dimanche 12 octobre 2014

Chapitre XIX : Odeur de foudre, Partie 1




Je n'en peux plus. Quelques secondes à peine d'affrontement contre cet adversaire redoutable, quelques secondes à peine, et je suis déjà à bout de force. Cette technique,  sa connaissance de notre groupe. Étions-nous traqués ?

 Gnas et Tne' avaient été soufflés par l'impact du "crash" provoqué par le mystérieux combattant. En plein milieu de cette forêt étroite.. Mêmes les arbres ont été arrachés. Tant la constitution de Gnas me rassurait quant à sa survie, mais Tne'..
 Pas le temps de réfléchir, alors que je pensais, "l'autre" s'est précipité sur moi. Habilement il se sert des arbres encore debout pour se propulser, je n'arrive pas à suivre ses mouvements. Il se retrouve à ma portée. C'est le moment ! Je laisse apparaître mon arme, et assène un violent coup... À moitié étouffé par un tronc se trouvant dans la trajectoire. Le guerrier esquive puis rebondit, il me feinte sans cesse. Je tourne sur moi-même pour ne pas le perdre des yeux, je finis par trébucher sur une motte ou une racine. Mon arme se décompose avant ma chute. Je sens une pénétration, puis deux. Sans même regarder je le sais, des couteaux de lancer viennent de se loger dans mon dos. Je les extraie sans attendre, glisse sur le côté et me relève.  Plus un bruit, plus personne.  Je piétine en scrutant mes alentours. Il est ici j'en suis convaincu.

 Un bruissement de feuilles, au dessus. L'homme se laisse tomber sur moi. Nos fronts se rencontrent, encore un choc violent, et le revoilà à sauter dans tous les sens. Et Gnas qui ne sort pas de son buisson, c'est bien le moment pour daigner se battre. Le coup de crâne m'a troublé, suffisamment pour ne pas même voir venir la frappe suivante arriver. Ce coup de pied me fait valser, ma projection est "amortie" par un tronc. Je me hisse sur mes avant bras, je vois littéralement rouge, un filet abondant de sang me coule sur le visage. J'ai dû m'ouvrir.

 "Evi.."
La voix de Gnas peine à me parvenir aux oreilles, je ne sais pas d'où elle vient.
"Aide-moi.. Au dessus."

 Un bref coup d'oeil en hauteur me laisse l'entrevoir, "J'ai mal... Fais vite." Elle est plaquée à un tronc, tétanisée.  De son ventre sort une branche. Et de son ventre se déverse un important flux de sang.
Je panique et me dresse sur mes pieds, comment la sortir de là... "Excuse-moi d'avance".
Sans trop lui laisser le temps, je saute et m'accroche au bout de la branche la traversant, nos poids la font céder, je récupère Gnas difficilement durant sa chute, elle m'entraîne avec elle et nous nous affalons au sol. Elle plaque nerveusement ses mains sur son ventre, plante ses yeux dans les miens.
 Ils me rappellent notre réveil, la chaleur de sa poitrine contre laquelle je dormais paisiblement, l'odeur de sa peau chaude, les cicatrices sur son corps sur lesquelles je laissais glisser mes doigts.

 "Ne fais pas cette tête. Me dit-elle sereinement. Je me suis déjà retrouvée dans bien pire sita.. situation. A croire que j'aime quand tu me sauves. Je craque, ses mains se placent sur mon visage. Pour une guerrière froide, tu es plutôt gentille quand tu veux.. Tiens deux minutes et je te rejoins.."

 Ses yeux se fermèrent sur moi. Une boule se forma dans mon ventre. Je pleurais de rage. Et même ça, je n'en avais pas le temps. J'entends des pas rapides froisser le tapis de feuilles, je suis la cible d'un autre bond en avant. Je bous, je vais le tuer, je vais le tuer. Je me penche pour éviter l'attaque et saisis l'agresseur pour mieux le renvoyer dans l'autre sens. Ça aussi il le voyait venir, il se retourne en vol, et retombe sans trouble sur ses appuis. Mais je le suis, et le charge même, de ma colère vient ma vitesse et de ma course vient ma force; mon bras suit mon mouvement et lui arrive droit dans la mâchoire. L'impact est violent mais je ne sens pas autant de dents sous mon coup que je ne l'espérais.. Nos précédents face à face étaient trop rapides, je n'ai pas pu distinguer qui ou quoi était il. À quoi m'attendais je ?

 De ma frappe s'en suivit son retrait de quelques pas. Il crachait quelque chose, probablement des dents. Quoi qu'il puisse être, j'avais réussi à lui casser quelques chicots. Je ne me relâchais pas et lui fonçais à nouveau dessus. En bon mouvement retour, il me repoussait et me faisait choir. Je finissais nez à nez avec la dent. Un croc.  Ou une très grande canine.

 Cette dextérité et cette capacité à sauter partout.. Pas possible. Nous nous faisions face à nouveau. Ses yeux étaient étranges, immenses et verts, fendus à la moitié par une grosse amande noire. Un croc ? Des yeux "comme ça" ? Impossible.  Un humanoïde félin ? Difficile de faire le lien entre un chaton de compagnie et lui. Je n'allais pas m'attendrir pour un sou. Il ne me tournait jamais le dos, peut-être...

 Je lui fonçais droit dessus en ouvrant ma garde, il le remarquait et s'engouffrait dans mon piège. Je plongeais à ses pieds et me retournais immédiatement derrière lui. Il avait une queue, que je cramponnais désormais méchamment.  Il n'avait pas réagi assez vite et tournais maintenant au-dessus de ma tête. Après avoir assez voltigé, je le lâchais en direction d'un arbre. Il n'y grimpait pas cette fois-ci et l'encaissait de pleine face. Il s'écrasait au pied du tronc.
 J'allais avoir la paix. Finalement pour un combat mal engagé, je m'en étais bien sortie. Puis si sa tête ne s'était pas enfoncée sur sa nuque, il aurait un réveil douloureux, le minou. 

 Je reprenais mes esprits et allais vers Gnas. Je songeais aussi à Tne, toujours aucun signe de vie, le pauvre devait être dans les choux. Un bruit aussi peu rassurant qu'horrible me parvenait aux oreilles.

 "Le chaton a pas eu sa..." Je me coupais.
L'être qui quelques instants auparavant ne m'arrivait même pas au menton, venait de se disproportionner. La bête faisait deux fois ma taille, quatre fois ma largeur, au moins; une gueule immense pourvue d'énormes crocs. La bête se dressait sur deux pattes, son torse était énorme, ses bras s'apparentaient à deux masses. Je ne me sentais plus aussi sereine. "Ça" rugissait, à en faire vibrer le sol. Qui plus est, la bestiole avait l'air furieuse, vraiment furieuse. Assez pour tailler un tronc en miette de ses griffes, avant de m'en envoyer les morceaux débités. Je parais les projections de mes avant-bras, mais pas le coup de patte qui suivait. Un vol plané et quatre entailles sanguinolentes, voilà ce que je venais de gagner. Je ne pouvais plus me servir de mes bras, j'avais trop mal. La bête tantôt bipède pour se battre, ne s'en déplaçait pas moins mal à quatre pattes, puis elle était trop grosse; dans cet espace restreint par les arbres, elle me tenait prise au piège partout. Désormais, je sautais, rampais, courais autour de la zone défrichée dans laquelle nous battions, je fuyais du mieux que je le pouvais.  Cependant une mauvaise réception et je reprenais de plein fouet une nouvelle attaque. Mon abdomen, était déchiré, mon sang coulait trop, la bête était penchée au dessus de moi, se dressait et pour mieux me retomber dessus. Je voyais le sourire de Gnas,  les mains tendues de Tne, une vision d'un cachot . Voilà.  C'était la fin de mon histoire. Un dernier rugissement de victoire avant de m'achever.

 Le coup a dû être trop fort, trop intense pour que je ne le sente même pas.
 Mes yeux s'ouvrirent sur les fesses de Gnas, qui trônaient face à moi, j'étais morte.  Là c'était sûr.

 Mais non. Si je voyais son derrière de si près, c'est qu'elle venait de s'interposer entre la créature et moi.  À mains contre pattes, elle avait tenu, et elle tenait. Son regard croisait le mien, il n'était pas comme d'habitude, comme si ce n'était pas Gnas ? Plus étonnant durant cet instant, des gouttelettes de sang lévitaient entre nous.

 "C'est parti" soufflait-elle.

Tout le sang jusque là visible alla ramper jusqu'à Gna, puis la recouvrit lentement, se propageant sur elle, toujours entrain de maintenir la pression de la bête. Il y eut un renversement de force, annoncé par un hurlement effroyable poussé par Gnas, le monstre laissa échapper comme un cri d'étonnement, avant de finalement se faire repousser, puis saisir à la ceinture et plaquer au sol. Gnas se penchait sur moi et tout en baladant ses mains sur mes plaies, me désirait du regard et se retournait pour se jeter sur le monstre au sol.

 Je la vis frapper sans limite la gueule de l'immense félin, jusqu'à en faire sauter chaque canine, jusqu'à en expulser ses yeux de leurs orbites. La bête convulsait, battait l'air de tous ses membres, Gnas poursuivait la lutte par d'amples coups de crâne. Un "Crrrrrr" retentit, les pattes s'étaient calmées.  Ma comparse elle, non; elle déchirait maintenant la nuque de l'adversaire à terre à coup de dents.

Ma douleur s'était atténuée et le toucher de Gnas avait fait cesser mon hémorragie. J'étais sauvée. Gna' continuait de frapper le cadavre, ne se rendant pas compte que les derniers mouvements du combattant n'étaient que les échos des martèlements qu'elle même assénait. Elle reculait, laissait tomber ses bras, le sang accumulé sur son corps, suivait son mouvement. Sa posture changeait, elle se précipitait à moi, soulevait avec une rare délicatesse ma tête et me donnait un baiser, tout en laissant traîner ses lèvres sur mon visage y agglomérant une couche de sang. Elle pouvait bien faire ce qu'elle voulait, je n'étais ni en état de râler, ni même de lui refuser quoi que ce soit. Son visage se souleva du mien, elle eut l'air gênée, je lui fis comprendre en rappelant ses lèvres du regard, que tout allait bien. Si ce n'était mon état général : j'étais brisée et déchiquetée.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire