«
Les souvenirs sont ce que nous voulons qu’ils restent… »
Je
fais souvent ce rêve étrange et pénétrant d’une lame
transperçant mon cœur, tenue fermement par une main d’acier,
magnifique extrémité d’un bras féminin. Je succombe sous
l’intensité de son coup porté ou peut-être de son charme
glacial. Mes paupières se referment et emportent comme dernière
image, la plus belle. Je n’arrive pas à distinguer le visage de
cette femme, je l’aime mais je ne saurais la décrire. Elle a
simplement une beauté qui m’est fatale.
Beaucoup
de choses se brouillent dans ma tête, bien que je n’ai jamais eu
la moindre occasion d’aborder une femme, je n’en suis pas moins
obsédé par une, qui est malheureusement, la plus énigmatique qui
puisse exister, ou peut être pas d‘ailleurs ? Il faut se
méfier des rêves, j’ai toujours eu un esprit très rationnel, mes
seules préoccupations furent pendant très longtemps les livres.
Tout particulièrement les grimoires antiques, ceux qui racontaient
les épopées des héros de l’ancien temps. Il y avait quelque
chose de fascinant dans ces histoires, j’avais avec elles une
proximité que je ne saurais expliquer. Enrichi par cette culture
inhérente, j’ai commencé à m’intéresser au monde qui
m’entourait, la botanique est très vite devenu mon domaine de
prédilection, j’avais semble-t-il un don pour m‘occuper des
fleurs, c‘est ainsi que j‘ai acquis une connaissance aiguë des
pouvoirs qu‘elles possédaient, des plus bénéfiques aux plus
venimeux. J’adorais me pavaner dans les champs, prodiguant mes
soins à la flore, je m’asseyais sur quelques racines et complétais
soigneusement mon carnet. Mon imagination débordante me donnait des
ailes, et mes pensées poussaient à une vitesse folle, j’avais le
projet d’écrire un livre en m’inspirant de ces grands ouvrages
qui berçaient mon cœur. Le seul dilemme était les personnages, je
ne savais pas comment les faire de façon à ce qu’ils soient
emblématiques sans être une copie conforme de mes modèles. Je
devais donc voyager, pour voir et me confronter à de plus en plus de
personnalités.
"Tout
est ffffffl… ffffffl… flou… fou… fffffflou."
Peut-être
avais-je eu simplement besoin, pour subvenir à cette volonté de
comprendre ce qui faisait l'essence d'un personnage complexe, de
rencontrer et de vivre avec celle qui des années d'errance durant,
allait suivre mes recherches acharnées de nouveaux végétaux, en
tous genres.
S’il
fallait résumer ma première entrevue et mon association avec
Evialg, je crois que "le coup du hasard" convenait
parfaitement, je n’ai pas gardé de souvenirs précis de cette
époque ni de mes motivations. J'étais juste devenu le voyageur que
je rêvais d'être depuis toujours, vagabondant là où je le
souhaitais. Puis nous sommes devenus partenaires, depuis cette
fameuse journée et cette plage sur laquelle s'échouait une variété
bien particulière d'algues qui intéressait mes recherches. Quelle
ne fut pas ma surprise de découvrir ce jour-là une telle plante,
dans un état dépassant celui de végétatif, mais cependant bien
moins verte que des algues, certes, mais bien plus intéressante.
Pourquoi être ensemble si nous n’avions rien en commun ? Encore
une question sans réponse. Tout ce que je puis dire c’est que sans
échanger le moindre mot, nous entretenions un rapport privilégié,
je la considérais comme une petite sœur, que j’avais pris sous
mon aile alors qu’elle était déboussolée et en piteux état. Ça
devait être mon côté altruiste qui me poussait à recueillir
d’aussi frêles créatures.
Loin de cette île paradisiaque dont je me rappellerais à tout jamais, notre longue route et nos interrogations, pour une fois communes ; nous avaient amenées ici, au beau milieu de ce que je résumerais comme la seule passion d'une population de bourrins, un champs de bataille. Ce qui est certain, c’est qu’il y avait actuellement une multitude d'atrocités sous mes yeux, plus particulièrement une. En possession de tous mes pouvoirs, je me devais d’agir, par delà toute logique combattante, je pansais de toutes mes forces les blessures de ce guerrier ou plutôt de ce cadavre ambulant qui peu à peu reprenait vie ou tout du moins convulsait, annonçant un soubresaut de vie. Le pauvre tas de chair sous mes yeux, s'était jeté sur Evialg, le combat quoi qu'impression à regarder n'avait pas duré très longtemps. D’ailleurs, parlons-en, ce tas de morceaux sanguinolents était anatomiquement parlant, une femelle. Bien loin de me déconcentrer, cette remarque était purement à titre d’observation et la vision de ce corps à demi nu couvert de plaies et de tatouages empestant l'hémoglobine, n’avait sur moi presque aucun effet, si ce n’est une légère empathie constatant qu'elle était littéralement déchiquetée de toute part. Qui pouvait arriver à se mettre volontairement en pièces, à se mutiler de la sorte ? Je me le demande sincèrement, car jamais une telle idée ne serait arrivée aux portes d'un esprit raisonné. A constater son état, la raison devait avoir fuit -et non sans tort- l'esprit de cette créature qui, pourtant semblait si jeune ; si jeune et pourtant si dévastée. Je me perdais à lorgner les cicatrices qui parsemaient son corps. Ses grands yeux s’ouvraient finalement à moi et ses lèvres pulpeuses s’écartèrent pour me cracher au visage, certainement en guise de remerciement. De toute façon, il n’y avait pas grand-chose d’autre à espérer de la part d’une combattante de cet acabit, selon Evi'. Il s'agissait là d'une attitude dignes de malades mentaux qui étaient très bien dans leur jus, n’empêche que moi, j’avais le visage recouvert de ce jus délicieux et j’aurais pu replonger dans ses plaies pendant des heures encore, mon plaisir était assuré. Elle avait sûrement raison d'appuyer mon premier jugement, cette femme ne devait pas être bien dans sa tête pour s’être infligée toutes ces blessures. Peut être que ce dont elle avait besoin c’était juste un peu d’affection ? Quoi qu’il en soit, elle devait rester avec nous pour un moment, le temps qu’elle soit de nouveau capable de se mutiler seule, ou au moins capable de se déplacer toute seule ; Evialg l'ayant prise dans ses bras à contre-cœur, refusant pour autant de la laisser dans ce charnier, l'amenant avec nous comme si elle amenait une dépouille du champs de bataille jusqu'au cimetière ; avec en tête l'espoir qu'elle s'en sorte, en plus. Voilà un début prometteur au récit que je rêvais d’écrire, rien de tel pour cela que de le vivre.
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