L'air
de ce sous-bois était nauséabond. L'odeur de la fonge et du sang
frais était sans aucun doute la pire essence que l'on eût pu un
jour respirer. S'ajoutant à cela l'ambiance glauque que le moment
nous imposait; j'étais là, à la fois pétrifié et ébahi, et en
même temps inspiré et instable tel que je ne l'avais jamais été.
Si j'avais dû résumer mon état intérieur, j'aurais choisi l'image
d'une petite échoppe de potions et sorts en bouteille, dont les murs
sont figés dans le temps, mais dont tous les rayonnages tremblent au
point d'en faire tomber toutes les flasques et fioles au sol...
provoquant un fracas terrible et renversant du liquide partout..
"DU
LIQUIDE PARTOUT !!" Hurlais-je,
hors de moi.
Heureux de constater que l'échange buccal de mes deux comparses les
occupait trop pour soulever mon incorrection. Tout de même, ce qu'il
se passait là, était plutôt curieux, et embarrassant. Loin
de moi est pourtant l'étroitesse d'esprit, j'ai de mon œil avisé
déjà pu voir mille et unes merveilles en ce monde, mais ça... il
ne sera pas dit que je le revois un jour.
Cependant,
d'un point de vue médical seulement, la situation était assez
inexplicable. En effet, tandis que je divaguais et que ma sève
bouillait, je ne pouvais que constater la fulgurante guérison de
Gna, dont les plaies encore dégoulinantes de sang il y a quelques
instants se refermaient désormais à vue d’œil. La magie opérait.
Je reprenais mes esprits peu à peu, et me remettais de cette foule
d'événements.
L'instant
me parut opportun pour errer autour de notre clairière, cueillir des
plantes, dessiner quelques croquis de la scène et finalement
constater le rétablissement de Gnas. Cependant, c'était au tour
d'Evi d'être dans les choux. La pauvre avait dû trop donner d'elle
même...
Dans
la précipitation, notez, que je ne sais pas vraiment par quel
miracle Gna a-t-elle pu se remettre de ses affreuses blessures. Ou
bien quelle attention touchante avait amené à cet instant
tendresse... dans le liquide écarlate et la boue. En parlant de
sang, l'ensanglantée était, à la manière d'une alcoolique en fin
de nuit, entrain de se relever tant bien que mal.
Sans
trop nous consulter, nous attendîmes quelques heures, puis nous nous
mîmes en route, Gnas transportant Evialg toujours évanouie.
Quelques heures passèrent, une sale atmosphère régnait dans l'air
depuis peu. Peut-être était-ce du fait de l'état pitoyable de
notre petit comité, ou bien de la nuit qui pointait à l'horizon
sans qu'aucun village ou auberge n'apparaisse à vue, ou bien que
nous avions faim et soif, qu'Evi' n'avait toujours pas émergé... ou
peut-être de tout à la fois.
Elles
qui s'étaient rencontrées sur un champs de bataille horrible, dans
des conditions bien plus désastreuses, c'en était presque un comble
de voir Gna user du peu de force lui restant pour soulever et
transporter Evi. Sans crier trop gare, peut-être ces deux-là
étaient entrain de se lier d'une belle amitié. Née du sang, du
jus, du crachat et de l'adversité, mais tout de même amitié.
Seules
les étoiles désormais illuminaient notre route, les seules nuances
au silence nocturne étaient les râles douloureux et saccadés de
Gnas, sans plus broncher que cela, elle ne s'était pas arrêtée,
cependant en me retournant discrètement sur elles, j'avais pu
constater une mine maussade et des yeux éteints par la fatigue.
"Là-bas
! Une lumière sur le bord du chemin !"
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