Face
à moi, l'océan se déchaînait, tandis que derrière moi, c'était
ma propre âme qui semblait se déchirer sous une tempête que je ne
pouvais plus maîtriser. J'avais été trop loin, j'avais engendré
trop de morts, j'étais finalement devenue ce que j'haïssais le
plus : une tueuse, une bouchère.
Je ne
saurais m'expliquer autrement qu'en repensant à mon souvenir le plus
lointain. Lorsque je remonte dans ma mémoire, je songe à ma
jeunesse, aussi terrible qu'elle ait pu être. Cependant, voilà où
j'en suis. Les mains entachées de sang, puis de quelle jeunesse
suis-je réellement en mesure de parler ? Quel âge avais-je à ce
moment-là?
Je
crois m'en souvenir. Je n'avais que 15 cycles solaires.
J'étais
une petite fille qui vivait seule avec une femme, étant sûrement ma
mère. Elle prenait plaisir à m'élever, son sourire le montrait, du
moins je le croyais.
On
m'appelait Evialg, en l'honneur d'une Divinité qui était
étroitement liée avec moi. Cette dernière symbolisait la plus
grande source de puissance du Monde, mais tout ça m'était déjà
flou...
Je
m'épanouissais au milieu de monstres hirsutes et de créatures de
pierres immenses, pullulants dans cette zone, les affrontant
jour après jour. Les quelques personnes que je connaissais n'avaient
pas grand mal à me reconnaître. J'avais des cheveux magenta et de
grands yeux blancs. J'accomplissais avec régularité les cultes
envers ma divinité, m'obligeant à traverser les montagnes pour
prier dans un temple dédié au culte d'un Dragon. Ma foi m'aurait
dicté une voie belliqueuse, aussi, je refusais de massacrer et de
tuer les aventuriers peu nombreux, passant aux alentours de notre
demeure, ne serait-ce que pour ne pas ressembler aux démons, qui
d'après Mère étaient de la pire espèce de vauriens vivants dans
notre monde, ne semant que haine et panique sur leur passage. Tout
était question de malhonnêteté.
Aujourd'hui,
était mon grand moment, j'allais enfin partir de moi-même vivre
l'aventure. Nous partions donc ma génitrice et moi ce jour-là sur
notre monture, emportant un grand sac de provisions et de tissus. La
direction que nous prenions était celle d'une cité dont les
remparts semblaient de loin être ceux d'une ville noyée par la
mort, par la souffrance. Je frissonnais en apercevant les nuages
épais et ténébreux recouvrant les Landes Sombres, m'interrogeant
nerveusement pourquoi nous nous y dirigions.
Arrivées
à vue des murs de la morne ville, ma mère descendit de la monture,
et me tendit les bras pour que je la suive à mon tour.
Je
m'éloignai inconsciemment, voulant chasser deux créatures
humanoïdes se trouvant derrière un rocher. Je luttai pour les
mettre en pièce, et fière de mon exploit, je voulus l'annoncer.
Mais
lorsque je sortis de derrière l'imposante pierre, je n'aperçus que
la poussière soulevée par la monture, repartant . Je m'écroulais
au sol en larmes. Insultant celle que je croyais être ma mère,de
toutes les ignominies qui me passaient en tête.
Paniquée,
perdue, assoiffée et affamée, j'errais dans les landes depuis
sûrement plusieurs jours. Assise sur une pierre, pleurant les
quelques dernières larmes de mon corps, j'entendais finalement de
lourds pas venant vers moi. Peut-être venait-on me sauver ?! Je me
mettais à faire des grands gestes avec le peu de force qu'il me
restait.
Seulement,
de plus près, je remarquais des lances immenses, portées par des
hommes en armures sombres et arborant un macabre drapeau.
Je
me mis à courir, du plus vite que je le pus, mais trébuchai
m'écrasant au sol. J'étais épuisée.
Derrière
moi, j'entendais des rires moqueurs et sentais que quelqu'un
m'approchait. Une main me saisissait par les cheveux, j'hurlais, mais
on me passait un foulard en travers du visage, m'empêchant de crier.
Me
contractant je fis un bond de côté, saisissant à ma taille mon
épée. L'un d'eux sourit, puis sauta au sol. Il se dressa en face de
moi et pointa vers moi sa lance. Je me glissai habilement sur ses
côtes, lui déchirant l'abdomen d'un coup. Il s'écroula et deux
autres gardes se dressèrent face à moi, je m'apprêtai à m'élancer
pour les abattre, quand je sentis un coup derrière mon crâne. Je
tombai à terre, et là, plus rien.
J'ouvrais
les yeux, les mains bloquées par de lourdes menottes, elles-mêmes
accrochées par une chaîne au plafond et ayant mes jambes entravées
par un système pareil à celui me brisant les poignets. Il faisait
plutôt sombre et l'endroit dégageait une odeur désagréable. Je
devais être retenue dans des cachots… Mais pourquoi, qu'avais-je
fait ?
Toujours
tiraillée par la faim et la soif, je remuais, de sorte à ce que
l'on me remarque ou pour le moins que l'on constate que j'étais
vivante. Le bruit métallique des chaînes contre la pierre se
mélangea à un bruit nouveau. Une lame ou un autre objet en fer
devait traîner sur le sol, quelqu'un venait donc.
La
silhouette était enfin perceptible, portant à la main une torche et
dans l'autre une planche en bois sur laquelle étaient posés un
morceau de pain et un pichet. L'ombre ouvrait la cellule, posant le
flambeau sur un reposoir appliqué au mur. Je voyais son visage,
celui d'un jeune homme, mais il était comme empli de violence et de
méchanceté. Il passa ses mains derrière ma tête, détachant le
tissu m'empêchant de respirer pleinement. Je prenais une grande
bouffée d'air depuis fort longtemps, mes poumons semblaient exploser
tellement ils étaient comprimés.
Il
me tendit alors, près de la bouche le morceau de pain, je le croquai
avec envie, mais j'eus plus de mal à l'avaler, constatant qu'il
était rassis, moisi. Je le mangeai avec dégoût. Il mit ensuite
face à mes lèvres le pichet, qu'il versa tout d'abord délicatement,
puis me vida dessus violemment, renversant l'eau sur tout mon corps,
me faisant frissonner tant elle était froide. Il laissa le bout de
bois en feu dans la cellule, et partit.
Toujours
fatiguée, j'essayais de fermer les yeux pour me reposer mais la
lumière m'en empêchait. Je ne réussissais à m'endormir que
lorsqu'elle s'éteint, le combustible consumé. Malgré la position
forte inconfortable, je pouvais enfin dormir et avais le sentiment de
reprendre un peu de force. Mais le repos n'allait pas durer.
Je
fus réveillée par une gifle violente. Deux hommes ricanant très
désagréablement. L'un d'eux s'exclama :
«
Finalement, tu es bien plus jolie que tu ne le paraissais, pourtant
te regarder te roulant au sol, c'était plutôt marrant. Qu'en dis tu
Trezc ?
-Effectivement,
l'autre jour, on aurait dit qu'elle ressemblait bien plus à un
porcelet qu'à une fille. Il
se mit à rire bruyamment.
-Oui
c'était tout à fait ça, un porcelet se roulant dans la
poussière. Il
suivit son camarade dans leur délire puis reprit. Bon
et si on s'amusait un peu avec elle maintenant ?
-Ne
me touchez pas ! Criais-je,
en me débattant du plus que je le pouvais. Bande
de porcs ! J'aurais votre peau ! Vous m'entendez !
-On t'entend ça, oui. Mais enchaînée comme tu l'es, je ne vois pas ce que l'on risque.
-Puis les ordres sont clairs. Lâchait l'autre. Faites-la souffrir.
-On t'entend ça, oui. Mais enchaînée comme tu l'es, je ne vois pas ce que l'on risque.
-Puis les ordres sont clairs. Lâchait l'autre. Faites-la souffrir.
-Quoi ?
Mais de qui sont vos ordres, de qui ?! Désespérais-je,
ne comprenant pas ce que j'avais fait pour me retrouver ici»
L'un
d'eux s'approchait de moi, mais je lui crachais au visage, lui
hurlant de partir. Voulant à tout prix l'éloigner de mon corps.
«Mais
c'est qu'elle résiste la peste, je me serais plutôt contenté de ne
pas résister si j'avais été toi.»
Il
arborait un sourire odieux, sortait une dague fine de son ceinturon
et s'en servait pour découper d'un éclair argenté les liens de mon
haut de tunique, me coupant légèrement sous le cou. Ses deux mains
se plaçaient sur ma chair, me la touchant vicieusement. Je criais
autant que je le pouvais, sans pour autant avoir un quelconque espoir
« d'alerter » qui que ce soit ; je me trouvais dans
la cité du mal et de l'agression, ceux qui m'entendraient, au mieux
viendraient se divertir de ma situation désastreuse.
C'est
ainsi que le désespoir s'emparait de moi.
L'autre
garde passait derrière moi, me mordant le cou à pleine dents et
plaçant ses mains sur mes hanches. Je les sentais descendre et
atteindre le haut de mon pagne, qu'elles déchiraient, me mettant à
nue. Je les suppliais d'arrêter, le souffle coupé par la panique et
le stress.
Cependant,
ils n'en firent rien et retirèrent leurs bas. Je me mis à pleurer
sous la violence de leurs étreintes, mon corps forcé par ces deux
malades, exploité tel celui d'une esclave. Tout juste assez mûr,
pour apaiser tous les fantasmes de ces monstres sans cœur ni âme ;
je pleurais de toutes les larmes de mon corps, éprouvant un profond
dégoût et me laissant aller à une terrible envie de mourir et en
même temps de me venger.
"Je
vous tuerai. Je vous tuerai"
Mon
souffle se tarissait, je me tordais de douleur, je m'abandonnais aux
griffes du désarroi. Je finissais par m'évanouir.
« Pourquoi moi ? »
Parfois
il m'arrivait de rêver. De revoir le soleil, de vivre, de
m'épanouir, mais l'obscurité m'emmenait loin de mes rêves et me
ramenait à cette cruelle réalité.
Je
continuais de subir régulièrement, les sévices sexuelles de ces
malades et fourbes, parfois, je n'étais pas consciente, mon âme
n'était plus, j'avais cessé d'espérer, j'allais mourir, je le
voulais et le devais, j'étais souillée. Mais malgré cette envie
d'abandonner, de ne plus penser, je sentais en moi de plus en plus,
une énergie émanant de la haine que je portais envers ces fous.
Un
jour, alors que je perdais mes songes dans l'obscurité de ma
cellule, l'un des gardes s'approchait de moi et m'assénait une
gifle. Elle m'avait paru plus violente que toutes les précédentes,
plus méchante. Il venait pour assouvir son vice, se plaçant comme
tous les autres, derrière moi, j'entendais la boucle de sa ceinture
heurter le sol, le bruit strident de l'écho du métal sur la pierre
se répercutait en un immense frisson sillonnant mon dos. Quelque
chose en moi venait de s'éveiller. Quelque chose brûlait en moi.
Tandis
qu'il allait profaner mon corps, que ma chair allait encore souffrir,
que j'allais encore vouloir m'abandonner à la mort, je faisais
violemment éclater les chaînes me restreignant les jambes. Je le
repoussais, puis par une acrobatie, je me défaisais de mes liens en
les rompant. Virevoltant dans l'air, je retombais sur le garde,
malaxant son crâne de mes doigts et le projetant violemment dans les
grilles, volant à leur tour en éclats. Je cherchais de quoi me
vêtir, je ne trouvais rien. Qu'importe, je massacrerai qui me
retiendrait, nue, rien ne pouvait plus m'en empêcher.
Je
prenais instinctivement possession d'une nouvelle puissance
parcourant mes veines, je faisais apparaître une longue épée de ma
main. Elle était blanche, immaculée, il en émanait une aura
apaisante. Une douleur me déchirait le dos, je m'affaissais sur
le pavage froid. Mon dos se fendait, de vives effusions sanguines
enveloppaient ma peau gelée, je croyais que mes os allaient quitter
mon corps, mais non. Deux ailes pâles et lumineuses venaient
d'éclore de ma peau.
Qu'est
ce que j'avais fait pour que cela se produise ? Quel était ce
sentiment qui me consumait de l'intérieur ? Était-ce ça
l'injustice ?
Je
n'avais pas le temps de penser. J'allais noyer mon âme dans le sang
de ces monstres, je le désirais. La colère emplissait mon esprit
bien plus que nul autre sentiment, il n'y avait dans ma tête plus
aucune place pour la pitié ou le pardon. Je relâchais ma fureur
avec violence pour faire sauter tous les murs de la prison. Les
gardes s'attroupaient pour me faire face, comme paniqués, surpris.
Leurs yeux s'ouvraient, puis leurs têtes volaient sous ma lame. La
terre sous mes pieds tremblait, je mâchais le sol à chacun de mes
pas, courant frénétiquement, sautant sur chaque personne se
retrouvant face à moi. Je reconnaissais finalement parmi les troupes
les visages vicieux et l'odeur purulente des deux hommes qui avaient
été les premiers à me salir.
Je stoppais ma course et m'approchais d'eux lentement, faisant disparaître mon épée de lumière. Ils étaient terrifiés. Ma haine s'amplifiait. Leurs expressions devenaient livides comme la mort. Je plantais ma main dans le torse de l'un des deux. Saisissant à pleine main ses organes, que j'extirpais violemment hors de son corps.
Je stoppais ma course et m'approchais d'eux lentement, faisant disparaître mon épée de lumière. Ils étaient terrifiés. Ma haine s'amplifiait. Leurs expressions devenaient livides comme la mort. Je plantais ma main dans le torse de l'un des deux. Saisissant à pleine main ses organes, que j'extirpais violemment hors de son corps.
L'autre
se mettait à courir, je bondissais en vitesse, le fauchais en lui
cassant les jambes, le regardais ramper quelques instants. Je le
relevais en le soulevant par le cou. Je le positionnais contre un
mur, tandis qu'il gesticulait pour se débattre, coupant le souffle
de tous les témoins de la scène, instaurant un silence morose dans
la Milice.
« Je suis la puissance. Tu le comprends, ça ? »
J'armais mon poing et lui écrasais dans le visage, son sang jaillissait dans tous les sens. Je faisais ré-apparaître ma lame lumineuse, me retournant face aux soldats restants, et me ruais sur eux. La bâtisse volait en éclat.
Le
sang et les corps démembrés tapissaient chaque dalle du sol. Cette
ville allait être témoin d'un carnage sans limite. Machinalement je
tuais quiconque je croisais, femmes et hommes, enfants et vieillards,
coupables et innocents. Tous étaient à mes yeux responsables de ce
qui m'était arrivé.
Mon désarroi s'atténuait, et comme si je me réveillais d'un mauvais rêve, j'ouvrais les yeux. J'étais couverte du sang d'un millier de personnes, tournant sur moi-même, au milieu d'une place quelconque, au centre d'un carnage sans nom, j'avais semé la mort dans ses formes les plus terribles. Mes larmes coulaient à flots. Mon cœur battait anormalement vite. Mon souffle devenait totalement incontrôlable. Mon estomac se tordait, je tombais à genoux, vomissant le pain rassi avalé la veille. Mon corps tremblait, je pleurais, me roulant dans des flaques poisseuses, faites du liquide écarlate, j'étais nue, glacée. Je voyais tous les corps inanimés partout autour de moi... Qu'avais-je-fait ?
Je
ne pouvais m'imaginer capable de faire ça, ce n'était pas possible.
Je devais être entrain de vivre un cauchemar.
Ce
fut cette vision infernale, qui appela mon
désir d'oublier, et qui finalement, me conduisit jusqu'à cette île
inconnue, comme guidée par mon instinct. Traversant des plaines
verdoyantes, marchant à travers de vastes forêts, je finis par
arriver à ces falaises, surplombant la mer bleue, cette dernière
aussi furieuse que mon esprit.
C'est
ainsi que mon souvenir se terminait, que je reprenais le cours de mes
pensées.
Je
fermais les yeux, étendais les bras. Derrière moi, les multiples
bruits émanant d'un bosquet paisible se mélangeaient aux
claquements des vagues sur les parois érodées. La brise marine,
remplissait mes poumons d'un air pur, l'odeur du sel pénétrait mes
narines.
Devant moi, ce dernier paysage, qui se devait d'être le début de ma longue fin. Je me retrouvais ici. Les mains tachées du sang de tant de personnes... Tandis que je me pressais le corps, je le découvrais au même moment. Comme si j'en prenais la possession pour la première fois. Mais de quoi, de qui ?
Devant moi, ce dernier paysage, qui se devait d'être le début de ma longue fin. Je me retrouvais ici. Les mains tachées du sang de tant de personnes... Tandis que je me pressais le corps, je le découvrais au même moment. Comme si j'en prenais la possession pour la première fois. Mais de quoi, de qui ?
Je
faisais trois pas en avant, atteignant le bord de la paroi, puis me
laissais tomber. Je ne sentais que le contact d'un rocher solide, me
brisant l'abdomen, écrasant ma poitrine et broyant tous mes organes.
La caresse de l'eau, liée aux sveltes mouvements des vagues, donnait
une dernière fois à mon corps l'impression d'être en vie.
Hors
de moi, les marées se succédaient, le soleil réchauffant cette
plage de son éclat sans défaut, l'eau nettoyant à chacun de ses
mouvements les galets ronds de cette étendue sablée, le vent marin
balayant le ciel de ses nuages.
Qu'était cette sensation ? De l'eau ? Une forte odeur salée me soulevait l'estomac. On était entrain de me traîner hors de mon grand bain. Je sentais une présence, mes yeux s'ouvraient difficilement, inondés et brûlés par l'iode. Une silhouette floue remuait au dessus de moi, qu'était-ce ? La forme se déplaçait et saisissait mes mains, mon cœur était inactif, mon souffle avait disparu. J'entendais des vagues et sentais la chaleur timide du soleil. Où pouvais-je bien me trouver ?
Le
froid humide qui me hantait, laissait place à une agréable
sensation de chaleur. Ma poitrine se réchauffait sous la pression de
deux mains délicates. Deux petites ailes se dessinaient sous mes
yeux.
Qu'est ce qu'il se passe ? Qui
suis-je ? Où suis-je ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire