Mes
yeux s'ouvraient avec difficulté. Moi qui pensais me réveiller à
côté d'Evialg, ma vue trouble, ne me donnait à contempler qu'un
désert, sauf que pour une fois, ce n'était pas un soleil de plomb
qui agressait ma peau, mais belle et bien une averse de grêle qui
martelait mon corps. Je connaissais bien l'atmosphère du désert,
j'y avais erré des années durant, mes souvenirs étaient mis à mal
eux aussi, car l'air, toujours aussi électrique n'en demeurait pas
pour le moins gelé. Les siroccos hurlants avaient été balayés par
un blizzard strident, tout était sans dessus-dessous. Néanmoins, je
n'étais pas seule, face à moi, une femme revêtant une tenue
complète, noire et écarlate, dont les coutures dorées
scintillaient. Au sommet de son crâne, une couronne constituée
d'ossement trônait. Au creux de ses mains, deux immenses épées
grésillantes éclatant d'une lueur écarlate et obscure. Elle levait
un de ses bras en ma direction.
"Teïnelyore
! Si tu ne te soumets pas à ma Justice. C'est de ta vie que tu en
répondras !
-Bah
voyons. Je ne saisissais absolument pas pourquoi
m’interpellait-elle et pourquoi m'appelait-elle comme ça.
Écoute la cinglée, je ne sais pas pourquoi tu m'hurles ça, et
franchement je m'en cogne. Je me grattais la chevelure, sentant un
objet dur sur ma tête.
-Tu te
rends toi aussi bien compte que cet ornement fait tâche sur toi. Il
n'y a qu'une seule Grande Reine qui peut survivre, et c'est moi ! Tes
semblables sont saignés comme des porcs par mes soldats, bientôt il
ne restera plus que toi. J'aurais moi-même donc le plaisir de
pouvoir éteindre ta race.
-Mais
qu'est ce que tu racontes ?! Tu es complètement dérangée. Je
jetais l'objet qui siégeait sur mes cheveux, il s'agissait d'une
tiare couleur cramoisie. Puis, je n'ai jamais eue de peuple. Tu
divagues complètement, qui que tu sois.
-Comment
?! Tu prétends m'ignorer ?! Moi Herylisandre, conquérante et reine
absolue de Mithreïlid ! Déesse de la jus...
-Ah
bah voilà. L'inverse m'aurait grandement étonné. Une abrutie de
plus qui se prend pour une Déesse. Tout ça n'est qu'une vulgaire
légende, pour faire passer de simples idiots pour des divinités !
Mais... Je réfléchissais un instant. Comment tu m'as appelée
?
-Toi
et ton infâme caste. Comment de tels écervelés se sont tous vus
dotés d'une vie quasi éternelle. Je te hais, Teïnelyore. Du plus
profond de mon âme, je te maudis.
-Hahahaha.
J'éclatais de rire, la faisant devenir aussi rouge que son habit.
Et moi qui croyais que l'imagination avait une limite. Hahaha. Gnas
la Déesse, quelle blague. Tu vas me dire que j'ai une ville qui
porte mon nom et...
-Sauf
qu'elle m'appartient déjà et que bientôt Ïlyohelm sera renommée
Teysandrul. Elle deviendra ma cité. Toi aussi, tu disparaîtras dans
l'oubli, l'histoire sera réécrite avec mon nom tandis que toi, tu
ne resteras qu'une vulgaire légende. Un insecte qui se sera mis sur
ma route pour l'immortalité !
-Quand
je pense que j'ai failli y croire. Non mais sérieusement ? Qu'est ce
que je fais ici à écouter des sornettes pareilles...
-Ah tu
ne me crois pas, et bien regarde par toi-même alors, ce que ton
peuple devient. Elle bredouillait quelque chose, tandis qu'un
disque lumineux apparaissait devant moi. Tu apprécies ce que tu
vois ?
-Euh...
Je regardais plus attentivement et distinguais désormais plein de
personnes qui comme moi, luttaient en utilisant leur sang, avaient le
corps marqué de larges tatouages , je les voyais se faire massacrer,
se faire liquéfier par des torrents de magie. Mais
qu'est-ce-que... ?
-Alors
Teïnelyore, que vaut ton si puissant Amour quand il ne peut même
pas protéger les siens ? Que vaut la vie éternelle quand on peut en
réalité, emprisonner l'âme d'une autre personne d'un simple
claquement de doigts ? Rien. Toi et ton peuple, les exsangues, vous
ne valez rien, et lorsque j'aurais assez de cobayes, je vous volerai
votre éternité. Hurlait-elle, d'un ton déformé par la folie.
-Je...
Je me demandais si tout cela était bien réel. Je suis
Teïnelyore ? Les exsangues ? Je ne sais pas si je peux te croire, ma
vieille. Cela l'irritait davantage. Tu as quand même l'air
bien secouée, peut-être trop pour que tes mots puissent être
sensés. Et c'est pourtant moi qui te le dis. Mais... Je suis
convaincue de deux choses.
-Prends
garde à ce que tu vas dire, maudire ton âme ne me prendrait pas
plus de temps que de découper en aussi gros morceaux que de la
poussière. Rageait-elle en commençant à marcher vers moi.
Ce combat dure depuis des jours, j'ai encore de quoi tenir en
réserve.
-Tu
vois, on ne peut pas discuter avec toi. Tu te crois tellement
supérieure que la vie éternelle ne t'a sûrement pas été confiée
pour cette raison. Mais ce n'est pas ça que je sais. Toi ! La
désignais-je d'un doigt levé en sa direction. Tu vas mourir
parce que, je sais que moi je vais survivre, je n'appartiens même
pas à cette époque, tu n'es qu'une vieille tordue qui survit un
ultime instant dans mon rêve. Et ensuite, sois sûre que ta fille
l'autre folle-dingue. Comment s'appelle-t-elle déjà ? Je
cherchais sérieusement. Ah oui, Ira-truc, je vais la retrouver
en me réveillant, et je vais lui faire manger toutes les dalles que
j'aurais sous les mains.
-Que...
Que... Comment connais-tu son nom ? C'est impossible.
-Je te
l'ai déjà dit. Vielle peau sénile, complètement marteau et
sourde. Tu n'es qu'un rêve, un fragment de mémoire qu'on a dû me
dissimuler par magie. L'issue de ce combat, peu importe ce que tu
essayes de faire, est déjà écrite. Si tu veux, je peux me battre à
main nue, les yeux fermés ou à cloche-pied. Je te lessiverai quand
même.
-Oh
toi petite insolente. Si tu crois que je vais gober ça. Meurs, et
souffre dix milles morts s'il le faut. Si c'est ce qui doit te faire
comprendre la leçon.
-C'est
ça vieux débris. Je n'attends que ça. Je la faisais fulminer de
par mes provocations."
Elle
donna le premier assaut, levant haut ses deux lames, que je parais en
me munissant de l'arme que je savais être dans mon dos, sans même
n'avoir vérifié. Masamune était mienne déjà à l'époque, je
comprenais à ce moment mieux tout le blabla de la Grande Prêtresse
Aetherys, comme quoi un tel artefact de guerre choisissait son
guerrier. C'était déjà moi sa propriétaire avant, et je l'ai
toujours été. Je devais peut-être accepter aussi le fait d'être
Teïnelyore finalement. Toutes ces coïncidences, n'en étaient
finalement pas. Je n'avais que faire de ce combat. Mon adversaire
avait beau enragé coup après coup, voyant qu'elle ne parvenait en
rien à me toucher, je ne m'intéressais pas à elle, et essayer de
deviner comment avais-je pu donc atterrir enfant dans ce vieux temple
désertique. Herylisandre, s'acharnait, je la voyais user de magie
pour essayer de me déstabiliser, mais rien n'y faisait. Elle
n'arrivait pas à m'atteindre. Je me focalisais davantage sur
l'instant, et d'un tour de bras, faisait voler une des armes, et lui
assénais un coup de pied "divin". La femme voltigeait sur
le sable, ricochait sur plusieurs mètres et s’enfonçait
violemment dans une épaisse dune. Je songeais à Evialg et imaginais
plus facilement qu'elle puisse à ce point dérailler par moment, si
Irasandre était aussi folle que sa mère, mon Amour avait vraiment
dû en baver plus jeune. Je ne voyais pas mon opposante quittait le
tas de sable dans lequel je venais de la faire atterrir, seul son
arrière-train dépassait du monticule. Je m'en rapprochais, garde
baissée, tandis que mon adversaire jaillissait d'autre part, s'étant
servie d'un double pour me duper. Elle plantait son épée en moi,
une gerbe de sang dégoulinait de l'entaille, cependant, restait
bloquée dans ma chair, qui s'était littéralement refermée après
l'impact. Je levais le bras, et sans aucune hésitation. La
décapitais.
Cette
phase de mon rêve s'achevait et je me retrouvais à nouveau dans un
flou onirique. Cette fois-ci, je me voyais au-dessus de mon propre
corps. Lévitant près du plafond de cette pièce que je connaissais
déjà. L'autel de pierre, les encapuchonnés me maudissant. Je me
penchais pour mieux écouter les palabres de ces étranges hommes.
"Elle
a tué notre reine. Elle l'a tuée ! Hurlait
un premier.
-Son
âme doit rester enfermée ici ! Sinon elle menacera tous les projets
qu'avait notre Maitresse Herylisandre.
-Mes
frères. Scandait d'une voix plus solennelle l'un d'eux.
Préparez l'incantation, que son âme divine soit scellée et que le
linceul obscur de notre vénérée puisse recouvrir Mithreïlid. Ils
se mettaient à entonner à l'unisson tandis que ma Moi, adossée au
banc de roche, commençait à convulser.
-Ah
vous croyez que cela sera suffisant ? Vous croyez vraiment qu'un
destin aussi putride se réalisera de cette manière ?! S'exclamait
mon corps retenu. Jamais de la vie."
Je
voyais mon autre Moi se secouait frénétiquement, jusqu'à ce
qu'elle se cogne la tempe et s'ouvre.
"Allez,
à très vite. Vous qui avez échoué une fois de plus."
Une
explosion sanguine ravagea toute la pièce, déchiquetant les corps
des mages m'encerclant, explosant mon enveloppe charnelle dans le
même temps. Le lieu fut inondé d'un raz de marée pourpre, les murs
repeints de la même couleur. Au cœur de cet amas visqueux, une
boule apparut, et se mit à tourner sur elle-même, de plus en plus
vite, créant un vortex gluant absorbant la matière pâteuse qui
s'était étalée dans tous les sens. Ma conscience se retrouva
projetée à l'extérieur du temple, et je vis le soleil et la lune
exécuter un nombre incalculable de cycles dans le ciel ; des
dizaines, des centaines, peut-être même des milliers ! Cela pour
enfin me retrouver ré-introduite à l'intérieur de la bâtisse, où
une fille haute comme trois pommes, attendait, le visage scotché au
mur, dessinant avec son propre sang. Je me rapprochais d'elle, la
touchais, mais bien sûr qu'elle ne me sentait pas. C'était moi,
toute petite, attendant sûrement que naisse mon courage et qu'enfin
je décide de partir à la conquête du désert, je passais ma main
dans ses cheveux, et murmurais.
"Tu
vas réussir ma grande, tu peux et tu vas le faire."
Je
souriais bêtement et me sentais arracher à mon double encore
enfant. Mon âme s'envolait une fois de plus et cette fois-ci, c'est
une odeur savoureuse qui me faisait entrouvrir les yeux. La peau
chaude et douce d'Evialg était collée à la mienne, son souffle
atteignait mes narines, je me blotissais un peu plus fort contre
elle, et embrassais ses lèvres endormies.
Je
fermais mes paupières paisiblement, quoi qu'un peu bouleversée tout
de même, d'avoir appris et compris ma réelle nature. Étais-je
réellement Teïnelyore, la déesse de l'Amour ? Il me tardait de
raconter ceci aux deux autres, l'excitation laissait place à la
fatigue, je me rendormais.
Quelques
heures plus tard, c'était le tambourinage acharné d'un écureuil et
de son petit-déjeuner contre le mur boisé de notre hutte, qui nous
réveillait. Nos membres se déliaient et craquaient, tandis que le
sourire embrumé d'Evialg me tirait de ma torpeur. Nous roulions
l'une sur l'autre, nous dévorant de baisers, jusqu'à ce que nous
chutions de la moelleuse mais étroite paillasse. Nous rigolions et
nous relévions en nous aidant. À peine avions nous franchi la fine
porte taillée dans l'écorce qu'Yzidrys nous fondait dessus,
impatiente de nous amenait au plus haut de l'arbre, où Tne' et
l'actuelle Grande Prêtresse nous attendaient, discutant devant une
table garnie de toute sorte de mets, qui pour une fois, n'étaient
pas une simple déclinaison de fougères et racines en tout genre. Du
gibier fumant, des infusions agréablement aromatisées, des fruits
frais et un grand nombre de nectars d'apparence gouleyante
garnissaient somptueusement la table, sculptée à même la
plate-forme. Notre compagnon et sa dulcinée souriaient niaisement,
et nous pouvions deviner qu'ils avaient passé une bonne nuit de
retrouvailles. Nous ne tardions pas à les saluer, et à nous
installer face au festin.
Comme
à notre habitude, nous entamions notre repas, tous les trois, comme
des sangliers affamés, sans aucune manière, ni retenue. Decadrys
avait commencé par manger avec délicatesse, puis, constatant notre
manque cruel de tact, ainsi que celui de son amant, s'adaptait à
notre méthode, et enfonçait à son tour, sa tête dans les
délicieuses victuailles. Ce spectacle bruyant et dégoûtant dura
quelques longues minutes avant que nous ne soyons tous repus, et que
nous puissions commencer à converser, nos phrases maladroites,
ponctuées par moment par des reflux gastriques peu délicats.
J'avais pu amener mon rêve quasi-prophétique au centre de la
discussion, sous les regards étonnés des autres; je contais le
combat contre la déesse corrompue, les adeptes et leur rituel de
sceau. Ce sont les détails de l'affrontement qui ont surpris mon
auditoire, tous -à mon exception, bien entendu- avaient déjà
entendu parler de cette fameuse bataille. Evialg s'enquérait de me
soutenir, rappelant que Maître Eruxul, lui avait lui-même compté
cette histoire. Retraçant mon parcours et la façon dont je m'étais
échappée du temple puis du désert, ma lutte contre le dragon, Tne'
était à son tour convaincu que cela n'était peut-être pas
impossible, et que ma capacité de régénération s'expliquait enfin
de manière rationnelle. Cependant, tel que dans mon rêve, le nom
d'Ilyohelm n'était absolument pas parvenu à leurs oreilles.
L'histoire avait englouti cette cité, dont je devais être la
fondatrice, cependant, j'avais bien conscience que si je retournais
sur place, je retrouverais des indices me permettant de retracer ce
qu'il s'était réellement passé. Tant concernant cette usurpation,
que le massacre des exsangues. Eruxul aurait sûrement eu les
réponses et les précisions que nous espérions tous, assemblant
petit à petit, les pièces du puzzle amenant à la situation de
crise qu'allait rapidement connaître tout Mithreïlid si nous
n'agissions pas rapidement : le règne d'Irasandre, fille
d'Herylisandre, déesse de l'Injustice. Point autour duquel nous
avions d'ailleurs débattu tous ensemble, décidant d'un commun
accord qu'une justice au service des ténèbres, était contraire
même au sens premier que l'on pouvait lui attribuait. Ainsi la Juste
devenait l'Injuste; tandis que Decadrys suite à une prière destinée
à la déesse du Partage Félicie, nous implorait de devenir des
protectrices et protecteurs de son clan, cela en échange de son aide
inconditionnelle. Tne' avait bien entendu accepter sans même
réfléchir, nous avions toutes deux aussi prêté serment devant la
Grande Prêtresse.
Malgré
le fait que nous venions de prêter allégeance et que l'heure aurait
pu être aux tables rondes et camaraderies, le temps et le destin de
Mithreïlid lui, était compté. Une garde postée loin du village
arboricole, à l'orée du joyau verdâtre, venait de faire irruption
sur la plate-forme et nous dépêchait une nouvelle alarmante. Des
cohortes venant de Teysandrul allaient arriver, d'ici quelques heures
aux troncs des premiers arbres de l'immense forêt. Sachant le sort
qui attendaient les bois et ses habitants, sans attendre, Evi' et moi
étions sur le pied de guerre, plus résignées que jamais à faire
mordre la poussière aux troupes de la Reine Sombre. Tne' confia à
Decadrys, l'appeau que Noctalya lui avait offert, lui faisant jurer
de ne pas écouter la fierté que pouvait supposer son rang et de
l'utiliser si la situation le nécessitait. Ils se quittaient le cœur
lourd, tandis qu'avec Evi', nous avions enfin l'impression de pouvoir
intervenir sur l'histoire de Mithreïlid et qui plus est, désormais
sur la notre.
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