Soixante
jours nous séparent de la lutte sylvestre, et alors que le temps
transforme le présent en souvenir, parfois les âmes se séparent,
les chemins se distinguent.
Une
petite ville commerciale se réveille, avec la disparition de sa
torpeur, le bruit emplit peu à peu ses ruelles, ses places
s'animent. Les boutiques, étalages et voix brillent des trésors que
l'on scande haut et fort, que l'on expose fièrement. De la plus
amère pomme à la plus scintillante et plus raffinée des
dagues, en passant par les étoles les plus douces, aux courbes les
plus charmantes et aux odeurs de luxure, tout ici se vend et
s'achète. Bourg-en-Or, charmant grand village prend vie, et se
remplit de nombreuses vies. Tout Mithreïlid, se retrouve ici
pour échanger ou acquérir des biens de tous types, de toute
qualité.
Défendue
par une maigre enceinte de chaume, cette prospère bourgade, composée
de maisons au style rustique, empreinte d'une multitude d'odeurs, de
la plus affriolante à la plus nauséabonde, s'ouvrait à vous.
Une
silhouette encapuchonnée, maugréant et soufflant, s'extirpait en
titubant d'une taverne. Vêtue d'une cape écarlate de mauvaise
facture, cette dernière s'engouffrait dans une rue désormais bien
animée et parsemée d'offres vocales, que proféraient des
marchands avares. La personne voilée s'arrêtait parfois pour
contempler les biens qui étaient à vue, toujours elle repartait peu
de temps après, percutait une épaule, mais sans jamais se
retourner, elle restait imperturbable dans sa marche. Qui qu'elle
soit, les regards se retournaient dans sa direction, tantôt
énervés par le bruit caractéristique d'un rot chargé de bière,
tantôt excédés et dégoûtés par la puanteur qui émanait d'elle;
mais la silhouette continuait sa progression, toujours scrutant d'un
air curieux les étals. Sa marche se stoppait par moment, pour
caresser une étoffe, pour s'étirer à s'en déchirer les os, puis
reprenait, jusqu'à ce que son attention soit finalement attirée par
une affiche; cette dernière illustrait deux guerriers entrain de
lutter. Sous les deux combattants, un grand nombre à quatre
chiffres semblait être l'élément crucial de l'annonce. Une main se
cramponnait au coin usé de papier, et l'arrachait sans hésitation.
L'ombre
hâta son pas parmi les viscères bruyantes du village, pour
atteindre une large place, au milieu de laquelle jonchaient des
femmes et hommes, choqués ou évanouis, ou tout du moins se
remettant plus ou moins mal de coups, eux aussi plus ou moins
douloureux. L'annonce arrachée au préalable se faufilait,
guidée par une main ferme, entre les spectateurs de ce brouhaha.
L'animation de la place c'était un colosse, bâti comme deux troncs
d'arbres que l'on aurait sculptés à coup de masse, ce dernier avait
des mains plus grosses et larges que sa tête, elle-même
enfoncée entre deux épaules ressemblant à des banquettes que l'on
lui aurait clouées ici, pour moltenner monstrueusement cet être,
dépourvu d'un quelconque air humain.
La
silhouette saoule avait grand mal à se fendre un chemin dans la
foule désormais plus compacte, scandant le nom du monstre pleine
d'excitation; percutant désormais qui était en face d'elle, la robe
rouge finit par se retrouver face à personne, si ce n'est le
colosse dont elle n'avait jusque là vu que l'horrible petite tête.
L'immense femme, exhibait les piliers qui lui servaient de bras. Un
troisième homme se trouvait là, et s'approcha. De la tenue écarlate
s'extirpa un bras avec au bout l'affiche, puis le second se
désignant. L'homme lui dit que pour participer c'était 100 pièces
d'or, somme qu'une main mit longtemps à comptabiliser, pour
finalement être remises a l'organisateur. Il se racla la gorge et
s'exclama en hurlant :
"
Combat suivant ! Aermyne contre..." Il s'interrompit et demanda
plus bas le nom de la nouvelle arrivante. Il n'eut que pour réponse
un rot bruyant et ignoble, marqué d'un son écœurant alliant air et
reflux gastrique, le tout dirigé, en direction du grand tas de
muscles. La scène était assez surprenante, vous aviez d'une part
une géante provoquée et énervée et d'autre part, pour ainsi les
comparer, un arbre chétif qui ne s'était même pas déplacé depuis
son entrée dans le cercle. Il ne fallut pas une seconde pour
que le sol pavé se mit à trembler sous la charge hébétée et
furieuse du colosse. L'imposante femme se planta aux pieds de la cape
immobile et pencha en arrière son petit crâne en contractant son
dos et frappa droit vers la capuche d'une force titanesque. Son
coup toucha, si fort que les dalles sous les pieds nus de la victime,
éclatèrent sous le choc, cependant, la cible était toujours
immobile; pas la géante qui désormais titubait, sonnée par
l'impact. Les dix orteils enfoncés dans la pierre se dégageaient,
nonchalamment, s'époussetaient délicatement, craquaient, et
enfin la statue s'animait, lente, sereine. Le visage toujours masqué,
deux bras bronzés et finement musclés, accompagnaient désormais
son mouvement, les deux mains se rencontraient, se tordaient,
craquaient. Remise du contrecoup, "Aermyne" battait
l'air d'un flux indécent de frappes compte tenu de sa taille et de
sa masse. Mais malgré l'amplitude de ses coups, aucun ne touchait;
toujours au pas, le combattant avançait dans la garde de la géante,
esquivant sans geste brusque. Soudain, la fine main se contracta
et alla à la rencontre d'une massive paume élancée dans sa
direction; cela tout aussi promptement que jusque là, le lutteur ne
s'était montré mou. En un éclair, un caillou venait de percuter
une montagne,seulement, le roc se brisa, et sans même pouvoir
relancer en arrière son dernier bras valide, la fine silhouette se
retrouva à front contre front, martelant frénétiquement son crâne
contre celui de son horrible adversaire. Il n'en fallut qu'une
dizaine pour que la femme monstrueuse s'effondre, la tête plus
enfoncée qu'elle ne l'avait avant le combat. Les hurlements
s'étaient tus, et la cape écarlate, recula, fit craquer son cou, et
se dirigea vers l'homme, avançant la main réclamant son dû.
L'homme était sidéré, il se contenta de rester coit, et
tendit un moyen sac en cuir, immédiatement soupesé par la main.
Dans l'ombre que procurait le chaperon, se dessinèrent face à
l'homme, deux iris menaçants. Il déglutit et sortit de son sac une
seconde bourse bien remplie. La menace laissa place à un regard
malicieux. Les deux bourses en main, l'encapuchonné s'inclinait
respectueusement et sans que quiconque ne resta dans son chemin,
quitta la place pour rejoindre la rue auparavant visitée. Cette fois
ci, l'attention d'un forgeron derrière son étal était sollicitée,
celui ci vendait de tout : du clou rouillé aux glaives ornés de
trophées de monstre, aux haches les plus quelconques, sans oublier
des armes rarissimes, légendaires, de tailles variables. Un doigt
désignait un immense sabre, rouge et noir; s'il ne faisait pas
la taille de l'intéressé, il n'en était pas loin. Ce dernier était
pour ainsi dire denté d'un arc de cercle tout aussi tranchant que la
lame. D'une finesse remarquable, et d'un affûtage parfait et
non-émoussable, cette arme était tout aussi lourde que
redoutable. Le Masamune, un artefact de combat, qui avait dû se
retrouver ici abandonné par un propriétaire incapable de le
brandir. Le forgeron se gratta le front, dubitatif, ne décelant
pourtant pas la plaisanterie dans ce doigt toujours levé et
tendu en direction de l'arme. Il finit par se lever de son tabouret
et se dirigea vers le sabre, il eut lui-même du mal à l'amener
jusqu'à son comptoir.
"Mon
gars c'est pas contre toi, mais à mon avis, il te manque sûrement
quelques muscles et kilos pour soulever ça.. Ce n'est pas donné en
plus. Tu devr..."
Une
main s'était emparée de l'arme et la brandissait bien haut. Le
pommeau, assez grand pour accueillir deux mains trapues, était orné
d'une pierre précieuse noire comme la nuit mais scintillante comme
une étoile. En cuir d'une créature tout aussi légendaire que
l'arme, la poigne était rèche, mais s'adaptait idéalement sous la
pression de la main.
Cependant,
la posture choisie pour soulever l'arme avait laissé le fendu de la
robe écarlate s'entrouvrir, et rendu le forgeron aussi rouge que le
fer en fusion. Ce dernier était nez à nez avec une hanche teintée
par le soleil, dont la courbe séduisante était marquée par le
combat et de vifs tatouages couleur sang, délicieuse ligne menant à
un sein ferme. "Ahem..." bafouilla-t-il. La jeune femme en
prit conscience sans s'outrer, et reposa délicatement l'arme sur le
comptoir.
À
voix à peine intelligible par le marchand, elle lui dit :
"
Je vous prends le sabre.
L'homme
reprit ses esprits.
- Bien
sûr, c'est deux milles pièces d'or. Lança-t-il, doutant des moyens
de cette fille, qui tant était jolie, tant empestait-elle, dans ses
guêtres miteuses et sales.
- Vous
avez son farrou... Son fourreau ? Se reprit-elle.
- Oui
je vous l'attrape. L'homme se retourna, mais d'un œil discret
s'assura qu'elle ne lui dérobe pas le sabre. Voilà.
Le
fourreau fit grimacer la silhouette à nouveau voilée, ce dernier
s'attachait à la ceinture par deux maigres cordelettes rouges, elle
même solidement retenues à un arceau forgé au fourreau.
- Vous
ne vendez que des armes ? Interrogea-t-elle l'homme.
- Je
vends des cuirasses renforcées, des plastrons ainsi que quelques
accessoires aussi. Tous les renforts sont en métaux et alliages que
je fabrique moi-même.
Il se
tut et à l'aide d'une broche, il fit glisser au dessus de lui deux
rails sur lesquels étaient alignés plastrons, bustiers, ceintures
et armures cloutées. La jeune femme porta rapidement son choix sur
un plastron qui ne couvre que les épaules et la poitrine, chromé
et serti de quelques pointes ça et là, ainsi que sur une ceinture
qui semblait robuste.
- Je
veux bien vous offrir le plastron, mais la ceinture cela fera 500
pièces en plus.
- Vous
m'offrez le plastron ?
Il ne
dit rien et du nez désigna sa poitrine. La jeune femme pouffa de
rire, mais sans rechigner tira une de ses bourses et l'inspecta. Pour
jauger d'une somme, on la pèse. La besace une fois vidée sur une
balance, l'homme rendit à la jeune femme un surplus de pièces.
Et avant même qu'il ne l'ait remercié et relevé la tête, l'ombre
avait filé, les mains chargées, en direction de la plus proche
auberge.
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