. Pour une imposture,
c'était raté. Je me félicitais moi-même d'avoir deviné ça.
Mais
quand bien même, l'immense rocher filait toujours dans ma direction,
et j'avais une idée. Je faisais face et décrivais des petits ronds
avec mon bras libre, une corde sanguine s'en dégagea. Cette dernière
que je lançai, s'englua au contact du bloc de pierre, et tout en
accompagnant la trajectoire du projectile, un tour sur moi-même et
un petit coup de poignet suffirent afin de le retourner à son
expéditrice. Je relâchai ma concentration au bon moment, la corde
céda et cette fausse Evialg reçut le tout directement dessus.
Sauf
que cela n'allait pas avoir raison d'elle, elle qui avait été
écrasée, tout juste déterrée, elle pulvérisa et reduit en
poussière l'énorme pierre, redonnant forme à ses ailes, et
s'énervant davantage.
Sa
rage l'avait même amenée à dégainer son vrai sabre, enfin, le
mien, celui qu'elle m'avait confisqué suite à notre premier combat
et jamais rendu. Elle voulait corser le combat, sans nul doute. Sauf
que j'apaisais mon amusement au profit d'une grande sérénité.
Sans
attendre, elle se mit à tourner sur elle-même, toutes lames dehors,
une tornade argentée et écarlate se dirigeait donc vers moi.
Je
me cramponnais à ma position, crispant mon corps et laissant donc
davantage de sang s'échapper de toutes les petites plaies ouvertes
sur ma peau. Je la ressentais à nouveau, cette puissance sans limite
qui me sillonnait toute entière.
Je
mis ma deuxième main au pommeau de Masamune, et effectuai un grand
mouvement oblique en direction d'Evialg. J'interrompis le tourbillon
d'un coup, soufflais mon opposante dans la direction inverse, et la
suivis sans perdre une seconde. Mon bond me fit arriver au-dessus de
l'endroit où elle se réceptionna, je la frappai sans plus attendre
dans sa garde croisée. À chaque impact de mon arme, des gerbes
d'étincelle s'envolaient, et Evialg s'enfonçait dans la roche. Je
savais à quoi m'attendre, elle allait davantage s'exciter et donc
relâcher sa matérialisation, je devais guetter ce moment, cet
instant où elle penserait avoir gagné. Sa lame rompit et elle dut
s'extraire de mes assauts répétés. La fureur grandissait d'un bond
en elle, même son expression changea, c'était presque fini.
Elle
s'enveloppait dans ses ailes et se mettait elle-même à grossir,
elle se déformait. C'était donc ça qu'elle voulait faire, devenir
elle-même le Dragon. Je rangeais mon arme, me reculais de quelques
roches et la regardais faire.
Elle
tombait à genoux, poussait un hurlement de douleur, tout son corps
se transformait : ses bras s’élargissaient et ses mains se
munissaient de longues griffes, une queue perçait son dos, ses
jambes se métamorphosaient en pattes robustes, la pierrière
glissait sous son poids; et pour finir elle laissait son visage
émerger de son cocon d'ailes. Un rugissement infernal émanait de
son énorme gueule. Elle l'avait fait. Elle s'était changée en
Dragon.
"Ça
y est, mémère est en colère ?! Lui hurlais-je. Tu fais
bien des manières pour pas grand chose. Tu disparais sans rien dire
et tu reviens furieuse ?! Grondais-je, absolument pas
intimidée par cette créature géante qui se profilait devant moi,
Eruxul se téléportait à côté de moi.
-Ne
reste pas là Gnas. Des dragons je n'en ai pas vu souvent, mais c'est
du costaud, du très très costaud. Et à chaque fois que des
aventuriers s'y mesuraient, ils...
-Mourraient
? Peu m'importe, gros lézard ou grosse vilaine, ça ne change pas
grand chose pour moi.
-Tu
ne comprends pas je crois. C'est un Dragon Gnas, un DRAGON !
-Toi
qui te souviens de tout ce que tu vois, tu pourras comme ça le
raconter.
-Quoi
?
-La
première fois que tu as vu quelqu'un massacrer un Dragon. Maintenant
pousse-toi et laisse moi faire. Il s’exécutait en
ronchonnant, Evialg elle, était remise de la transformation et
désormais me fonçait dessus, pataude. Allez c'est parti !"
Je
me savais dotée d'un gros avantage sur ce terrain très accidenté,
j'étais toute petite et elle beaucoup trop grosse. Je devais juste
la prendre de vitesse. Sans dégainer mon arme, je m'enfonçais dans
sa garde et sautais par dessus ses membres monstrueux. Cela
fonctionnait, elle était obligée de se retourner, glissait sur les
innombrables pierres laissées par l'éboulement. Je profitais de ce
court instant pour courir et sauter dans sa direction, me réarmant
et l'entaillant, faisant demi tour immédiatement. Une gerbe de
flammes mauves suivie son râle, fort heureusement, des obstacles il
y en avait partout ici. J'attendais sa charge suivante, la feintais
et tout en passant près d'elle, la tailladais une fois de plus. Un
sang acide se dégageait de ses plaies, fumant au contact des
rochers.
Elle
devait encore une fois se retourner pour me faire face. Ça allait
être plus facile que prévu. Cependant, elle s'envolait lourdement
cette fois-ci pour pallier à ma ruse. "C'est pas du jeu, ça"
maugréais-je. Sa hauteur lui donnait un fort avantage, et je devais
désormais sautiller de pierre en pierre sans m'arrêter, afin de ne
pas me faire carboniser. Je trébuchais sur un appui instable,
lâchais mon arme sans avoir le temps d'aller la récupérer et
manquais de peu, de me faire cuire sur place. Si elle ne voulait pas
descendre, alors moi aussi j'allais tricher.
Je
repérais un immense rocher encore intact, et tout en continuant de
courir entre les flammes, j'allais me réfugier dessous.
Un
dernier petit effort me disais-je. Je m'arc-boutais sous mon imposant
refuge et commençais à le soulever, lentement, le voyant rougir
sous le souffle incandescent du Dragon, mes mains brûlant sous la
chaleur qui s'en dégageait et enfin, le projetais de toute la force
que j'avais.
Je
le vis aller s'écraser dans la gueule du monstre volant, qui chuta
sous la violence du projectile tout juste reçu. Je me jetais en
direction du crâne de la bête, que je martelais de coups de poing,
tête, pied. Sa face se déformait, ses crocs sautaient un par un, du
sang giclait dans tous les sens, me rendant plus acharnée et plus
forte à chaque frappe que je lui assénais. Le Dragon battait l'air
de sa queue et tambourinait le sol de ses pattes, incapable de me
résister. Paraissant désormais assez affaibli, j'ouvrais sa gueule
en grande et m'y logeais accroupie, m'y dressant, lui arrachant la
partie inférieure du haut, le tout accompagné d'un grognement
épuisé. La bête s'effondrait, sans vie, laissant le corps
monstrueux partir en fumée, dévoilant le corps meurtri de cette
fausse Evialg. Tendant la main dans ma direction :
"Trouve
moi... Trouve moi là où je suis arrivée pour la première fois...
Une plage.. Une pla.."
Son
corps se raidit, puis à l'instar du Dragon, s'évanouit dans un
nuage de poussière.
Le
nain-pourri me rejoignait.
"Tu
l'as fait Gnas, tu l'as fait !! Chantait-il, joyeux.
-Une
plage ? Mais de quelle plage parlait-elle ?
-De
quoi ?
-Evialg
m'a demandé de la trouver, sur une plage où elle était arrivée..
-Et
tu sais de quoi il s'agit ?
-Pas
du tout. Et la seule personne qui sait où cela se trouve c'est...
-Votre
ami qui est dans la forêt. Me coupait-il.
-C'est
ça. Donc nous devons le retrouver, avant toute chose."
Je
quittais Eruxul pour aller récupérer le Masamune, constatait que
mon premier sabre était totalement détruit et curieuse, allais
attraper les quelques crocs en état que j'avais fait sauter de la
gueule du Dragon.
"Bon,
j'ai tout ce qu'il me faut, tu sais où est le petit pervers
n'est-ce-pas ?
-Oui,
je pense savoir où le trouver. S'il est toujours en vie bien sûr.
-Alors
en route. Nous n'avons pas de temps à perdre. Soufflais-je."
Repartant
sur nos pas, à la recherche des autres membres du groupe.
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