mardi 28 octobre 2014

Chapitre IV : Chemins Convergents



Aussi loin que je me rappelle. Tne' a toujours été proche de moi. quand je suis apparue sur cette Terre qui m'était comme nouvelle. Nous nous connaissions, tout du moins, il me semblait presque familier. Tout en sachant qu'il s'agissait là d'un paradoxe total, ne me souvenant de rien.
 Le monde lui, était nouveau, j'avais l'impression de fouler des terres inexplorées à chaque pas que je faisais. Les autres personnes aussi... Tout me paraissait inconnu ou étrangement méconnaissable. Je me souvenais à peine de mon nom, si ce n'était pas une affabulation de ma mémoire. Comme si ce détail-là avait lui survécu à mon amnésie totale.

 Avant cette plage, où déjà il se tenait à mes côtés, je n'avais aucun souvenir antérieur de ma vie. Je n'appartenais en rien à ce monde, je ne le connaissais pas et si tel était le cas, je me souviendrais au moins des lieux que nous aurions parcouru lui et moi, mais rien n'en était. Tout restait un flou dans mon Histoire, dans mon Esprit. Je ne savais pas qui j'étais, ni d'où je venais... Il n'y avait que lui, qui occupait donc les quelques bribes de mémoire que j'avais accumulées en sa compagnie.
 Désormais cette drôle de fille, qui cheminait avec nous depuis peu, devenait officiellement la deuxième personne avec qui j'allais sûrement converser, ayant toujours laissé Tnemesnap parler à ma place, sans jamais avoir cherché à me reprocher de qui que ce soit d'autre. Mais cela ne me dérangeait pas d'avoir durant tout ce temps dû être silencieuse; ceux qui parlent, ont des expériences à transmettre. Moi, ma vie était comme vierge, je découvrais tout pas à pas. 

 Je focalisais mon attention sur notre troisième membre du groupe, puisque sans trop savoir pourquoi, je n'avais pas pu la laisser au milieu de cet immonde charnier dans lequel nous avions combattu. Ce champs de bataille dans lequel nous nous étions aventurés pour essayer de comprendre pourquoi une telle guerre avait lieu. La pauvre devait elle aussi se trouver ici par le plus grand des hasards : elle ne revêtait aucune des deux tenues portées par les armées, d'ailleurs je ne savais pas si on pouvait vraiment parler d'habits la concernant, elle n'était recouverte que par de simples guêtres, toutes ensanglantées et déchirées. Nous avions fini par conclure qu'ainsi étaient les choses, multiples groupuscules s’entre-tuaient sans cesse, représentant des cités, des clans, des peuples, des ethnies. Je ne comprenais pas, ma seule volonté de dégainer mon arme dépendait de ma survie et de la menace qui m'entourait. Et sans savoir pourquoi, j'étais dotée d'une habilité sans égal pour me battre. Je devais sans aucun doute avoir aussi oublié mon entraînement. Étais-je moi aussi soldat avant de me réveiller sur cette plage ? 

J'étais muette quant à mon histoire, parce que je ne savais pas. Quant à Tne, lui était juste discret, tout du moins par rapport à ça. Je dois admettre que j'ai toujours été curieuse quant à lui. Il restait un mystère pour moi alors que cela faisait plusieurs décades que nous errions ensemble. Tout était différent de moi chez lui, déjà il avait ces minuscules ailes d'oiseau qui n'allaient pas du tout avec le reste de son corps, qui semblaient n'être là que pour le dénaturer, sa corpulence chétive n'aidait en rien et lui donnait autant de crédit qu'un insecte. Cependant, rien ne semblait jamais le surprendre, il n'était pas spécialement froussard, juste désintéressé et parfois peu volontaire.   J'eus beau lui demander si nous nous connaissions avant, sa seule explication vis-à-vis de notre rencontre était le fruit du destin et du hasard. Il avait ce jour-là vu un cadavre flotter à la surface de cet océan dans lequel il collectait des plantes bien spéciales, et était allé le repêcher.

Quelques heures depuis la bataille et le réveil de l'autre fille s'étaient écoulées. Nous avions cheminé à travers une lande pour nous éloigner des combats, espérant ainsi éviter toute lutte inutile. Avec une blessée sur les bras, nous étions plus vulnérables, quoiqu'elle avait l'air de s'être quand bien remise pour quelqu'un qui s'était fait éventrer, rien que le fait d'avoir survécu en soi... Mais je n'avais pas du tout confiance en elle, après tout, elle était au coeur de l'affrontement quand nous nous sommes faites face, et si je n'avais pas vu son serpent volant à temps, j'aurais sûrement fini en pièces moi aussi. C'était une personne dangereuse, par mesure de sécurité j'avais même récupéré son sabre pour  nous éviter le moindre coup fourré venant de cette énergumène, ce qui avait par la même déclenché chez notre blessée une furie sans précédent auquel j'avais juste répondu en la menaçant, sans trop exagérer, après tout, je venais de la battre, sa vengeance aurait pu être problématique, mais j'avais un ascendant sur elle. Nous marchions paisiblement sur un sentier dégagé, bordé d'une végétation très fleurie, s'engouffrant à l'horizon vers une forêt. Nous étions silencieux depuis que l'étrange fille avait hurlé pour son sabre, elle restait en retrait quelques pas derrière nous, chantonnait par moment, puis finissait par se taire et se mettait à souffler. Tne', lui, marchait à mes côtés, scrutant la verdure et les buissons, parfois regardant le ciel. 

 "Tu as une idée d'où devons nous nous rendre maintenant ? Evi' ? M'interrogeait Tne', interrompant le fil de mes pensées.
-À vrai dire... Je ne sais pas trop. Cela fait des mois que nous suivons ces armées, non ? Finalement, c'était peut-être juste pour tomber nez à nez avec cette fille. Glissais-je, en jetant un regard vers elle.
-Clairement, dans mon cas, ce ne serait pas la première fois que le destin m'amène au devant d'un semi-cadavre. Lançait-il avant de me scruter. Puis, outre sa rencontre, cela nous aura seulement fait atterrir au milieu d'un tas de corps et de membres. Non merci, plus pour moi, en tout cas, pas avant longtemps. Maugréait-il, en se retournant vers l'autre fille. Et elle, du coup ? Que va-t-il se passer, elle va rester avec nous ? 
-Quoi que va-t-il se passer ? Je voulais juste être sûre qu'elle s'en sorte. Pour le reste... Ça m'importe peu, avais-je fini  la phrase dans ma tête. 
-Maintenant qu'elle est avec nous, tu en es un peu responsable quand même. Puis c'est une drôle de philosophie, je t'ai vue en occire quelques uns des soldats, plus tôt, tu ne t'es pas arrêtée pour leur faire preuve de compassion. Non ? 
-Oui, oui, en plus dans son état elle n'aurait pas survécu bien longtemps. En soi il avait raison, j'aurais clairement pu la laisser avec les autres cadavres, alors que là, peut-être avais-je glissé un problème dans nos bagages. Elle n'aura qu'à reprendre son voyage seule au prochain village que nous croisons. 
-Même maintenant, moi ça me va, hein. Venait-elle de couper notre conversation. Si je ne suis pas iblo... boli.. Si tu ne me forçais pas à rester, ça ferait un bout de temps que je vous aurais fauché compagnie. Grognait-elle
-Fauché ? Riait Tne'. Tu ne voulais pas dire faussé compagnie ? 
-Peu importe. Rageait-elle, puis se taisant. 
-Je disais donc... Reprenais-je. Peut-être pourrions nous comprendre ce qui amène les armées à s'affronter de la sorte ? 
-Oula oula, si nous nous intéressons de trop près à cela, il risque d'y avoir des retombées négatives sur nous. Soufflait Tne' d'un ton peu glorieux. Puis qui dit guerre dit combat et... 
-C'est sûr que tu n'as pas l'air taillé pour te battre. Pouffait notre arrière-garde. 
-Bon. Je stoppais mon déplacement et me retournais vers la fille. Écoute toi. Lui disais-je en fixant ses yeux. C'est par sympathie que je t'ai ramassée et portée les premières heures. Grâce nous soit rendue, tu marches et tu parles. Maintenant, si tu pouvais avancer et te taire, sans nous déranger, ça irait aussi. 
-Hé oh. Te prends pas pour sepur... sipur.. Pour la chef, hein. Venait-elle de lâcher en haussant le ton. Moi je ne t'ai rien demandé, tu m'as foncée dessus et après tu me ramasses. Mais moi je veux pas te suivre toi, et le nabot. Fous-moi la paix, je dis ce que je veux en plus. Se renfrognait-elle.
-Pour l'instant, j'ai ton arme, alors tu te tiens tranquille et si tout va bien, comme je le disais, au prochain bourg que l'on croise, tu pars. Et tout le monde sera content. Lâchais-je dédaigneuse. 
-Ah, bah super. Se contentait-elle de répondre. 
-Après elle avait un peu raison. Je ne suis pas tellement un combattant. Et je ne pense pas que cela soit honteux pour autant. Je n'y peux rien si le sang ne m'intéresse pas. Si cela me vaut des remarques, je les accepte. J'ai choisi. Répondait-il sans colère." 

 Tne' était vraiment un personnage étonnant, il ne s'était pas vexé et  avait conservé la tête froide. Il s'exprimait bien,  et avait l'air bien plus sage que moi alors qu'il ne faisait pas plus âgé que nous autres. En effet, sa petite taille et ses petites ailes, lui ôtaient  vraiment toute crédibilité Mais sa voix était calme, posée. Il est intelligent, ça je le savais. Puis, sans que ce détail ne soit des plus importants, il était surtout le seul homme de notre petite escouade. Cela me fit rougir alors que j'étais entrain d'associer les arbrisseaux jonchant le bord du sentier, aux buissons dont on racontait qu'ils abritaient toujours les jeunes couples en pleine recherche d'une fleur rare.  Néanmoins, les années passant, j'avais laissé son genre de côté, cela ne m'intéressait pas vraiment de toute manière. 
 La troisième équipière de notre groupe, à l'inverse, n'avait pas l'air très loquace ou à l'aise pour parler. Du peu que nous l'avions entendue durant sa crise, et même pendant ses quelques mots à l'instant, elle semblait cruellement ne pas avoir appris à parler, ou ne pas en avoir eu l'occasion. Cela lui donnait l'air un peu bête, et pourtant cette idiotie inhérente, ne réduisait pas la dangerosité de cette étrange fille. À songer au fait qu'elle était un peu notre prisonnière, je me mettais à me demander, ce qui faisait que Tnemesnap me suivait. Après tout, notre rencontre remontait déjà à quelques décades, il aurait pu repartir seul et dans une autre direction que la mienne, c'était son droit.

 Le temps était passé si vite depuis qu'il m'avait sorti de mon bain... Songer à la notion de temps, me faisait penser à mon passé, et à tout ce qui avait pu m'amener à me noyer; je ne comprenais pas pourquoi rien ne me revenait, est-ce que mon vécu allait-il être toujours si inexistant ? Allais-je m'endormir un beau jour et tout oublier à nouveau ? Ou à l'inverse, est-ce que si je me rappelais, je ne serais pas déçue de ma vie passée ? Une larme coula de ma joue. Puis deux. Tne' le remarqua, me saisit la main, et je compris qu'il me demandait par le biais d'un regard timide si tout allait bien. Je lui hochais lentement la tête. Il serrait ma main. Je rougissais, puis gênée la retirais de la sienne.
  J'essayais de penser à l'horizon, de me focaliser sur le chemin que nous étions entrain de fouler, de tous ceux que nous allions emprunter... Mais j'étais distraite par les cailloux qui virevoltaient ça et là, que la fille derrière nous s'amuser à envoyer du pied, ricochant sur le sol, rebondissant entre Tne' et moi.. Je les comptais passer,  involontairement, et cela commençait à sérieusement m'agacer.


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