J'étais
désormais impatient d'atteindre Teysandrul ; non pas parce
qu'il y allait sûrement y avoir une casse sans nom, mais parce que
je commençais à saturer des ébats ininterrompus des deux
guerrières. Nous avions séjourné les trois nuits précédentes
dans des auberges miteuses et où la place manquait à chaque fois,
nous amenant à partager la même chambre, me voyant donc dans
l'obligation d'enfouir ma tête le plus profondément possible sous
les oreillers, chaque nuit durant, cela afin de ne pas devenir fou.
Leurs sessions de corps à corps étaient si vigoureuses, que les
voisins d'étage en venaient à frapper en hurlant à notre porte
presque chaque nuit, et même cela ne les arrêtait pas. Je me
souviens de Gnas allant ouvrir et faire front aux complaintes en
bredouillant quelques mots -sûrement des menaces- afin de faire
taire les gêneurs ; je dois admettre que c'est surtout de son
corps brillant sous le halo pâle de la lune que je me remémore. Je
n'avais pas pu réellement contempler l'entièreté des formes bien
plus agréables et bien plus douces que le propre caractère de cette
fleur sanguinolente, cela tout en prenant garde de ne pas me faire
pincer, replongeant donc mon regard le plus furtivement possible sous
le polochon duveteux... mais je tergiverse.
Parmi l'humeur nocturne et embrumée qui baignait la salle commune de cette ultime auberge, des clameurs couraient tout de même. Quelques fantassins qui avaient été amenés à croiser le chemin, quelques jours auparavant des deux bouchères m'accompagnant s'en étaient sortis et avaient raconté que seulement deux personnes avaient massacré le reste des troupes. La frayeur s'était installée dans le rang des armées de Teysandrul, et naissant de la crainte des soldats, un sentiment nouveau émanait des populations oppressées et menacées par la Reine Sombre :l'espoir d'un soulèvement contre cette dernière. Malgré l'heure bien tardive, certains aventuriers du fait de cette annonce, s'empressaient de commander des bières et se remettaient à festoyer bruyamment. Autour de notre table, l'atmosphère était un peu moins joyeuse ; tant Evialg que Gnas semblaient trop concentrées à se préparer mentalement pour la nuit qui s'annonçait à nous : reprendre une ville ne se ferait pas en un claquement de doigts. Je me disais aussi à la vue de notre dîner tout juste servi, que la joie que nous procurait habituellement nos copieux et délicieux festins était ternie par les plats médiocres que nous avions mangés récemment et qui nous étaient proposés en ce moment-même. Peut-être aurais-je le temps de préparer un remontant avant que nous ne partions ; cette pensée m'inspirait grandement, tandis que la bouillie chaude, composée de céréales et de crème venait de rebuter suffisamment Gnas pour qu'elle repousse son bol peu ragoûtant d'un revers de poignet et qu'à son tour, elle ordonne un pichet de bière. Comme elle le disait si bien : « Ça calme la soif, et en plus ça nourrit ». Evi' et moi échangions un sourire malicieux aux mots de notre camarade, choque qui ne s'était pas produite depuis notre départ de la petite île paradisiaque. Cet instant sympathique était malheureusement interrompu par un homme déjà ivre qui accostait notre groupe, les yeux égarés cherchant un point stable afin de les y fixer, lui-même tanguant comme une minuscule barque dans une tempête en pleine mer. Il titubait jusqu'à presque atteindre le coin de notre table, ratant ce dernier et s'affalant de tout son long, attisant le rire de tous les autres clients, embrasant le regard d'Evi' de colère et faisant mourir de rire Gnas. Il se relevait avec difficulté et prenait un air énervé, jusqu'à ce qu'il croise la fureur de celle qui venait de devenir écarlate. Il rabibochait sa tenue, tentant une approche vers Gnas, il se mettait à lorgner son bustier bien rempli, jusqu'à ce qu'elle aussi s'agace et lui plante en un éclair, le couteau qu'elle tenait jusqu'à lors, directement dans sa main qu'il venait de placer sur la surface boisée, sans qu'aucun de nous n'ait le temps de broncher. Elle ôta rapidement la lame, et l'effraya, cependant l'amphore vivante, resta de marbre et contempla les gouttelettes de sang qui étaient restées en suspension dans l'air après que l'opinel fut retiré de sa chair. Evialg donna un coup de coude discret à Gnas pour qu'elle relâche son attention, laissant retomber les gouttes de liquide écarlate au sol. L'homme se gratta le front comme s'il venait d'avoir une hallucination, puis il se rappela du coup porté à son égard ; il allait s'offusquer une fois encore mais il vit Gnas jouer en faisant tournoyer le canif entre ses doigts, cela lui suffit pour passer son chemin et se diriger vers d'autres personnes à importuner. J'allais lui dire un mot concernant la non-nécessité de poignarder les simples d'esprit mais c'était désormais au tavernier de faire son entrée près de nous, soupesant un large pichet rempli du breuvage moussant. Il nous interpellait.
Parmi l'humeur nocturne et embrumée qui baignait la salle commune de cette ultime auberge, des clameurs couraient tout de même. Quelques fantassins qui avaient été amenés à croiser le chemin, quelques jours auparavant des deux bouchères m'accompagnant s'en étaient sortis et avaient raconté que seulement deux personnes avaient massacré le reste des troupes. La frayeur s'était installée dans le rang des armées de Teysandrul, et naissant de la crainte des soldats, un sentiment nouveau émanait des populations oppressées et menacées par la Reine Sombre :l'espoir d'un soulèvement contre cette dernière. Malgré l'heure bien tardive, certains aventuriers du fait de cette annonce, s'empressaient de commander des bières et se remettaient à festoyer bruyamment. Autour de notre table, l'atmosphère était un peu moins joyeuse ; tant Evialg que Gnas semblaient trop concentrées à se préparer mentalement pour la nuit qui s'annonçait à nous : reprendre une ville ne se ferait pas en un claquement de doigts. Je me disais aussi à la vue de notre dîner tout juste servi, que la joie que nous procurait habituellement nos copieux et délicieux festins était ternie par les plats médiocres que nous avions mangés récemment et qui nous étaient proposés en ce moment-même. Peut-être aurais-je le temps de préparer un remontant avant que nous ne partions ; cette pensée m'inspirait grandement, tandis que la bouillie chaude, composée de céréales et de crème venait de rebuter suffisamment Gnas pour qu'elle repousse son bol peu ragoûtant d'un revers de poignet et qu'à son tour, elle ordonne un pichet de bière. Comme elle le disait si bien : « Ça calme la soif, et en plus ça nourrit ». Evi' et moi échangions un sourire malicieux aux mots de notre camarade, choque qui ne s'était pas produite depuis notre départ de la petite île paradisiaque. Cet instant sympathique était malheureusement interrompu par un homme déjà ivre qui accostait notre groupe, les yeux égarés cherchant un point stable afin de les y fixer, lui-même tanguant comme une minuscule barque dans une tempête en pleine mer. Il titubait jusqu'à presque atteindre le coin de notre table, ratant ce dernier et s'affalant de tout son long, attisant le rire de tous les autres clients, embrasant le regard d'Evi' de colère et faisant mourir de rire Gnas. Il se relevait avec difficulté et prenait un air énervé, jusqu'à ce qu'il croise la fureur de celle qui venait de devenir écarlate. Il rabibochait sa tenue, tentant une approche vers Gnas, il se mettait à lorgner son bustier bien rempli, jusqu'à ce qu'elle aussi s'agace et lui plante en un éclair, le couteau qu'elle tenait jusqu'à lors, directement dans sa main qu'il venait de placer sur la surface boisée, sans qu'aucun de nous n'ait le temps de broncher. Elle ôta rapidement la lame, et l'effraya, cependant l'amphore vivante, resta de marbre et contempla les gouttelettes de sang qui étaient restées en suspension dans l'air après que l'opinel fut retiré de sa chair. Evialg donna un coup de coude discret à Gnas pour qu'elle relâche son attention, laissant retomber les gouttes de liquide écarlate au sol. L'homme se gratta le front comme s'il venait d'avoir une hallucination, puis il se rappela du coup porté à son égard ; il allait s'offusquer une fois encore mais il vit Gnas jouer en faisant tournoyer le canif entre ses doigts, cela lui suffit pour passer son chemin et se diriger vers d'autres personnes à importuner. J'allais lui dire un mot concernant la non-nécessité de poignarder les simples d'esprit mais c'était désormais au tavernier de faire son entrée près de nous, soupesant un large pichet rempli du breuvage moussant. Il nous interpellait.
« Vous
avez entendu ce qu'on raconte ?
-Si
c'est ce que tout le monde clame, ici et
maintenant... Soufflais-je. Alors
la réponse est oui.
-Tout
de même ! Il
s'esclaffait. Une
démone de sang et une ange meurtrière qui font équipe. Gnas
recrachait la lampée qu'elle avait dans la bouche. Hé
ben, ça va pas ? Elle a bu de travers la petite dame ?
-Non c'est que...
-Non c'est que...
-Non
c'est qu'elle est fragile. Je
l'interrompais et essayais de broder.
Ce genre de nouvelles, qui d'un peu sensible, ne serait pas choqué,
après tout ?
-Il
en convient que notre amie, rien qu'à la vue du sang peut
tressaillir, alors... Nous y allons doucement avec elle. Evialg
s'amusait-elle à dire.
-Ça ne doit pas être facile tous les jours l'aventure dis-donc, surtout avec des comparses un peu peureux.
-Je suis sûre que c'est plus simple que de manger ce qui est servi, ici... Murmurait Gnas.
-Ça ne doit pas être facile tous les jours l'aventure dis-donc, surtout avec des comparses un peu peureux.
-Je suis sûre que c'est plus simple que de manger ce qui est servi, ici... Murmurait Gnas.
-Je
vous demande pardon ? Grognait
l'aubergiste, presque sûr de ce qu'il avait entendu.
-Je disais...
-Je disais...
-Elle
disait que juste une blessure simple... Evialg
la coupait. Est
un danger qui lui suffit...
-Tout
à fait, en plus d'être sensible, elle est un peu douillette vous
savez. Sur-enchérissais-je.
-Ah
bon. J'avais cru mal comprendre, alors. Bredouillait-il.
-C'est
le pire, ça. Les oreilles c'est comme la barbe, ça se
lave. Susurrait-elle
à nouveau.
-Et beh ! Il s'énervait encore une fois, tandis que moi aussi je lançais un regard noir en direction de la provocatrice, tout en lui adressant un coup de pied sous la table.
-Et beh ! Il s'énervait encore une fois, tandis que moi aussi je lançais un regard noir en direction de la provocatrice, tout en lui adressant un coup de pied sous la table.
-Aïe-euh.
-Elle
a raison, le pire ce sont les abeilles de rhubarbe, à chaque fois
elle en bave. Elle n'est peut-être pas très habile au combat, mais
à la cueillette elle n'a pas son pareil, vous savez. Répondait
très calme Evialg, un sourire en coin. Qu'est-ce-qui
vous importune ? Vous n'aimez pas les abeilles non plus ? A
ces mots, l'homme semblait complètement perdu.
-Je
ne sais pas ce que j'entends, alors. Je suis confus.
-Ça doit être le surmenage. Lui lançais-je.
-Ça doit être le surmenage. Lui lançais-je.
-Ce
n'est pas en cuisine qu'il doit se surmener en tout cas. Barbotait
Gnas, le nez dans sa bière.
-Bon,
cette fois-ci, ne me prenez pas pour un idiot, hein. Grondait-il
de sa grosse voix, se rapprochant d'elle à grands pas et bombant le
torse. J'ai
très bien entendu.
-Et
alors ?! Gnas
se levait d'un bond.
Que voulez-vous que je vous dise moi, c'est immangeable ce que vous
nous avez amené. Si j'étais vous, je ne serais pas fier de ce que
j'ai accompli. Elle
s'avançait désormais, de sorte à se retrouver à quelques
centimètres de l'homme.
Et je me sentirais encore moins fier de me mettre en colère, si on
me disait que ce n'était pas bon. Elle regardait le bol avec dégoût.
Parce que ça ne l'est pas mon brave, ça ne l'est absolument
pas ! Evialg
venait de se mettre à rire bêtement.
-Mais
c'est que... L'homme
semblait déconcerté et intimidé par notre si « sensible »
camarade.
-Alors
la prochaine fois que vous vous uffos... fossu... Gnas
grognait à son tour. Oh
zut, hein, la prochaine fois que vous vous monterez le
bourrichon pour quelque chose, soyez au moins sûr que ça en vaut la
peine. Parce qu'actuellement c'est votre plat qui m'en fait. Elle
me regardait, tandis que j'étais bouche-bée. De
la peine !
-Je ne
pensais pas que...
-Oui
bah, je sais pas ce que vous pensez, mais si vous goûtez à ça,
essayez de me dire que ce n'est pas juste une abomination ! Grinçait
Gnas, tandis qu'Evialg éclatait de rire. Allez,
je vous pardonne, si vous m'amenez un autre pichet de bière, et que
vous m'offrez les deux.
-Tout
de suite. L'homme
s'empressait de fuir la cliente enragée, et s'enfuyait vers son
comptoir et ses fûts.
-Tu
n'étais pas obligée d'y aller si fort... Lui
soufflais-je.
-Oui
ben, si toi ça te va de manger cette immondice, je te donne ma
portion, volontaire !
-Volontiers, Gnas, pas volontaire. La reprenais-je. Mais en soit, je suis d'accord avec toi, c'est assez ignoble... Evialg n'en pouvait plus, et pouffait bruyamment.
-Volontiers, Gnas, pas volontaire. La reprenais-je. Mais en soit, je suis d'accord avec toi, c'est assez ignoble... Evialg n'en pouvait plus, et pouffait bruyamment.
-Voilà...
Je vous prie de m'excuser... Je manque de produits frais alors
c'est vrai que les plats en sont un peu gâchés. Balbutiait
notre hôte de retour.
-Vous
savez quoi ? Commençait
Gnas, alors que j'espérais juste qu'elle n'en rajoute pas une
couche, constatant la gêne de l'hôte. Le
repas n'était sûrement pas appétissant, mais cette bière par
contre. Elle
buvait une énorme gorgée. C'est
la classe. Je crois que je n'en avais jamais bu une aussi bonne. Le
sourire de l'homme revenait.
-Ah
merci ! Vous savez, j'essaye surtout de satisfaire les clients,
ce n'est pas toujours simple. Avouait-il,
en se grattant le cuir chevelu. Mais
cette bière est brassée dans ma propre cave. Il
sifflotait et partait.
-Tu
m'as tellement faite rire Gnas. S'essuyait
Evialg, des larmes qui avaient illuminé ses yeux. Tu
négocies bien mieux qu'il n'y paraît.
-Il
n'y en a pas une pour rattraper l'autre décidément. Bon, tu nous la
fais goûter, cette super bière gratuite ? Lui
demandais-je, curieux.
-Allez,
c'est de bon cœur. »
Nous
partagions le breuvage, qui, tel que Gnas nous l'avait décrit, se
révélait être en effet d'une rare qualité et aux arômes
délicieux. Je faisais tourner le liquide dans le fond du godet en
acier, une jolie couleur ambre et or scintillait sous les rayons du
soleil perçant dans la pièce. C'est vrai qu'elle était bien cette
bière. Mon idée de concocter un remontant se réveillait à la
prise du produit que j'étais entrain de siroter, mélanger bière et
remède, serait une excellente potion. Le problème des infusions,
c'est qu'elles sont assez ignobles à boire du fait des plantes dont
elles sont composées, qui ont certes des vertus curatives sans égal,
mais dont l'essence et la chlorophylle donnent des goûts très amers
aux concoctions, la plupart du temps, tout du moins. Croiser les
bénéfices des végétaux avec le plaisir du palais, allait
peut-être devenir mon credo.
Je
quittais les filles et rejoignais l'aubergiste qui nettoyait des
chopes, mais levait le tête à mon arrivée.
"Excusez
ma camarade pour tout à l'heure. Elle est un peu brute de
décoffrage, et sans chercher à enrober les mots, elle est parfois
assez tranchante dans ses propos.
-Oh
y a pas de mal. C'est vrai que la pénurie et les perquisitions
actuelles ne font pas de bien à ma cuisine. Puis une gamine avec
tant de caractère. Ça fait pas de mal parfois. Avançait-il
en souriant.
-Oui,
enfin parfois, elle n'y va pas avec le dos de la cuillère. Vous
parliez de pénurie, qu'est ce que vous entendez par là ?
-C'est
la Reine Sombre. Irasandre. Afin de nourrir ses soldats, elle
perquisitionne et vole les ressources alimentaires et parfois même,
envoie ses hommes piller les récoltes à peine engrangées.
-Cela
arrive souvent ou c'est plutôt récent ?
-Ah et
bien. Cela fait deux semaines que la situation s'est empirée, et que
les produits se font de plus en plus compliquées à trouver. Mais,
étant a quelques heures seulement de Teysandrul, nous prenons les
derniers événements de plein fouet. Il s'énervait. Comme si nous
n'avions pas d'autres soucis à gérer, les caprices de cette
bouchère nuisent à tous les habitants du sud-ouest de Mithreïlid.
-J'ai
l'intime conviction que cela ne va pas durer. Bientôt tout le monde
pourra profiter à nouveau d'une quiétude apaisante. Je
scrutais discrètement en direction des deux autres.
-Vous
en avez l'air convaincu. C'est bien de voir que les jeunes veulent
que les choses changent.
-Oh,
si ce n'était que le vouloir. Incessamment sous peu, il va y avoir
beaucoup de grabuge à Teysandrul. Je doute que le règne d'Irasandre
ne dure très longtemps.
-Vous
pensez à cette histoire concernant les deux femmes qui ont annihilé
plusieurs centaines de soldats à elles seules ?
-Ils
étaient plus ou moins trois cent. Je
me reprenais, me rendant compte que j'allais finir par vendre la
mèche, sans m'en apercevoir.
Enfin, c'est ce que j'ai entendu dire.
-Peut-être
était-ce juste une rumeur, après tout. Plein de légendes se
forment sur des ragots, personne ne connaît jamais la réalité
exacte.
-Certes.
Mais je pense que la Reine Sombre, à vouloir conquérir et annexer
tout Mithreïlid sous sa coupe, s'est créée une multitude
d'ennemis.
-Ah
ça, c'est sûr. En même temps, la folie des puissants ne connaît
pas de limite. Elle a affamé tous les villages aux alentours, elle
ponctionne des hommes à toutes les familles, des disparitions de
jeunes filles arrivent très souvent... Quelque chose ne tourne pas
rond. Il
étendait les bras en désignant son comptoir.
Mais vous voyez où je suis. Des histoires et des commérages j'en
entends en permanence. Un aventurier ça cause.
-Ne
m'en parlez pas. Je n'ai jamais cessé de voyager, et j'en ai entendu
aussi des mythes et racontars. Tellement, que j'écris tout.
J'essayais
de sympathiser.
Je veux bien vous croire.
-Ne le
prenez pas mal, mais on vous imagine mal marcher sur de très longues
distances. Vous êtes quand même bien petit, hein.
-Oh,
en ces temps ci j'y ai droit souvent. Ça va. Je
riais tout en prenant sur moi.
J'avais une question, plutôt deux même.
-Je
vous écoute ?
-La
première c'était de savoir si vous aviez des tonnelets. D'environ
deux litres. Il
hochait la tête.
Et ma deuxième question, c'était de savoir si je pouvais vous en
acheter un, rempli de bière et un autre vide ?
-Hmmm.
Il se grattait la tête. Vous n'allez pas essayer de me voler la
recette, hein ?
-Non,
loin de moi cette idée, je n'ai nulle part pour brasser de la bière.
Mais je suis herboriste et guérisseur, et je voulais me servir de
votre délicieuse bière pour créer un nouveau remède.
-Et
ben ça, c'est pas courant, haha. Ma foi, l'idée est intéressante.
Vous en avez besoin de suite ?
-Dans
l'idéal, oui. Nous devons quitter ce village aujourd'hui, j'aimerais
concocter le philtre avant notre départ.
-Bon
et bah je reviens alors."
L'homme
quittait l'endroit pour atteindre une trappe qui était dissimulée
quelques pas plus loin. J'en profitais pour aller voir Evi' et Gnas
en leur parlant de la préparation que je voulais réaliser
avant que nous reprenions la route. Je les interrompais encore
entrain de s'embrasser sous les regards ardents des autres petits
groupes du lieu, que ce spectacle n'avait pas l'air de déplaire. Je
repartais vers le bar où l'homme venait de revenir chargé de deux
petits tonneaux de chêne.
"Parfait,
c'est le format que je convoitais exactement. Combien je vous dois ?
-Dix
huit pièces d'argent.
-Très
bien, néanmoins je vais aussi payer pour la nuit et les pichets de
ma table.
-Ah
bah, c'était offert... Vous savez avec le repas...
-Non
vraiment j'insiste. Vous me rendez un grand service.
-Le
tout fera deux pièces d'or et cinquante d'argent, alors.
-Je
vous donne ça. Je
fouillais dans mon baluchon, passant mes doigts dans le bazar qui
régnait au fond du sac, le bruit de verre intriguait le tavernier.
Je dégotais une petite bourse pleine à craquer, dont j'en
récupérais trois pièces brillantes. Gardez
le reste.
-Merci,
merci. Elle a l'air bien remplie votre petite besace.
-C'est
surtout que c'est un sac sans fond. D'ailleurs si vous permettez.
J'étirais
l'ouverture, saisissais le premier tonnelet et l'y plaçais, je
répétais l'opération avec le second.
-Ah
et là il reste de la place, encore ? Me
demandait-il, abasourdi.
-Bien
sûr. Je pourrais y faire rentrer tous les meubles d'une pièce dans
cette sacoche. Il resterait encore de l'espace.
-Ah
ben ça alors. C'est fantastique.
-J'ai
oublié, pouvez vous me remplir un pichet d'eau claire aussi ?
-Bah
oui, je fais ça. Continuait-il
de parler, maintenant ses yeux exorbités vers l'objet magique. Il
remplissait le pichet, me le tendait.
-Merci."
Je
récupérais l'eau et retournais à la chambre. J'ouvrais à nouveau
le sac en toile, en sortais les tonneaux, deux flasques contenant des
insectes de feu, quelques pans de tissus dans lesquelles étaient
enroulées feuilles, fleurs et tiges de plante, j'attrapais aussi une
fiole contenant du sang de Gnas. Je déposais les petits fûts sur le
bureau que comportait l'ameublement de notre dortoir, je soulevais le
couvercle bagué du vide et déversais la moitié de la bière
dedans. Après une première incantation, les divers éléments
végétaux flottaient en l'air puis étaient réduits en poudre, que
je répartissais en égale quantité dans chacun des récipients.
Après une seconde récitation, les bestioles incendiaires
s'endormaient emprisonnées, je leur ôtais la tête puis extrayais
l'essence ardente de leur arrière-train, un insecte par fût. Je
divisais le contenu du flacon écarlate qui venait compléter la
préparation. Je recouvrais et remplissais le tout d'eau, refermais
solidement les tonnelets. Par un sortilège, je les remuais et en
tirais une dizaine de première doses. La mixture avait une teinte
entre le viride et l'émeraude. J'en attendais quelque chose de plus
brillant, mais tant pis. Je prenais soin de bien refermer les
robinets des contenants, puis les enfournais dans mon sac.
J'atteignais les amoureuses se bécotant et leur annonçais que nous
pouvions partir dès qu'elles le voulaient.
Elles
se levèrent sans attendre un seul instant, se dirigèrent vers leur
chambre, et ressortirent quelques instants plus tard, équipées pour
notre destination finale : Teysandrul.
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