Fort
loin du village mercantile, et de sa beauté illuminée; une longue
chevelure magenta volait au gré du vent mauvais qui balayait ces
landes rocailleuses, ces dernières étaient voilées par une épaisse
nappe stagnante de nuages sombres. Les steppes mornes étaient
dépourvues d'une quelconque végétation, même un nid de ronces
aurait pu égayer ces paysages désolés, creusés de balafres
telluriques desquelles s'échappaient de large souffles sulfurisés.
La vagabonde, drapée dans un long chaperon noir, progressait
rapidement, sautant au-dessus des crevasses qu'elle rencontrait,
escaladant les barrières rocheuses qu'elle croisait. Ce désert
noir, sans qu'elle ne le connaisse, ne lui paraissait pas étranger
pour autant. Une aura l'attirait, en direction de l'épicentre plus
obscur des nuages, duquel hurlait désormais des éclairs, striant la
nue de flashs mauves.
La
course ininterrompue amena l'aventurière en vue de remparts
lugubres, détruits par endroit, complètement rasés d'autre part.
Des convois, marchands pour la plupart, sillonnaient une route que la
jeune femme avait volontairement évité, s'éloignant ainsi des
patrouilles montées qui gardaient la voie grossièrement pavée.
Rapidement, elle atteignit les murs, et profitant d'une brèche,
s'enfonça dans la cité. La ville était un patchwork de
quartiers en miettes, et d'autres en reconstruction. La foule et son
brouhaha couvrait sans difficulté l'infiltration de notre
aventurière, qui venait de revêtir son capuchon noir pour cacher sa
chevelure voyante et peu commune, elle était dissimulée dans son
habit sombre parmi la population arborant des guêtres toutes aussi
obscures que la sienne. Elle avait une mission, découvrir qui était
la ou le mystérieux couturier de son habit.
Depuis
le carnage de la caverne, son esprit était habité par l'attitude
étrange de la cheftaine à son égard; elle était troublée par les
révélations concernant son âge réel, et donc de tout ce que son
amnésie avait dévoré d'elle.
Les
ruelles de cette ville offrait une luminosité très faible, compte
tenu d'un éclairage quasi inexistant et d'un ciel noir toute
l'année. Ainsi, les pas de l'inflitrée l'amenèrent à visiter un
grand nombre d'ateliers de couture, pour la plupart sans
dessus-dessous, elle n'hésitait pas à pénétrer les décombres et
à fouiller à sa guise, et malgré son acharnement et une vingtaine
d'établissements vus, elle était toujours bredouille. "Irasandre"
semblait être inexistant, ou poursuivait-elle un fantôme ?
Sans
le savoir, c'est elle qui était poursuivie par deux ombres, qui
depuis quelques heures avaient bien remarqué qu'elle évoluait seule
dans la cité. Elle finirait bien par emprunter une ruelle
coupe-gorge, et à ce moment-là, elle deviendrait alors une proie
facile.
Teysandrul,
cité des ténèbres et de la crasse, était comme sa jumelle opposée
-Ïlyohelm-, supposée être organisée en quartiers d'artisanat,
notre infiltrée avait déjà exploré tous les grands axes englobant
le pâté de maisons des couturiers et tailleurs, elle allait
désormais s'engouffrer dans les artères plus étroites.
Quelques
mètres à peine enfoncée dans une des ruelles, elle remarqua tout
d'abord quelques échoppes plus humbles aux devantures simples, et
plus loin, un encapuchonné adossé au mur. Elle s'arrêta face aux
ateliers pour ne constater qu'aucun des artisans ne s'appelait
Irasandre, puis arriva au niveau de l'homme qui, collé au mur venait
de lui barrer le chemin. Elle avait par ailleurs entendu des pas
derrière elle, qui, dans cette rue étroite, résonnaient à un
rythme soutenu.
L'homme
désignant sa ceinture, ne tarda pas à faire savoir ses intentions
malhonnêtes et perfides. Et malgré qu'elle se savait encerclée,
notre beauté étrangère à la cité, resta impassible et
silencieuse, voire inintéressée par les menaces de l'homme
lubrique. Elle allait le bousculer pour passer, mais ce dernier la
retint, d'un geste vif, ôtant la capuche du même mouvement. Les
yeux vides de la jeune femme, découverts, se marquèrent d'une
colère intense, et sans qu'un instant ne s'écoula, elle envoya son
poing fermé en direction de son agresseur. Avant que la main ne
l'atteigne, il avait plongé dans son ombre et s'était retrouvé
dans l'angle mort de la combattante. Sans rien dire, les deux bandits
s'étaient jetés à l'assaut d'elle, et synchronisèrent leurs
attaques pour la prendre au dépourvu. Aussi vive qu'eux, elle bondit
en s'aidant des murs et leur retomba dessus de toute sa force. Genoux
au sol, enclavés dans les pavés, elle avait manqué ses cibles, qui
avaient encore usé de leurs ombres pour se téléporter. Les
détrousseurs reprirent leurs poses de combat :
"
Tu seras vite fatiguée, et docilement tu deviendras notre jouet.
S'exclama d'une voix vicieuse l'un d'eux.
-
Je ne serais plus le jouet de qui que ce soit. Tu ferais mieux de
garder ta salive, car quand tes dents heurteront le sol, tu en auras
besoin pour digérer la roche. Répondit-elle
sèchement.
-
Je ne pense pas que tu sois en position de faire de l'esprit, ma
jolie. Lança
le deuxième, dégainant deux lames de son ceinturon.
-
Plus elles parlent, et plus vite elles s'épuisent. Répondit
l'autre en riant.
-
Vous faîtes une belle paire de bouffons tous les deux, je pense
connaître la sanction adéquate à vos vices."
Sans
plus attendre, elle fonça droit sur l'un des deux hommes, avisée,
elle savait qu'il allait profiter de sa charge pour disparaître et
l'attaquer dans le dos. Quelques dalles avant d'arriver sur lui, elle
se retourna brusquement, et le surprit à la sortie de sa
téléportation. L'attrapant au cou, elle serra sa poigne autour de
sa trachée et après lui avoir fait rencontrer le mur, le
projeta sur son complice, surpris, qui n'eut pas le temps de
s'enfouir dans son ombre et dut amortir le projectile humain. Les
deux étaient au sol, tandis qu'à l'origine du jet, notre guerrière,
élancée, virevolta face à eux, enchaînant roues et acrobaties.
Tantôt rebondissant sur le mur, tantôt courant à toute vitesse,
elle prit appui au sol et sauta, tirant en arrière ses bras, faisant
apparaître son épée de lumière. Elle retomba sur les malfrats
dans un fracas terrible, mâchant les pavés sous l'impact, soulevant
un épais nuage de poussière obstruant complètement la visibilité
de la ruelle. Sans les distinguer, elle les savait encore là, elle
martela d'un coup sec le pavage, arrachant en ligne droite le sol,
emplissant davantage l'air d'une nuée lourde et asphyxiante. Elle ne
les voyait pas, mais leur toux les trahit. Ayant repéré dans
l'épais brouillard l'un des lascars, elle tata son ceinturon pour y
dénicher deux autres dagues. S'en suivirent deux hurlements
distincts attirant davantage l'attention que les bruits sourds du
combat.
La
foule, présente des deux issues de la ruelle, put apercevoir sortir
de l'épaisse poussière une silhouette drapée de son long chaperon
noir, marchant au pas, comme si de rien n'était, disparaissant à
nouveau parmi la marée humaine environnante. La fumée se dissipa et
laissa apparaître deux hommes agonisant, empalés au mur, chacun une
dague traversant leur entrejambe, enfoncée dans le mur; sans que
quiconque ne se sente concerné, les badauds quittèrent la scène,
laissant les bandits lentement mourir, épinglés à leur vice.
La
jeune femme, toujours sereine continua d'épier nombre d'autres
boutiques et erra encore quelques minutes, jusqu'à ce qu'une vieille
à la voix rauque, assise sur un tas de détritus ne lui adresse la
parole.
"Jeune
fille, que peux-tu chercher ainsi pour que tes pas ne t'amènent
jamais au bon endroit ?"
Surprise
par l'interpellation, l'encapuchonnée se désigna du doigt.
"Oui,
c'est à toi que je parle. Lui
affirma-t-elle.
-
Je cherche un ou une artisane. Répondit-elle
en s'approchant lentement, méfiante.
-
N'aie crainte, je sais qu'ici tu penses que tout le monde est ton
ennemi, mais je ne suis qu'une vieille éclopée qui ne voit pas plus
loin que le bout de son nez. Qui cherches-tu donc pour ne pas le
trouver ?
-
Et bien. Elle
se rapprocha de la vieille, parlant à voix plus basse, malgré le
brouhaha ambiant couvrant déjà sa voix. Je
cherche un ou une dénommée Irasandre.
De
la stupeur et de l'effroi se lisaient désormais sur le visage
jusque là inexpressif de l'aïeule. Notre cadette comprit qu'elle
allait apprendre de l'aînée.
"
Irasandre... Irasandre n'était pas n'importe qui, tu sais. Tailleuse
de renom, elle a été cheftaine de guerre. Aussi douée avec une
aiguille et du fil qu'avec une épée, ses faits d'armes la
distinguèrent au point qu'elle devint gouvernante, puis reine et
enfin s'auto-sacra Impératrice de Teysandrul. Toujours en quête de
plus de pouvoir et de puissance, elle finit par lier son âme à la
magie noire. La vieille se tut et s'essuya la commissure des lèvres,
pour reprendre. Elle usa de rituels terribles au point de se faire
engrosser pour sacrifier ses enfants nouveau-nés, la folie la
gagnait peu à peu. D'aucun dise que lorsqu'elle se trouva trop
vieille, elle se déplaça dans le corps d'une enfant, l'une de ses
plus folles expériences. Cependant, la puissance effraie tous ceux
qui sont faibles, et cela ne manqua pas pour elle. Elle finit par
disparaître, certains crurent que son expérience rata et qu'elle en
mourut, tandis que d'autres se vantèrent d'avoir réussi à la tuer.
-
À quand cela remonte-t-il d'après vous ? La
jeune femme la coupa.
-
Irasandre a commencé son règne sur Teysandrul il y a 150 ans,
cependant cette dernière avait déjà facilement 70 ans à ce
moment-là.
-
Elle était vieille ? La
femme se reprit.
Avait-elle l'air vieille ?
-
Non, elle arpentait toujours les champs de bataille et avait l'air
jeune, tous la convoitaient pour sa beauté éternelle. Ce n'est
qu'après 30 ans de règne qu'elle commença à marquer son âge et
que sa folie naquit.
-
Vous avez l'air de bien la connaître.
-
J'étais juste déjà âgée quand cette jeunette faisait trembler
femmes et hommes sur le monde des Douze. Elle
se racla la gorge.
Ce qui m'intrigue, c'est ton intérêt pour elle.
-
Ce n'est pas simple à expliquer. Disons qu'elle est une pièce d'un
engrenage que je cherche à comprendre.
-
Jamais tu n'aurais pu la croiser, je le sens. Ta peau a l'odeur d'une
fleur qui vient tout juste d’éclore, et ta voix n'est pas marquée
de rides.
La
combattante eut un instant d'absence, s'imaginant que la vieille
devait être un peu sénile. Elle se focalisa et s'approcha de
l'aînée, mettant le bas de l'habit à portée de ses bras courts.
-
Ouvrez votre main et dites moi si ce que vous sentez pourrait me
renseigner. Elle
avait compris que la vieille était un puits de connaissance.
Cette
dernière palpa le vêtement, ses doigts s'accrochèrent au nom brodé
qui la fit frissonner, elle continua son examination et
s'interrompit, comme choquée.
-
Ton vêtement est il aussi sombre qu'une nuit sans lune ? Les détails
cousus sont ils dorés ? L'habit possède-t-il une capuche ?
-
Oui, oui et oui. S'empressa-t-elle
de rétorquer.
-
Mon enfant, sache que le vêtement que tu revêts n'est autre que la
dernière création connue de l'Impératrice. Sûrement son ultime
tenue par ailleurs.
-
Et ?
-
Cette tenue, aurait dû disparaître avec Elle. Dit-elle,
la voix grave.
-
Je ne comprends toujours pas.
-
Écoute, cette tunique complète était le vêtement d'apparat et de
guerre d'Irasandre, le dernier que l'on l'ait vu porter avant qu'elle
ne disparaisse. C'était sa relique, empreinte de tout son talent, de
toute sa folie, son ultime réussite. Pourtant si prestigieux, elle
portait cette tenue en toute occasion. En parallèle à cela, sache
que les guerriers et mages s'étant vantés de l'avoir terrassée,
étaient un groupe de puissants pyromanes, armes enchantées, magie
élémentaire du feu... Auparavant sous sa coupe en tant que
combattants d'élite, devenus renégats à son égard. S'ils l'ont
tuée...
-
Alors le vêtement aurait dû brûler.
-
Tout à fait. C'est une nouvelle très grave que tu transportes sur
ton dos. Cela veut dire qu'elle n'est pas morte de leurs mains.
Et... Elle
hésita.
Et Irasandre était l'égale d'une Déesse. Elle ne faisait pas que
commander les batailles, elle était toujours en première ligne. Si
elle était fascinée et passionnée par sa propre puissance, elle
était encore plus accro et assoiffée de mort et de sang. Quel
général ou empereur irait prendre le risque de mélanger son sang à
celui de la basse infanterie ? Aucun ne courrait tel danger. Mais
Elle. Elle arborait un sourire odieux lorsqu'elle parvenait à
prendre seule la tête du général ennemi. Pire que tout, elle
finissait par jouer avec le membre décapité, comme elle jouissait
de pouvoir se rouler dans les flaques de sang inondant les carnages
dont elle était la source. Elle allait jusqu'à massacrer les
soldats qui s'étaient rendus après la mort de leur commandant.
-
J'ai connu quelqu'un, un peu comme ça.. Mais qu'importe. Comment la
reconnaître ?
-
Il n'est pas moins difficile de la reconnaître que de savoir
distinguer un caillou d'une branche.
La
jeune femme, une fois de plus semblait dépassée par les
comparaisons de la vieille. Elle voulut rebondir avec humour, puis se
rappela de la personne évoquée.
-
Et donc, pour la reconnaître ?
-
Ses yeux étaient blancs comme la glace, dépourvue d'iris, elle
était aussi puissante que mince et chétive.
-
Il y en a plein des femmes comme ça. Lacha-t-elle
d'un ton orgueilleux.
-
Non. Pas qui arborent comme elle, une paire d'ailes rouges et noires,
immenses, grésillantes comme si une nuée géante d'insectes te
passait dans les oreilles.
En
connaissance de cause, la femme emboîta et ironisa.
-
Pas pratique les ailes pour passer les portes..
-
Tu plaisantes, mais tu imagines bien qu'elle pouvait s'en défaire.
Ce n'était que de la magie, elle les faisait apparaître à sa
guise.
-
J'imagine que la vainc...
-
Oublie cela mon enfant. Ôte-toi cette idée de la tête. Si elle est
encore en vie, ce dont je doute fort, cette femme a une force
incommensurable. Si elle est un brasier, tu n'es qu'une étincelle à
côté d'elle.
La
jeune femme était irritée, les commentaires désagréables
commençaient à lui faire perdre patience.
-
Bon ce n'est pas tout ça mais... Je vais partir.
-
Soit, va. Mais avant de partir..
La
cadette avait déjà tourné les chevilles et s'apprêtait à s'en
aller.
-
Quoi ?
-
Tu n'aurais pas une petite pièce pour moi ?"
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