Je
n'en peux plus. Quelques secondes à peine d'affrontement contre cet
adversaire redoutable, quelques secondes à peine, et je suis déjà
à bout de force. Cette technique, sa connaissance de notre
groupe. Étions-nous traqués ?
Gnas
et Tne' avaient été soufflés par l'impact du "crash"
provoqué par le mystérieux combattant. En plein milieu de cette
forêt étroite.. Mêmes les arbres ont été arrachés. Tant la
constitution de Gnas me rassurait quant à sa survie, mais Tne'..
Pas
le temps de réfléchir, alors que je pensais, "l'autre"
s'est précipité sur moi. Habilement il se sert des arbres encore
debout pour se propulser, je n'arrive pas à suivre ses mouvements.
Il se retrouve à ma portée. C'est le moment ! Je laisse apparaître
mon arme, et assène un violent coup... À moitié étouffé par un
tronc se trouvant dans la trajectoire. Le guerrier esquive puis
rebondit, il me feinte sans cesse. Je tourne sur moi-même pour ne
pas le perdre des yeux, je finis par trébucher sur une motte ou une
racine. Mon arme se décompose avant ma chute. Je sens une
pénétration, puis deux. Sans même regarder je le sais, des
couteaux de lancer viennent de se loger dans mon dos. Je les extraie
sans attendre, glisse sur le côté et me relève. Plus un
bruit, plus personne. Je piétine en scrutant mes alentours. Il
est ici j'en suis convaincu.
Un
bruissement de feuilles, au dessus. L'homme se laisse tomber sur moi.
Nos fronts se rencontrent, encore un choc violent, et le revoilà à
sauter dans tous les sens. Et Gnas qui ne sort pas de son buisson,
c'est bien le moment pour daigner se battre. Le coup de crâne m'a
troublé, suffisamment pour ne pas même voir venir la frappe
suivante arriver. Ce coup de pied me fait valser, ma projection est
"amortie" par un tronc. Je me hisse sur mes avant bras, je
vois littéralement rouge, un filet abondant de sang me coule sur le
visage. J'ai dû m'ouvrir.
"Evi.."
La
voix de Gnas peine à me parvenir aux oreilles, je ne sais pas d'où
elle vient.
"Aide-moi..
Au dessus."
Un
bref coup d'oeil en hauteur me laisse l'entrevoir, "J'ai mal...
Fais vite." Elle est plaquée à un tronc, tétanisée. De
son ventre sort une branche. Et de son ventre se déverse un
important flux de sang.
Je
panique et me dresse sur mes pieds, comment la sortir de là...
"Excuse-moi d'avance".
Sans
trop lui laisser le temps, je saute et m'accroche au bout de la
branche la traversant, nos poids la font céder, je récupère Gnas
difficilement durant sa chute, elle m'entraîne avec elle et nous
nous affalons au sol. Elle plaque nerveusement ses mains sur son
ventre, plante ses yeux dans les miens.
Ils
me rappellent notre réveil, la chaleur de sa poitrine contre
laquelle je dormais paisiblement, l'odeur de sa peau chaude, les
cicatrices sur son corps sur lesquelles je laissais glisser mes
doigts.
"Ne
fais pas cette tête. Me
dit-elle sereinement. Je
me suis déjà retrouvée dans bien pire sita.. situation. A croire
que j'aime quand tu me sauves. Je
craque, ses mains se placent sur mon visage. Pour
une guerrière froide, tu es plutôt gentille quand tu veux.. Tiens
deux minutes et je te rejoins.."
Ses
yeux se fermèrent sur moi. Une boule se forma dans mon ventre. Je
pleurais de rage. Et même ça, je n'en avais pas le temps. J'entends
des pas rapides froisser le tapis de feuilles, je suis la cible d'un
autre bond en avant. Je bous, je vais le tuer, je vais le tuer. Je me
penche pour éviter l'attaque et saisis l'agresseur pour mieux le
renvoyer dans l'autre sens. Ça aussi il le voyait venir, il se
retourne en vol, et retombe sans trouble sur ses appuis. Mais je le
suis, et le charge même, de ma colère vient ma vitesse et de ma
course vient ma force; mon bras suit mon mouvement et lui arrive
droit dans la mâchoire. L'impact est violent mais je ne sens pas
autant de dents sous mon coup que je ne l'espérais.. Nos précédents
face à face étaient trop rapides, je n'ai pas pu distinguer qui ou
quoi était il. À quoi m'attendais je ?
De
ma frappe s'en suivit son retrait de quelques pas. Il crachait
quelque chose, probablement des dents. Quoi qu'il puisse être,
j'avais réussi à lui casser quelques chicots. Je ne me relâchais
pas et lui fonçais à nouveau dessus. En bon mouvement retour, il me
repoussait et me faisait choir. Je finissais nez à nez avec la dent.
Un croc. Ou une très grande canine.
Cette
dextérité et cette capacité à sauter partout.. Pas possible. Nous
nous faisions face à nouveau. Ses yeux étaient étranges, immenses
et verts, fendus à la moitié par une grosse amande noire. Un croc ?
Des yeux "comme ça" ? Impossible. Un humanoïde
félin ? Difficile de faire le lien entre un chaton de compagnie et
lui. Je n'allais pas m'attendrir pour un sou. Il ne me tournait
jamais le dos, peut-être...
Je
lui fonçais droit dessus en ouvrant ma garde, il le remarquait et
s'engouffrait dans mon piège. Je plongeais à ses pieds et me
retournais immédiatement derrière lui. Il avait une queue, que je
cramponnais désormais méchamment. Il n'avait pas réagi assez
vite et tournais maintenant au-dessus de ma tête. Après avoir assez
voltigé, je le lâchais en direction d'un arbre. Il n'y grimpait pas
cette fois-ci et l'encaissait de pleine face. Il s'écrasait au pied
du tronc.
J'allais
avoir la paix. Finalement pour un combat mal engagé, je m'en étais
bien sortie. Puis si sa tête ne s'était pas enfoncée sur sa nuque,
il aurait un réveil douloureux, le minou.
Je
reprenais mes esprits et allais vers Gnas. Je songeais aussi à Tne,
toujours aucun signe de vie, le pauvre devait être dans les choux.
Un bruit aussi peu rassurant qu'horrible me parvenait aux oreilles.
"Le
chaton a pas eu sa..." Je me coupais.
L'être
qui quelques instants auparavant ne m'arrivait même pas au menton,
venait de se disproportionner. La bête faisait deux fois ma taille,
quatre fois ma largeur, au moins; une gueule immense pourvue
d'énormes crocs. La bête se dressait sur deux pattes, son torse
était énorme, ses bras s'apparentaient à deux masses. Je ne me
sentais plus aussi sereine. "Ça" rugissait, à en faire
vibrer le sol. Qui plus est, la bestiole avait l'air furieuse,
vraiment furieuse. Assez pour tailler un tronc en miette de ses
griffes, avant de m'en envoyer les morceaux débités. Je parais les
projections de mes avant-bras, mais pas le coup de patte qui suivait.
Un vol plané et quatre entailles sanguinolentes, voilà ce que je
venais de gagner. Je ne pouvais plus me servir de mes bras, j'avais
trop mal. La bête tantôt bipède pour se battre, ne s'en déplaçait
pas moins mal à quatre pattes, puis elle était trop grosse; dans
cet espace restreint par les arbres, elle me tenait prise au piège
partout. Désormais, je sautais, rampais, courais autour de la zone
défrichée dans laquelle nous battions, je fuyais du mieux que je le
pouvais. Cependant une mauvaise réception et je reprenais de
plein fouet une nouvelle attaque. Mon abdomen, était déchiré, mon
sang coulait trop, la bête était penchée au dessus de moi, se
dressait et pour mieux me retomber dessus. Je voyais le sourire de
Gnas, les mains tendues de Tne, une vision d'un cachot .
Voilà. C'était la fin de mon histoire. Un dernier rugissement
de victoire avant de m'achever.
Le
coup a dû être trop fort, trop intense pour que je ne le sente même
pas.
Mes
yeux s'ouvrirent sur les fesses de Gnas, qui trônaient face à moi,
j'étais morte. Là c'était sûr.
Mais
non. Si je voyais son derrière de si près, c'est qu'elle venait de
s'interposer entre la créature et moi. À mains contre pattes,
elle avait tenu, et elle tenait. Son regard croisait le mien, il
n'était pas comme d'habitude, comme si ce n'était pas Gnas ? Plus
étonnant durant cet instant, des gouttelettes de sang lévitaient
entre nous.
"C'est
parti" soufflait-elle.
Tout
le sang jusque là visible alla ramper jusqu'à Gna, puis la
recouvrit lentement, se propageant sur elle, toujours entrain de
maintenir la pression de la bête. Il y eut un renversement de force,
annoncé par un hurlement effroyable poussé par Gnas, le monstre
laissa échapper comme un cri d'étonnement, avant de finalement se
faire repousser, puis saisir à la ceinture et plaquer au sol. Gnas
se penchait sur moi et tout en baladant ses mains sur mes plaies, me
désirait du regard et se retournait pour se jeter sur le monstre au
sol.
Je
la vis frapper sans limite la gueule de l'immense félin, jusqu'à en
faire sauter chaque canine, jusqu'à en expulser ses yeux de leurs
orbites. La bête convulsait, battait l'air de tous ses membres, Gnas
poursuivait la lutte par d'amples coups de crâne. Un "Crrrrrr"
retentit, les pattes s'étaient calmées. Ma comparse elle,
non; elle déchirait maintenant la nuque de l'adversaire à terre à
coup de dents.
Ma
douleur s'était atténuée et le toucher de Gnas avait fait cesser
mon hémorragie. J'étais sauvée. Gna' continuait de frapper le
cadavre, ne se rendant pas compte que les derniers mouvements du
combattant n'étaient que les échos des martèlements qu'elle même
assénait. Elle reculait, laissait tomber ses bras, le sang accumulé
sur son corps, suivait son mouvement. Sa posture changeait, elle se
précipitait à moi, soulevait avec une rare délicatesse ma tête et
me donnait un baiser, tout en laissant traîner ses lèvres sur mon
visage y agglomérant une couche de sang. Elle pouvait bien faire ce
qu'elle voulait, je n'étais ni en état de râler, ni même de lui
refuser quoi que ce soit. Son visage se souleva du mien, elle eut
l'air gênée, je lui fis comprendre en rappelant ses lèvres du
regard, que tout allait bien. Si ce n'était mon état général :
j'étais brisée et déchiquetée.
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