Cela
faisait plusieurs heures que notre petit groupe marchait. Sur les
dires de l'aubergiste, nous avions suivi ce chemin afin de nous
avancer en territoire hostile. Plus précisément, nous nous étions
mis à rechercher les individus vêtus de noir qui nous avaient
attaqués. Plusieurs témoignages nous avaient permis d'être
certains du fait qu'il s'agissait d'une sorte d'organisation composée
de pillards, assassins et dangereux manipulateurs. Les malfrats aussi
peu aimables que discrets, avaient fini par être aperçus aux
alentours d'un canyon, lui-même abritant en son sein, nombre
d'anciennes mines désaffectées.
Malgré le peu de réconfort ou de sérénité que dégageait le lieu, nous nous engouffrions dans le défilé, sans nulle crainte. Notre marche était silencieuse, mais notre formation stratégique parlait d'elle-même : Gnas était en retrait quelques pas derrière nous, Tne était entre nous deux et moi j'ouvrais la voie. Nous étions décidés à obtenir des réponses ou tout du moins, nous étions assurés que si nous les trouvions, nous aurions matière à combattre.
Pour tout dire, j'avais envie de me battre. Mon manque de réponse personnelle ne m'avait pas laissé le choix. Je ne pouvais pas, juste attendre que toutes les questions existentielles de ma vie soient résolues comme par magie. Si je ne pouvais me guider moi-même alors, j'étais bien décidée à avancer, à la manière d'un vagabond, errant en tout lieu suivant sa quête. Eux cherchaient la gloire, moi je ne cherchais qu'à savoir qui j'étais. Cette interrogation, outre le fait de m'avoir complètement démoralisée, m'avait finalement confortée à propos d'une chose : sur un champs de bataille, j'étais une reine. La sérénité guidait à nouveau mes pas, je n'attendais plus que de croiser le fer avec mon destin.
Chose qui finalement, ne se fit pas plus attendre que cela. Quelques minutes plus tard, nous surprenions une patrouille de trois de ces vermines qui après une maigre résistance, finirent par nous révéler l'emplacement de leur caverne, cela récompensé de trois évanouissements immédiats. Le crâne de Gnas savait être utile.
Nous finîmes par arriver face à une cavité dissimulée dans une paroi, décrite par les trois guignols comme étant l'entrée de leur repaire.
"Ça y est, les choses sérieuses peuvent commencer ? Glissait Gnas, tout en se faisant craquer toute la colonne vertébrale.
-Oui...
Fatalement l'heure du bain de sang approche. Lâchait
mollement Tne', palliant à l'enthousiasme de Gnas.
-Restons
sur nos gardes, la luminosité dans le repaire sera sûrement
moindre, cela ne sera pas forcément à notre avantage ne connaissant
pas la topographie des lieux. Lançais-je.
-La
topo-quoi ? Demandait
Gna' d'un air ignare.
-A
quoi ressemble les lieux, ma chère sanguinaire. Répondait
Tne.
-Ah
oui. D'accord. Bon et on a rien pour mieux voir ? Tu ne peux pas
tirer de la lumière de ta deuxième épée Evi' ?
-Non,
cela ne marche pas comme ça. Enfin je crois. Rétorquais-je
à Gna'.
-Cela
ne nous avance pas.
-Attendez
les filles, l'autre jour dans la forêt j'ai capturé ceci
pendant que vous étiez dans les pommes. Tne
fouillait dans son fourre tout, et notre curiosité nous avait amené
à nous rapprocher de lui, il en sortait plusieurs flasques
rondes. Voici
des lucioles de feu ! Telles qu'elles sont actuellement, nous ne
craignons rien, il nous suffira de secouer la fiole quand nous serons
dans le noir et ceci les énervera.
Gna
le regardait parler, comme animée d'une joie surprenante. Tandis que
je me demandais finalement l'utilité de ces insectes.
-Oui,
mais encore ? Demandais-je
d'un ton douteux.
-Et
bien, dès lorsqu'elles sont furieuses, ces petites bébêtes
s'enflamment littéralement le postérieur et s'en dégagent de vives
flammes. L'obscurité ne sera donc plus un souci. Racontait
fièrement Tne'.
-Donc,
tu me dis que si je secoue la fiole, ça brille fort, c'est ça ? Et
ça fait des flammes ? Interrogeait
studieusement Gnas.
-Oui,
c'est ça." Lui
affirmait Tne'.
Aussitôt
Gnas eut la confirmation, elle s'empara d'une des fioles, la secoua
et courut tête baissée dans l'entrée que nous n'avions pas eu même
le temps de scruter.
"Qu'est
ce que tu fais ?!" Hurlais-je. Nous n’eûmes comme réponse
qu'un vague "Ne bougez pas !"
Retentirent
quelques courtes minutes plus tard, une vague de cris d'alerte, puis
de cris tout court. S'en suivirent des bruits très lointain d'acier.
Et enfin, une série de coups de canon. Quand, un immense bruit sourd
d'explosion se fit percevoir. Inquiétée, je fis un bond face à
l'entrée de caverne. Je ne distinguai que quelques points lumineux
ça et là, des torches sûrement.
Le sol se mit à trembler légèrement, puis un peu plus fort; un souffle d'air chaud, ardent provenait maintenant à moi. Une forte luminosité éclairait désormais au plus profond que j'avais pu distinguer. Un bourdonnement monstrueux semblait se ruer en direction de la sortie.
Je pus enfin apercevoir Gnas, transpercée de quelques flèches et carreaux, javelots et armes de lancer, courant à toute vitesse dans ma direction, poursuivie d'une quinzaine d’encapuchonnés. Cependant, tous fuyaient quelque chose.
Puis je compris.
Un torrent de flammes dévorait l'intérieur du repaire; à une vitesse incroyable, il se déversait et engloutissait tout sur son passage. Je me projetais en arrière, et voyais Gnas plonger hors du repaire tout en roulant au plus loin qu'elle le pouvait.
Une gerbe ardente jaillissait de l'ouverture, recrachant quelques pillards, dont les tuniques étaient en feu; le souffle brûlant continuait de produire un bruit sourd et couvrait les hurlements de douleur des malheureuses et malheureux pris au piège, qui se consumaient sous nos yeux.
Un spectacle malaisant se produisait devant nous.
Gnas était entrain de se relever, et commençait à s'extraire un à un les divers projectiles qu'elle avait pu recevoir. De longs filets de sang giclaient de son corps à chacun de ses gestes. Elle tremblait de toute part, comme si elle était entrain de bouillir de l'intérieur. Une dernière boule de plomb était projetée hors d'elle, accompagnée d'une effusion rouge vive. Ses yeux étaient devenus écarlates, elle buvait son sang avec délice, s'en enduisait le corps. Je la regardais droit dans les yeux, dégoûtée et fascinée, empathique et effrayée.
"Evi, je suis sûre qu'un jour, tu t'y feras. Puis, je peux tout expliquer. Me lâchait-elle d'une voix suave et moins légère que d'accoutumée.
-Tout
expliquer ? Non mais ça va pas ?! Lui
hurlais-je.
Puis
tu.. tu..
Elle
s'avançait maintenant vers moi, pataugeant dans son sang, droite,
sûre d'elle. Puis son regard arrivait face au mien.
-Dis-moi,
te rappelles-tu de l'autre jour ?
Un
instant, je songeais à sa main sur mon visage, ses lèvres, sa
langue, son sang. Tout ça en étant là, nez à nez avec elle.
Moi
je me souviens très bien de l'arme qui m'a détruit le corps, ce
jour-là. Et surtout de son odeur. La poudre à canon, ça pue. Quand
nous sommes arrivés ici, et que Tne nous parlait de ses mouches de
feu, j'ai senti la même odeur. J'ai couru jusqu'à l'odeur, j'ai
lancé la fiole et j'ai couru dans l'autre sens. C'est tout. Me
disait-elle."
Je ne savais même pas quoi répondre. Moi qui étais si sereine quelques minutes auparavant, Gnas venait de me troubler. Je ne savais pas comment juger un acte à la fois stupide et complètement irréfléchi, au fait établi que son odorat ne l'avait pas trompé et que malgré le fait de se jeter seule, son plan avait bien fonctionné. Si ce n'était son état, qui encore une fois était piteux.
Je vis la tête de Gnas avancer subitement et sentis son front heurter le mien. Tne se tenait derrière elle.
"Tu
es folle ! Tu t'étais bien remise, tout ça pour quoi ? Finir à
nouveau complètement ravagée. Qu'est ce que t'a fait ton
corps pour que te retrouver ainsi puisse te convenir ?! Et mourir
alors, tu y survivras ? Rageait-t-il.
-C'est
touchant que tu t'en fasses pour moi. Et j'aime beaucoup qu'on me
frappe. Mais regarde. Gnas
lui saisit une de ses mains, et lui fit palper sa poitrine et son
ventre, l'imbibant de son sang.
-Que...
Que... Où sont les plaies ? Où sont les trous ? Dit-il,
choqué. Et sûrement écœuré par le contact du sang.
-Hahaha.
Je cicatrise très vite quand je suis en forme. Après c'est bien
beau de se féliciter, mais il va nous falloir retourner dedans.
Certaines galeries avaient l'air de s'enfoncer loin, loin, loin.
Et si il reste des survivants à ça. Nous allons être attendus."
Elle était entrain de m'impressionner à conserver son sang froid, ne cessant de rire ou de rester fidèle à elle-même. Je mettais la main au pommeau de mon épée. Ce qui m'agaçait le plus peut-être là tout de suite... C'est de n'avoir rien fait et d'être à ce point là excitée à l'idée de me battre.
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